Me Abdoulaye Wade du Sénégal, Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire, Nicéphore Soglo du Bénin, Alpha CONDE de la Guinée… Des opposants historiques qui ont pu accéder au pouvoir dans leurs pays respectifs, mais plus tard, rattrapés par l’histoire, leur histoire. Leur côte de popularité aura fluctué entre le ciel et la terre du début et à la fin de leur règne. Ibrahim Boubacar Keïta du Mali fera-t-il exception à la désormais règle ?
Le prototype de l’opposant africain est certainement l’homme du SOPI (changement en wolof). Me Abdoulaye Wade a osé s’opposer aux icones Léopold Sedar Senghor et Abdou Diouf. Il créa l’un des tout premiers partis dans un environnement où l’opposition au pouvoir en place était considérée comme un acte de haute trahison, voire suicidaire. Mais à force de persévérance et de constance dans son combat, il accéda enfin au pouvoir et fit deux septennat (2000-2007 et 2007 -2012).
Si le SOPI par lui préconisé a pu mobiliser les masses pendant plus d’une décennie, il sera en 2012, à l’origine de sa chute. En fait de changement, les sénégalais ne crurent finalement à la terre promise. Il fut lamentablement battu le 25 mars 2012 par cet autre opposant du Macky Sall qu’il a lui-même crée (un opposant peut en cacher un autre). Son bilan reste très mitigé au regard des procédures judiciaires contre son clan.
Laurent Gbagbo, à l’instar de Me Abdoulaye Wade reste lui aussi une grande figure de l’opposition africaine pour avoir contrarié le grand Félix Houphouët Boigny. Pendant deux décennies, il mena sa lutte sur tous les fronts, et mit plusieurs fois en mal le régime Houphouetiste et plus tard, celui de Bédié et de Robert Guéi. Du cran, il n’en manquait point. Et comme Me Abdoulaye Wade, il préconisa lui aussi le changement lors de sa longue conquête du pouvoir. Mais une fois au sommet, il s’efforça à appliquer les mêmes pratiques qui lui ont auparavant servi de cheval de bataille: l’ivoirité ! En fait de changement, les ivoiriens se sentirent désabusés…, et pétris comme de la farine. On l’appelait justement le « Boulanger » au regard de ses feintes de corps et de ses pirouettes.
Une rébellion éclata alors et le farouche opposant d’hier fut arrêté le 11 avril 2011. Son sort relève désormais de la Cour Pénale Internationale. Le changement là aussi, n’est guère évident.
Nicephore Soglo fut lui aussi, à juste titre, un redoutable opposant. Comme les deux premiers, il engagea un bras de fer avec le président au pouvoir, le tout puissant Mathieu Kérékou en 1991. Le changement était son leitmotiv à lui aussi. Il remporta le scrutin avec 67,73 % des voix et devint président de la République du Bénin. Mais pas pour longtemps.
Ses compatriotes se rendirent vite compte que le farouche opposant ne valait pas mieux que le président sortant ou s’avérait même pire. Les membres de sa famille et son épouse Rosine Soglo, en l’occurrence, leur firent, en effet voir de toutes les couleurs. Ils décidèrent donc de ramener le «bon» et «l’innocent» Mathieu Kérékou en 2001.
Même s’il est encore un peu trop tôt de juger cet autre opposant historique, Alpha Condé de la Guinée Conakry, l’on retiendra que sa côte de popularité a tristement chuté depuis son élection à la magistrature suprême de son pays. La grogne est de plus en perceptible à Conakry.
En clair, tout se passe comme si les opposants africains n’apprenaient rien de l’histoire et qu’ils ne valaient pas mieux que les présidents en exercice. Les changements par eux promis n’arrivent jamais; et se développe très vite en eux un sentiment paternaliste et possessif ; leurs citoyens deviennent vite leurs sujets; ils inventent des scénarii juste pour s’accrocher encore et toujours. Et très souvent, les membres de leur famille et parti d’origine, se montrent un peu trop extravagants et exclusifs. Le scenario est désormais classique…
Peut être que les opposants Etienne TSHISEKEDI (RD Congo), John Fru NDI (Cameroun) et Gilchrist OLYMPIO (Togo) n’auraient pas mieux fait s’ils avaient pu accéder à la magistrature suprême de leurs pays. Enfin…
Le cas IBK
Disons-le tout de suite : IBK n’est pas un opposant historique de la dimension d’Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo, d’Alpha Condé ou de Nicephore Soglo. Il déteste même le sport favori de ceux-ci à savoir, les manifestations de rue, les meetings à ciel ouvert; aussi, il n’a guère été incarcéré par le pouvoir en place dans son combat politique à l’image de nombre de ces derniers et mieux, il a même partagé le fameux «gâteau» avec les tenants du pouvoir pendant ces 20 dernières années. Pire, il a lui même cassé de l’opposition. En clair, son cas est particulier. Echappera-t-il par conséquent à l’immuable destin des traditionnels opposants devenus président de la République?
Si rien, pour l’instant ne permet d’être résolument affirmatif sur la question, des prémices laissent d’ores et déjà planer le doute. IBK est déjà un président fragilisé par les événements, non pas par son passé que les maliens ont décidé d’oublier, mais surtout par le présent. Et pour cause. Tous les dossiers du jour s’avèrent prioritaires et dont la gestion passe irrémédiablement pas des décisions impopulaires: il doit, comme ATT refuser la guerre et signer la paix avec les insurgés du nord, en faisant d’importantes concessions (une option qui ne fait pas l’unanimité) ; il doit lutter contre la corruption, ce sport favori de ses compatriotes ; il doit créer et ménager une opposition politique qui ne lui fera certainement pas de cadeau… Aussi, ses compatriotes veulent un changement qu’il ne saurait, hélas, leur apporter tout simplement parce que les demandeurs eux-mêmes ne sont pas prêts ; … Une des grosses menaces viendra, à n’en pas douter, des siens lesquels estiment venu le moment de la jouissance après des décennies de privation. Ceci reste un des tares des opposants africains une fois au pouvoir. Il n’est donc pas exclu la naissance d’une aile dure au sein de sa formation politique, le RPM.
En définitive, les marges de manœuvre du président élu sont désormais étroites. Plus étroites qu’elles ne l’étaient lorsqu’il était premier ministre de son Etat. Et pour cause : il vient d’hériter d’un pays où quasiment tout est à refaire avec si peu de moyen et beaucoup de contraintes. Et les résultats du scrutin (plus de 77% de suffrages favorables) attestent que ses compatriotes fondent sur lui trop d’espoir, beaucoup trop d’espoir.