Deux positions se heurtent dans la perspective d’une probable signature de contrat entre les autorités de la transition malienne et la société militaire russe, Wagner.
D’un côté, « les Pour », ceux qui soutiennent l’arrivée de Wagner au Mali pour « entraîner » les FAMa et « assurer la protection des hauts responsables », (Reuters). Ils mettent en avant leur ras-le-bol de l’instabilité et la dégradation sécuritaire, malgré la présence de Barkhane et la Minusma.
De l’autre côté, les « Contre », ceux qui voient dans l’arrivée de Wagner le faux-fuyant des autorités de la transition devant les enjeux sécuritaires et démocratiques. Les Contre ne comprennent pas la superposition des interventions. Barkhane et la Minusma d’un côté, et les Russes de l’autre. Ils dénoncent une nouvelle stratégie des autorités de la transition pour épater la galerie, car pour eux, la priorité reste l’organisation des élections générales pour la mise en place d’un pouvoir démocratique. Leur sentiment dominant, c’est la confiscation du pouvoir par l’exécutif actuel.
Ce sont donc deux camps à Bamako, tous de l’élite dirigeante du Mali, qui s’affrontent autour des stratégies de stabilisation du Mali. En attendant, les Maliens rêvent de la fin de la crise sécuritaire. Ils attendent des décisions responsables de leur élite offrant des solutions réalistes pour sortir le pays de la souricière sécuritaire. Bien entendu, sans tomber dans le populisme, et dans une nouvelle crise. D’ailleurs, pourquoi ne pas se poser la question de comment s’engager avec les Maliens de l’intérieur et de l’extérieur pour reconquérir les territoires ? Pourquoi ne pas tracer les parcours de l’émancipation du Mali, sans la France, sans la Russie ?
Souvenons-nous. Le premier Président du Mali indépendant, Modibo Keita, a redonné au Mali ses lettres de noblesse grâce à ses projets de transformation du Mali : révolution active, Air Mali, Franc malien, etc. Plus tard, en juillet 1995, le premier Président du Mali démocratique, Alpha Oumar Konaré, a refusé de répondre à l’invitation du Président français, Jacques Chirac, à le rejoindre à Dakar. Refus que Chirac ne lui a jamais pardonné. Mais, c’était courageux de la part de Konaré, d’affirmer son autonomie et la souveraineté du Mali vis-à-vis de la France. Certes, les contextes des années 1960, et des années 1990 sont différents du contexte actuel. Certes, il y a la rébellion de 1963, comme celle des années 1990. Mais, aujourd’hui, le Mali est infecté par le narcoterrorisme. Les massacres des villageois font légion.
Une chose est sûre aujourd’hui, c’est que pour les Pour, il est temps de rompre avec le partenariat français. On prend le risque de divorcer avec la France pour se lier avec Wagner, la société paramilitaire russe. « Aussi, la nouvelle situation née de la fin de l’Opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autre partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer par la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le Nord de notre pays. Cette situation doit également inciter les Nations Unies à avoir désormais une posture plus offensive sur le terrain », extrait du discours à l’Onu du Premier ministre, Choguel K Maïga, la semaine dernière. Pour l’exécutif actuel, c’est le bon moment pour explorer d’autres pistes pour ramener la paix. On solde les comptes, et on caresse le peuple dans le sens du poil. C’est le bon message au bon moment.
Par ailleurs, pour les Contre, un éventuel contrat de partenariat avec Wagner serait une tromperie. D’autant que la cohabitation entre Wagner et Barkhane est rejetée d’office par Paris. « Il n’y a pas de désengagement français, je tiens à commencer par rétablir des contre-vérités […] Quand on a 5000 soldats et qu’on se désengage de trois emprises, et qu’on a l’intention d’en laisser encore plusieurs milliers, lorsqu’on déploie au Sahel des blindés dernier cri, ce n’est pas l’attitude normale d’un pays qui a l’intention de s’en aller… », réagit Madame Parly, ministre des Armées. La bataille médiatique continue. La messe n’est pas encore dite. Les Contre reprochent à l’exécutif actuel de poser des actes dont un des effets immédiats sera une nouvelle crise sociopolitique.
Pour finir, les deux positions (Pour/Contre) traduisent les tensions à Bamako entre les Maliens d’abord, et entre Bamako et Paris. La déclaration du Président français, Emmanuel Macron, à propos de l’arrestation de l’ancien Président de la transition (Bah N’Daw) et son Premier ministre Moctar Ouane par Assimi Goïta, actuel Président de la transition malienne. « Un coup d’État dans le coup d’État, inacceptable”, a déclaré Macron en mai 2021. Dans tous les cas, si les autorités maliennes signent un contrat avec Wagner, ce sera un coup de poker.
En attendant de trancher la question de Wagner, le nouveau nœud gordien de la transition, l’opposition entre les Pour et les Contre peut être analysée comme un nouvel ingrédient contextuel qui agit sur la fragile gouvernance du Mali, un pays qui se cherche. Sous le poids des jeux d’influence, le Mali s’effiloche. Le risque de se perdre dans les débats sans fin est là, sans avoir posé un acte concret et visible pour le retour à la paix. J’ai la faiblesse de penser que la capacité de l’exécutif actuel de ne pas s’engluer dans les débats sans fin et la communication à outrance permettra de redresser la barre de la gouvernance. Il est temps d’arrêter les jérémiades, et de prendre des décisions. Des décisions responsables et réalistes.
Sommes-nous en présence d’un réel changement dans les rapports France Mali ou d’un jeu de dupes ?