Paiement d’heures supplémentaires de cours, de travaux dirigés et pratiques sur la base d’Attestations Individuelles de Service Fait (AISF) non conformes pour un montant de 31,8 millions FCFA (31 820 000F) ; non retenue de 15% au titre de l’IBIC pour un montant de 113 millions de nos francs (113 328 000 FCFA) et non retenue de l’impôt sur le revenu foncier pour un montant de 35,8 millions FCFA (35 8 834 767 F). Auxquels s’ajoutent ; la non application des pénalités de retard sur des marchés pour un montant de 2,4 millions FCFA (2 421 708 F) et le paiement d’un contrat partiellement exécuté pour un montant de 4,7 millions FCFA (4 720 000F ; en passant par la réception de matériels non conformes pour un montant de 2,4 millions de nos francs (2 827 200 FCFA)… Telles sont, entre autres, les pratiques à l’origine d’une fraude de 191 millions FCFA (191 896 675F) à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB), pendant les exercices 2018, 2019 et 2020.
Depuis qu’il a été rendu public, le rapport d’enquête financières du Bureau du Vérificateur Général (BVG), portant sur les opérations de recettes et de dépenses effectuées par l’ULSH ne cessent de défrayer la chronique. Au juste, de qui et de quoi s’agit-il ? Nous avons synthétisé le dit rapport dont nous rendons public la substantifique moelle.
La gestion de l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako est victime d’une gabegie qui ne dit pas son nom. Du coup, son premier responsable, le Pr Idrissa Soïba Traoré, Vice-recteur en janvier 2018 de l’ULSHB et Recteur en juin 2019 jusqu’à nos jours, puisque c’est de lui qu’il s’agit, et son équipe sont au centre de la controverse. Ils risquent gros. Et même très gros. Accablant.
Le Végal donne un coup de pied dans la fourmilière
Pendant la période sous revue, l’ULSHB a bénéficié une subvention de l’État qui s’élèvent à 12,32 milliards FCFA (12 325 277 846 F) et les ressources propres à 940,9 millions FCFA (9 923 180F). Quant aux dépenses, elles se chiffrent à 12,9 milliards de nos francs (12 957 657 357F). Du coup, la rationalisation des ressources de l’ULSHB s’impose afin qu’elle joue pleinement et durablement son rôle de formation et de renforcement des compétences.
Selon le rapport d’enquête du Végal, les dysfonctionnements à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako découlent, dans une grande mesure, de l’absence de procédures formalisées spécifiques à cette structure universitaire mais aussi du fonctionnement encore non effectif de toutes les divisions de son Service des Finances. Également, les problèmes résident dans la faible transparence des procédures de passation de marchés ; les manquements au code d’éthique et de la déontologie dans les marchés publics, au règlement général de la comptabilité publique et à la réglementation de la comptabilité-matières.
Quant aux irrégularités financières, elles résultent, pour leur part, des insuffisances liées à la justification des heures supplémentaires ; le non prélèvement des impôts sur les marchés ; le paiement des indemnités indues, le non-respect des clauses contractuelles et plus généralement des règles du contrôle de la procédure de passation des marchés publics.
Enfin, les irrégularités financières qui se chiffrent à 191,89 millions FCFA dénotent globalement des tendances des agents publics à favoriser les prestataires au détriment de l’État, pourtant principal pourvoyeur des ressources pour les deux parties.
Des irrégularités financières à la pelle
Décidément, le pire est à craindre à l’Université des Langues et des Sciences Humaines de Bamako. Les graves irrégularités financières constatées sont essentiellement frauduleuses et représentent plus de la moitié de l’ensemble de la subvention accordée par l’État à l’ULSHB pendant la période sous revue. Ces mauvaises pratiques de gestion, qui s’exercent dans une sphère censée former l’élite malienne, se trouvent à l’origine des principaux goulots dont sont victimes l’enseignement supérieur et la recherche scientifique dans notre pays qui se classe parmi les derniers au monde en matière d’éducation. Pire, ces pratiques mafieuses restent d’autant plus inquiétantes qu’elles surviennent à une période où la gestion universitaire au Mali demeure au cœur des préoccupations des pouvoirs de la transition.
Pour l’illustration de cette mauvaise gouvernance, le Chef du Service des Finances de l’ULSHB a payé des heures supplémentaires indues sur le Budget national. Ainsi, à l’issue des vérifications, les enquêteurs ont constaté que pendant la période sous revue, il a payé des heures supplémentaires sur la base des AISF (Attestations Individuelles de Service Fait) non conformes. En effet, il a effectué des paiements d’heures supplémentaires en l’absence des AISF ou sur la base des AISF signées par le Chef du DER (Département d’Étude et de Recherche) en lieu et place de l’enseignant. Aussi, le Chef du Service des Finances de l’ULSHB a fourni, en l’appui du paiement d’autres heures supplémentaires, des AISF signées uniquement par le Doyen de la Faculté. Le montant total des heures supplémentaires de cours, de travaux dirigés et pratiques payé sans AISF ou sur la base des AISF non conformes est de 31,8 millions FCFA (31 820 000F), dont 22,6 millions (22 620 000 FCFA) pour les enseignants non permanents.
Et le hic qui titille, c’est que le Chef du Service des Finances n’a pas retenu l’IBIC (Impôt sur les Bénéfices Industriels et Commerciaux) sur les indemnités d’heures supplémentaires payées aux enseignants non permanents. Du coup, les enquêtes révèlent qu’il n’a pas prélevé sur les montants payés aux enseignants non permanents, la retenue de 15% au titre de l’IBIC. Et contre toute attente, un montant total de 778 millions FCFA (778 140 000F) a été payé aux enseignants non permanents au titre des heures supplémentaires sans la retenue de l’IBIC au cours de la période sous-revue. En déduisant le montant de 22,6 millions de nos francs ( 22 620 000 FCFA) correspondant aux heures supplémentaires payées aux enseignants non permanents sur la base des AISF non conformes, l’IBIC non retenu s’élève à 113,3 millions FCFA (113 328 000F). Pendant ce temps, le Chef du Service des Finances n’a pas retenu à la source l’Impôt sur le revenu foncier. Après l’analyse des contrats et les pièces justificatives des paiements des frais de location des immeubles, les enquêteurs ont décelé que le Chef du Service des Finances n’a pas procédé à la retenue à la source de l’Impôt sur le revenu foncier, lors du paiement des frais de location des immeubles bâillés. En effet, le montant de l’Impôt sur le revenu foncier non retenu par l’ULSHB sur les revenus fonciers s’élève à 70,3 millions FCFA (70 342 786F). Cependant, l’information recueillie par les enquêteurs au niveau du service des impôts de Kati, révèle que la somme de 34,5 millions (34 508 019 FCFA) a été payée par le bailleur de l’immeuble « IPM ». Le montant de l’irrégularité s’élève alors à 35,8 millions de nos francs (35 834 767 FCFA). Et ce n’est pas tout. Loin s’en faut.
Même le Chef du Service des Finances de l’ULSHB a payé des indemnités aux stagiaires après l’expiration de la durée légale de stage. De l’examen des dossiers, il ressort que le Chef du Service des Finances a payé des indemnités à des jeunes diplômés en stage de qualification ou de perfectionnement au rectorat de l’ULSHB au-delà de la période réglementaire de 2 ans maximum. En effet, le rectorat maintient encore des jeunes diplômés, dont le stage a débuté en 2012, 2014 et 2015, selon les cas. Face à cette situation, le Conseil de l’Université a, au cours de sa 8ème session ordinaire, tenue le 5 mars 2020, rappelé que toute indemnité accordée aux stagiaires constitue une dépense inéligible et impossible à justifier. Par la même occasion, le Conseil a invité l’administration au respect strict de la réglementation qui régit l’accueil des stagiaires au sein des services publics (y compris les EPA), notamment en ce qui concerne la durée légale de ces stages. Le montant des indemnités injustifiées payées aux stagiaires courant l’année 2018 s’élève à 945 000 FCFA. Toutefois, malgré la demande par mémo n°001, le Chef du Service des Finances n’a pas fourni à l’équipe de vérification les pièces et documents des paiements des indemnités pour les années 2019 et 2020.
Et comme si cela ne suffisait pas, le Chef du Service des Finances n’a pas appliqué des pénalités de retard sur des marchés. Cependant, les enquêteurs ont découvert qu’en 2019 et en 2020, le Chef du Service des Finances n’a pas appliqué les pénalités de retard sur onze marchés dont les réalisations ont accusé des retards allant jusqu’à 119 jours. Le montant total de l’irrégularité s’élève à 2,4 millions FCFA (2 421 708F).
La preuve des épreuves
Le Chef du Service des Finances a payé la totalité d’un marché partiellement exécuté. Il ressort des enquêtes que sur la base d’une attestation de service fait établie par lui-même, il a payé la totalité d’un marché avant l’exécution complète des prestations. En effet, le marché n°20/ULSHB-SF2019 relatif à l’organisation et la mise en place de la comptabilité (volet 1) et l’installation des logiciels de comptabilité générale, de production des états de synthèse et de gestion des immobilisations (volet 2) au profit de l’ULSHB a été intégralement payé alors que les logiciels ne sont pas installés sur l’ordinateur de la Division Comptabilité générale. Le montant de l’irrégularité s’élève à 4,7 millions FCFA (4 720 000F).
Quant au Comptable-matières de l’ULSHB, il a réceptionné des matériels non conformes aux spécifications techniques des commandes. En effet, il a réceptionné sept (7) scanners de marque Canon, livrés par MAMA CONSTRUCTION, en lieu et place de sept (7) scanners HP scan jet 300 avec une résolution de 200 PPP ou plus. Le montant des scanners HP est de 1,6 millions FCFA TTC (1 610 700F). De plus, sur les deux ordinateurs HP laptop 15-dy 1731 ms, livrés par « Établissement Loly et frères », pour un montant de 1 millions FCFA, le Comptable-matières a réceptionné un ordinateur non conforme. En effet, il a réceptionné un laptop Windows famille en lieu et place d’un laptop Windows PRO. Le montant de l’ordinateur livré non conforme est de 525 000 FCFA TTC. Enfin, sur 240 livres livrés par NATALA SERVICE-PRESTATION, vingt-quatre (24) livres sont manquants. Le montant total des irrégularités relatives à la réception des matériels non conformes s’élève à 2,8 millions de nos francs (2 827 200 FCFA).
Pour toutes ces irrégularités financières qui ont occasionné une perte sèche de plus de 191 millions FCFA (191 896 675F) à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako, en abrégé ULSHB, un sursaut national gagnerait à tenir compte de ces alertes suffisamment pertinentes dans le sens où il n’est pas rare d’entendre la population active se plaindre du niveau de nos étudiants. Avec un tel gâchis dans la gestion des ressources financières, ils sont condamnés à ne pas recevoir un enseignement de bonne qualité. Il s’agit là d’une perte à deux niveaux.
D’une part, l’État perd une quantité inestimable de ressources qui auraient pu servir à renforcer d’autres secteurs de développement prioritaires ; et d’autre part, l’avenir des futures générations se trouve hypothéqué par de tels comportements irresponsables dans la gestion des deniers publics.
À l’issue des travaux contradictoires ayant permis la prise en compte des observations de l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako, le rapport définitif de la vérification au sein de cette entité étatique a été transmis à qui de droit. Toutefois, il est heureux de constater que, malgré tout, certains professeurs restent en marge de ces différents écarts.
Mais en attendant, les responsables des cas de fraude signalés à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako, sont clairement identifiés et ont fait l’objet de dénonciations du BVG au Procureur de la République qui appréciera la suite à donner au dossier. C’est dire qu’à l’ULSHB on ne dort plus que d’un demi-œil.