La junte au pouvoir au Mali est silencieuse sur les grandes problématiques du pays, comme la tenue de l’élection présidentielle en février 2021. Aucune nouveauté dans cette situation même après la visite de la CEDEAO dimanche à Bamako. Dr Aly Tounkara, Directeur du Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel et auteur de l’ouvrage “Mali : Analyse socio-historique des conflits nord et centre a été interrogé par Lilianne Nyatcha.
Que pensez-vous de ce silence pesant des autorités de la transition malgré le passage de la CEDEAO ?
On attendait beaucoup de cette rencontre de la CEDEAO avec Bamako. Mais de grandes questions comme la tenue des élections ou le calendrier qui doit être communiqué par les autorités de la transition restent encore floues. Ce qu’on comprend c’est que la CEDEAO et les autorités de la transition malienne n’arrivent pas encore à s’accorder sur les fondamentaux.
Une partie de la société civile et certains partis politiques sont opposés à toute possibilité de report des élections tandis que la transition prépare activement les Assises nationales auxquelles tout le monde n’adhère pas.
Aujourd’hui, une bonne partie de la classe politique malienne a du mal à suivre le cours des deux évènements. On n’a aucune assurance que les élections se teindront effectivement en février. Cependant il y a quelques jours, le colonel Assimi Goïta avait rencontré un certain nombre d’acteurs politiques se revendiquant de l’opposition, et ils avaient fini par accepter de se lier à l’initiative des Assises nationales de la refondation de l’Etat.
Ces initiatives de la junte ont donc divisé la classe politique sur le report des élections et la tenue de ces assises ?
La classe politique, en grande partie, trouve déjà que les recommandations qui avaient été formulées lors des concertations nationales ne sont pas encore appliquées. Et elle soutient par conséquent qu’organiser de nouvelles assises nationales ne pourrait aucunement résoudre quelque chose au problème.
C’est même insensé pour elle de se joindre aux autorités pour élaborer de nouvelles recommandations qui n’aboutiront à rien de nouveau.
Le projet de ces assises est porté par le premier ministre Choguel Maïga dont les propos ont dernièrement suscité beaucoup de tensions, notamment avec la France. Est-ce que sa place serait menacée ?
Effectivement. Lorsqu’on regarde une partie de la classe politique, on peut émettre l’hypothèse d’un possible changement à la tête de la Primature. Mais lorsqu’on regarde aussi les positions de Choguel Maïga avec les autorités de la transition, son possible remplacement n’est pas du tout d’actualité.
C’est imaginable, mais très peu possible en raison de la complicité qu’il entretient avec les militaires au pouvoir.
Vous estimez donc qu’il ne peut pas être sacrifié au nom de la paix par le président Assimi Goïta ?
Reconnaissons que les messages que porte le premier ministre Choguel Maïga sont soutenus et cautionnés par de nombreux maliens en plus des militaires. Ce qui diminue les chances qu’il se fasse remplacer.
Pourtant une partie de la classe politique avec les rebelles du CMA (Coordination des mouvements de l'Azawad) revendique le départ du Premier ministre. Que répondez-vous à cela ?
Ils ont leurs raisons. Et cette volonté peut s’expliquer par plusieurs faits politiquement considérables, tel que l’attitude du Premier ministre vis-à-vis des partenaires. Parce que par sa fonction, Choguel Maïga est l’incarnation des espoirs des maliens. Donc lorsque ses sorties publiques ne sont pas modérées, ça peut décevoir et emmener certains à demander son remplacement. Dans le même temps, le Mali est dans un contexte d’incertitude sécuritaire.
C’est pour toutes ces raisons qu’il faut prendre conscience qu’on ne peut pas convaincre l’opinion publique à aller aux élections.