Lanfia Kouyaté est un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale à la retraite. Fils de Namory Kouyaté et de Saran Kouyaté, c’est un griot pur-sang. L’avoir sous la main, c’est aller à l’école de la connaissance de l’Histoire mondiale parce qu’il en connaît les arcanes. Il s’est fait remarquer durant le règne du président Amadou Toumani Touré (ATT). Surnommé ATT Ka Djélikè, Lanfia Kouyaté définit le griot comme l’homme appartenant à une caste formée qui a le monopole de la tradition, qui est attaché à une grande famille et qui retrace l’histoire de père en fils.
En lui téléphonant, il est nécessaire de se rassurer de deux choses : le maximum de crédits de communication et le maximum de temps pour l’écouter, car l’homme est d’une grande culture générale doublée d’une mémoire d’éléphant. Quand nous l’avons contacté pour lui expliquer les tenants et les aboutissants de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, il nous a entretenus de l’Histoire de notre propre village, Logo-Sabouciré, pendant au moins quinze minutes. Pour finir, il a gentiment décliné notre sollicitation. Le directeur de publication El Hadj Aliou Badara Haïdara y a laissé des plumes : un rendez-vous manqué après une communication de quarante-cinq minutes. Au moins son intervention a permis de faire revenir Lanfia Kouyaté sur sa décision. Son interview nous a rappelé celle du colonel Youssouf Traoré, qui exigeait un dictaphone, plus sûre selon lui que nos prises de notes. Le grand griot n’a pas agi dans ce sens, mais il tenait à ce que tous ses mots soient écrits. Pour cela, il parlait au rythme du mouvement de notre stylo. Qui est ce griot pur-sang ? Comment du champ collectif au village il s’est retrouvé au palais présidentiel ? Comment il a rencontré ATT ? Comment il a vécu la chute de son régime à Koulouba le 22 mars 2012 ? Que pense-t-il de lui ? De sa femme Lobo Traoré ? Au terme d’un entretien marathon, et très reconnaissant à l’égard des familles fondatrices de Bamako, Lanfia Kouyaté se rappelle de tout. Nous l’avons rencontré dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Nous sommes arrivés dans la famille de Lanfia Kouyaté ce samedi 22 octobre 2021 à midi pile. Dans la cour, Mme Kouyaté, occupée au repas, nous a installé chaleureusement et chargé sa fille d’informer le chef de famille de notre présence. Le temps de finir ses ablutions, l’aide-ménagère nous a indiqué un coin du salon en attendant l’arrivée de notre héros. Alors commence pour nous la contemplation des photos accrochées au mur.
Celle du grand ATT domine les débats par la qualité de l’homme. Suivent les images de Lanfia ici avec le président Ahmed Sékou Touré de la Guinée-Conakry, là avec François Mitterrand et le reste les membres de sa famille et le symbole de son pèlerinage à La Mecque.
Quelques instants après, par sa présence il nous souhaite la bienvenue. Commence alors la grande interview pour 2 h 30. Lanfia Kouyaté est né vers 1943 à Djoliba-Koro. Ses parents ne l’ont pas inscrit à l’école française, mais il a entrepris des études coraniques dans le vestibule de l’imam du village.
Lanfia Kouyate avec ATT
Dans l’adolescence, ses activités ont porté sur les champs familial et collectif, la coupe de fagots pour sa mère. C’est pourquoi il soutient que sa présence au palais présidentiel est le fruit des bénédictions de ses parents parce qu’il n’a rien ménagé pour être à leurs services. C’est au début des années 1960, qu’il débarque à Bamako pour faire le manœuvre, et la garde d’enfants auprès des Blancs. Membre de la jeunesse de l’US-RDA de Bamako Coura, il bénéficie de l’appui du parti, quand celui-ci décide de récompenser les jeunes méritants.
C’est dans ce cadre que Lanfia Kouyaté est recruté comme manœuvre et affecté au ministère des Affaires sociales en 1963. Reconnu comme assidu et engagé pour l’organe politique au pouvoir, le chef de cabinet du ministère de la Justice, Moussa Dramé (membre du BPN de l’US-RDA), l’affecte auprès de lui avec le statut de planton. Il y reste 11 ans avant d’être muté au ministère des Affaires étrangères et mis à la disposition de la Coopération internationale.
Lanfia Kouyaté s’inscrit au cours du soir du ministère de l’Education nationale jusqu’au niveau second cycle. Avec ce cursus, il suit une formation accélérée en dactylographie et se confie au directeur général de la coopération internationale, Moustapha Dème. L’appréciation à sa juste valeur de cette initiative ambitieuse lui vaut un reclassement dans la fonction publique comme secrétaire dactylographe. Il est ensuite affecté à la division politique du ministère des Affaires étrangères dirigé alors par le colonel Charles Samba Sissoko.
Fidélité à toute épreuve
Dans ce département, il met en valeur son statut de griot lors des présentations de vœux, des événements sociaux, mais il profite surtout des délégations étrangères. D’ailleurs, il a reçu une invitation du ministre sénégalais des Affaires étrangères, Assane Seck. Celui-ci était dans notre pays du 5 au 12 mars 1976, pour une visite de travail. Comme cadeau, M. Seck lui a offert un bracelet en or. A l’époque un tel bijou comptait beaucoup.
Qu’en est-il en réalité ? Lanfia Kouyaté soutient l’avoir remis à sa femme le jour de leur mariage devant le maire. Il est resté dans ce département même après les événements du 28 février 1978. Son moral prend une douche froide 10 ans après suite à son affectation à la Coopération internationale. Cette décision ne l’enchantait pas du tout. Il s’en ouvre à l’homme qu’il a connu dans la garde présidentielle lors des présentations de vœux, Amadou Toumani Touré alias ATT. A ce dernier Lanfia Kouyaté manifeste sa désapprobation. L’officier supérieur le console seulement, parce qu’il ne pouvait rien.
Leur destin s’est croisé pour de bon quelques années après. ATT réalise un coup d’Etat et devint le N°1 du pays. Le 23 mai 1991, Lanfia Kouyaté est affecté au Protocole de la République et mis à la disposition du président du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), l’organe dirigeant.
Que retient-il du Soldat de la démocratie ? Le grand griot définit l’ancien président en douze points. Il dit Qu’ATT est grand par : sa modestie, sa capacité technique, sa qualité d’homme, sa simplicité, son courage inébranlable, son intelligence, sa dignité, sa noblesse, sa générosité, sa foi humaine, son honnêteté, son efficacité. En un mot : Amadou Toumani Touré est grand parce qu’il est d’une grande famille.
Dès lors les deux hommes sont devenus inséparables. Encore un 8 juin 2002, il est nommé au cabinet d’ATT comme chargé des affaires sociales.
Le 21 janvier 2004, l’ancien président l’envoie à La Mecque. Le 31 décembre 2010 il lui offre le prix d’une Mercedes 250. En 2011, il lui décore de la médaille de chevalier de l’Ordre national. Pendant tout le règne du président Amadou Toumani, il l’a accompagné pendant les fêtes dans les familles fondatrices.
Mieux ATT chargeait devant ces patriarches Lanfia Kouyaté de faire le suivi rigoureux des doléances formulées. Autant d’anecdotes qui n’en finissent pas.
Et puis patatras ! Arrive ce mercredi 22 mars 2012, date de la chute du régime d’ATT, à la suite du coup d’Etat le plus fanfaron par des militaires inexpérimentés, déboussolés. Comment Lanfia Kouyaté a vécu les derniers instants de son maître ?
“Le mercredi 22 mars 2012 comme d’habitude j’étais à Koulouba. Le conseil des ministres a été informé de la mutinerie à Kati. Aux environs de 13 h 30, le chef d’Etat-major particulier et l’aide de camp du président sont venus me demander de rentrer à la maison. Parce qu’ils ont libéré tout le personnel civil. J’ai répondu qu’un griot n’abandonne pas son maître dans les situations difficiles.
Si ATT doit mourir, je périrai avec lui. Je me suis installé dans une des salles d’attente où les mutins sont venus me trouver en début de nuit. Je ne sais pas en réalité quand est-ce qu’ATT a été exfiltré. Ils m’ont conduit au chef des opérations. Celui-ci a dit à ses éléments que je suis le griot d’Amadou Toumani. Il instruit à un militaire de me ramener à la maison en moto. Arrivé à Koulouba, la situation était plus confuse.
Le jeune militaire rebrousse chemin pour Kati. Il m’a mis dans les meilleures conditions dans sa famille. J’ai rejoint la mienne le jeudi matin. Je ne pouvais pas abandonner ATT, il a trop fait pour moi. Quarante-huit heures après je suis parti voir Amadou Toumani dans l’ACI 2000, pour m’enquérir de son état de santé et surtout son moral. Il m’a serré dans ses bras avec une pluie de remerciements.
Exilé à Dakar, il continuait de s’occuper de moi. Je profite pour rendre hommage à Mme Touré Loblo Traoré pour sa générosité et son sens élevé du social”.
Cri du cœur
Jeune fondateur de la République du Mali, Lanfia Kouyaté nous enseigne que le président Modibo Kéita a conçu le code de mariage pour éviter les divorces banals et cruels. Parce qu’avant le code, le mariage était à la merci des us et coutumes des différentes ethnies, c’est-à-dire que la femme était les victimes des divorces. Parce que sa famille devait rembourser la dot et tous les accessoires quels que soient le nombre d’années de mariage ou d’enfants.
Voilà l’une des raisons fondamentales qui a motivé les nouvelles autorités du pays à sécuriser le mariage et à accorder des droits à la femme.
Lanfia Kouyaté est aujourd’hui âgé de 78 ans, marié, il est père de 8 enfants. Nous avons révélé en lui du pays, malgré son âge.
Dans un cri du cœur très émouvant, il exhorte les Maliens à dépasser le stade des belles phrases pour se mettre au service de la nation en ces moments cruciaux de sa vie. Il conseille que les mauvais comportements doivent être des mauvais souvenirs au profit des bons comportements pour un lendemain meilleur du Mali. Ses conseils pour la jeunesse, l’avenir du pays se résument en sept mots : le travail, la bénédiction des parents, le courage, le sérieux, l’honnêteté, la loyauté, la patience.
Dans la vie Lanfia Kouyaté aime le bon Dieu, le Mali, le griotisme. A la retraite depuis quelques années, il se repose à la maison.