Le 04 septembre dernier, jour officiel de son investiture, le nouveau président malien n’avait pas fait mystère d’organiser, selon des goûts propres à lui, une cérémonie d’investiture plus digne de lui, lui qui, après plus d’une décennie, accède enfin au trône. C’est pourquoi, deux semaines après la consécration du Centre international de conférence de Bamako, Ibrahim Boubacar Kéita a cru bon d’inviter une vingtaine de chefs d’Etat pour célébrer avec lui son accession à la tête de son pays.
Le jeudi 19 septembre 2013 restera sans aucun doute dans les annales du Mali. Non pas parce que ce jour a vu arriver dans la capitale malienne les chefs d’Etat ou de gouvernement de la sous-région, le président de la France ou ses « pairs » du Tchad, du Congo ou du Gabon, le roi du Maroc, mais parce que ce jour a permis au Mali d’être au devant de la scène internationale, d’entonner sa symphonie dans le concert des nations après plusieurs mois de servitude et de soumission, de crises et de soubresauts, de doutes et d’incertitudes. Mais pour le nouveau maître des lieux, tout cela n’est rien : il faut faire la fête, parce que le Mali a été libéré de l’occupation jihadiste terroriste même si sa souveraineté est malmenée à Kidal encore occupée par des rebelles terroristes.
Il faut faire la fête
Il faut faire la fête parce que les autorités de la transition, malgré les doutes et craintes, sont parvenues à organiser une élection présidentielle apaisée, à l’issue de laquelle, lui IBK a été élu avec près de 80% des voix même si le fichier électoral n’a pas pris en compte des centaines de milliers d’électeurs potentiels, soit parce qu’ils n’étaient pas encore inscrits, soit parce qu’ils n’avaient pas les moyens techniques d’aller au vote. Il faut faire la fête même si Kidal n’est pas libérée alors qu’il avait déclaré à un magazine panafricain qu’il n’ira jamais au vote tant qu’une parcelle du territoire national était sous la coupe de forces étrangères. Il faut faire la fête parce que le Mali, prétendument pays démocratique, a décidé de faire valoir le vote des associations et mouvements islamistes (le Mali est soi-disant à plus de 95 % musulman), et de faire entendre les bruits de bottes. Il fallait donc une fête grandiose à la dimension du nouvel élu.
Mais comme si cette investiture à double vitesse ne suffisait pas, IBK et les siens ont eu besoin de célébrer la fête de l’indépendance, le 22 septembre, également à deux temps. Tombant sur un dimanche, les nouvelles autorités ont décidé de poursuivre le farniente au jour suivant, lundi 23 septembre, comme pour signifier aux Maliens que le temps du labeur n’est pas encore arrivé. Ainsi, en l’espace de cinq jours, les Maliens ont eu droit à deux jours chômés et fériés (jeudi et lundi), un week-end d’oisiveté (samedi et dimanche) et une demi-journée de demi-travail (vendredi). Quelques jours après son investiture à grandes pompes, le nouveau locataire de Koulouba aura amplement mérité sa réputation de fêtard oisif et paresseux, de bourgeois insouciant. Une réputation née des nombreuses années pendant lesquelles l’homme a été le Premier ministre d’un Mali en reconstruction avant d’être le président de l’Assemblée nationale d’un pays soumis aux dures lois d’une gestion consensuelle du pouvoir dans laquelle l’exécutif et le législatif étaient comme larrons en foire. Un consensus soporifique et bêtifiant auquel son parti a largement participé sans pouvoir changer la donne.
D’où, aujourd’hui, les nombreuses interrogations et les multiples doutes sur les capacités d’Ibrahim Boubacar Kéita à s’atteler à la reconstruction nationale du pays. Le président du Rassemblement pour le Mali a certes été élu avec une grande majorité lui conférant une large légitimité populaire, mais les Maliens n’ont-ils pas voté plutôt contre la classe politique que pour lui ? Est-il l’homme de la situation ?
En tous les cas, les débuts de son quinquennat ne présagent rien de bon ou de beau : à l’heure actuelle, le pays a besoin de tout sauf de folklore, de faste, de luxure. Le Mali a besoin de celui qu’il a prétendu être : un président capable de lutter efficacement contre la mauvaise gouvernance, la prédation des biens publics, la corruption à tous les niveaux. Il y a onze ans IBK n’avait pas donné l’impression d’être ce président. Il y a six ans, il avait encore mordu les carreaux devant le président ATT. Celui-ci s’étant largement compromis avec les acteurs politiques majeurs de la scène nationale, son départ a été jugé salutaire et a donné une chance à IBK qui a su jouer, jusque-là, les équilibristes, ce qui lui a valu d’hériter de la présidence et de jouir d’une certaine popularité. Jusqu’à quand ?