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Boubacar N’djim, président du M.S.D.H sur la pratique de l’esclavage par ascendance au Mali : « Les mises en garde des autorités administratives ont montré leurs limites »
Publié le jeudi 4 novembre 2021  |  Le Pays
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Dans notre rubrique « A vous la Parole » de cette semaine, nous avons accordé une interview au Coordinateur National du Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (M.S.D.H), Boubacar N’djim. Avec lui, il a été question de la vie de son association, des violations des droits de l’homme au Mali, la pratique de l’esclavage par ascendance dans la région de Kayes.

Veillez-vous présenter à nos lecteurs

Je me nomme N’Djim Boubacar. Je suis Malien, originaire de la région de la Mopti, mais je réside à Bamako. En ce concerne ma profession, je suis le Coordinateur National du Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (M.S.D.H).

Effectivement, pouvez-vous nous parler de ce mouvement ?

Le Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (MSDH) est une organisation indépendante à but non lucratif créée officiellement en janvier 2019. Il fait de la lutte contre toutes les formes d’injustice son credo. Ses objectifs sont, entre autres, : réduire au minimum la violation des droits de l’Homme sur toute l’étendue du territoire malien ; contribuer à la promotion et au respect des droits de l’Homme ; examiner toutes les situations d’atteintes au droit de l’Homme constatées ou portées à notre connaissance ; entreprendre des actions appropriées en la matière auprès des autorités compétentes ; formuler des recommandations sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme dans le cadre réglementaire, législatif et judiciaire ; collaborer avec tous les organismes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme ; veuillez avec attention sur toutes décisions ou actions du gouvernement susceptibles de porter atteinte au respect des droits de l’Homme ; informer et dénoncer tout acte d’injustice en mobilisant l’opinion publique ; mener des activités d’information, de communication, d’éducation et surtout de sensibilisation sur la promotion et le respect des droits de l’homme ; lutter contre l’esclavage sous toutes ses formes ; lutter contre l’excision, les violences domestiques contre femmes et enfants . Notre mouvement intervient partout où les droits de l’homme sont bafoués, assure la veille citoyenne et n’hésite pas à prendre position quand il s’agit de restaurer la dignité humaine.

Au MSDH, nous n’avons pas la prétention de tout connaitre, mais nous relaterons certains faits dont nous avons été témoins ou même souvent victimes indirectes avec justesse et objectivité. Notre siège social se trouve à Bamako, dans la capitale malienne. Nous avons des coordinations dans les localités suivantes ; Kayes, Diéma, Kita, Kati, Mopti, Ségou, Bougouni, Sikasso, Koutiala, Tombouctou.

Quels sont les organismes auxquels le MSDH est rattaché ?

Notre organisation est membre de la Coalition Nationale de Lutte contre l’Esclavage au Mali, du Cadre de Concertation des Organisations de Défense des Droits de l’Homme de la C.N.D.H Mali, de la Coordination des Organisations Africaines de Lutte contre l’Esclavage Moderne, et du Réseau Trust Africa.

Au Mali, nous travaillons avec toutes les communautés, toutes les sensibilités sociales.

Au Mali, la question de la pratique de l’esclavage par ascendance suscite des tensions dans la région Kayes. Elle fait même des morts et des blessés. Quelle lecture fait votre association sur ce concept de l’esclavage ?

Le respect de l’Etat de droit, force reste à la loi et la culture de la haine au sein des communautés a complètement cessé. Le prétendu statut d’esclaves est devenu un passé complètement oublié. Les valeurs traditionnelles de bon vivre ensemble dans la communauté telles que la paix, la cohabitation, l’entraide, la solidarité, la cohésion sociale, le respect de la dignité etc. ont été revalorisées.

Y a-t-il des textes au Mali contre la pratique de ce phénomène ?

A ma connaissance, il y a certaines dispositions qui sont :la Constitution du Mali de 1992. L’article premier de la constitution du Mali déclare : « Tous les maliens naissent libres et égaux en droit et en devoir » ; le Code pénal et procédure pénale. Les articles 29 et 32 du code pénal incriminent et répriment la réduction généralisée de populations civiles en esclavage et les articles 132 et 133 du code pénal prévoient et punissent l’atteinte à la liberté de travail et le travail forcé etc ; l’Instruction du Ministre de la justice et des droits de l’homme, garde de sceaux Mr Malick Coulibaly (17 décembre 2019) relative à la répression des violences découlant des protestations contre le prétendu statut d’esclaves qui a instruit à tous « les Procureurs Généraux et Procureurs de la République « d’engager des procédures pénales appropriées avec diligence et fermeté contre toutes personnes impliquées dans ces actes de barbaries… ». Cette décision conforte les autorités judiciaires dans la résolution de ces conflits. Il y a également la Convention Internationale contre la torture du 26 février 1999 ratifiée par le Mali ; et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciales du 16 juillet 1974 ratifiée par la Mali.

Décrivez plus en détail l’utilisation du système judiciaire par les victimes de l’esclavage. Qui décide d’engager des poursuites ?

Au Mali, Les victimes peuvent se constituer partie civile dans les procédures et obtenir que des dommages-intérêts soient mis à la charge de l’auteur condamné. Les citoyens peuvent accéder au conseil et à la représentation nécessaires au règlement de leurs problèmes judiciaires. En dépit de la rareté des avocats, la loi confère aux parties indigentes le droit de se faire assister par un avocat en matière civile ainsi que pénale.

Dans la région de Kayes, des communautés entières sont victimes de violations de leurs droits, violations liées à la pratique de l’esclavage par ascendance. Suite à des agressions physiques, des pratiques de torture, des manœuvres d’intimidation, de confiscations de biens etc., les présumés esclaves ont décidé de s’élever contre l’ordre établi. La tendance « des prétendus Maîtres » pense que ces formes sont une coutume, une tradition qu’il faut perpétuer, et la tendance, les prétendus esclaves » disent, “on en a assez, on refuse de s’adonner à ces formes”. Ils se sont ainsi organisés en association pour défendre collectivement leurs droits. C’est le cas de l’association dénommée « Rassemblement Malien pour la Fraternité et le Progrès », abrégée (RMFP) qui a enregistré plus d’une centaine de membres victimes des cas de torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, pratiques nuisibles etc. Dans chaque cercle de la région de Kayes, il y a au moins trois sections qui sont aussi composées de nombreuses sous-sections, par exemple, trois ou quatre villages ou plus constituent une sous-section. II y a 6 cercles dans la région de Kayes (Kayes, Diéma, Yélimané, Bafoulabé, Kita et Kéniéba).

En application à ses textes statutaires, c’est le RMFP qui fait engager les poursuites via les Procureurs Généraux et Procureurs de la République contre les présumés auteurs des actes de barbaries, telles que des agressions physiques, des pratiques de torture, des manœuvres d’intimidation, de confiscations de biens etc. de ses membres. Le RMFP signe ainsi des contrats d’assistance et de représentation avec les cabinets d’avocats. Ainsi, selon le RMFP, au moins 400 plaintes ont été déposées depuis le 17 avril 2017 à nos jours. Le rapport du monitoring et de documentation des violations et abus des droits humains d’Amnesty International Mali de 2019 a enregistré 40 affaires relatives aux formes traditionnelles d’esclavage traitées au Tribunal de Grande Instance de Kayes de 2017 à 2019 (2017 : 1 procès, 2018 : 9 procès, 2019 : 30 procès). Les plaintes continuent à augmenter et à être traitées.

Il faut préciser que plusieurs de ces jugements n’étaient pas favorables aux victimes et aussi parmi ceux qui étaient favorables, certaines de leurs décisions de justice ne sont toujours pas exécutées. La diligence des procès était surtout liée à une instruction du Ministre de la justice, garde de sceaux et de droits de l’homme relative à la répression des violences découlant des protestations contre le prétendu statut d’esclave. Cette instruction était adressée à tous les Procureurs Généraux et Procureurs de la République.

Ce qui est important de souligner, c’est que la mobilisation des ressources pour payer les honoraires, les frais de suivi des dossiers des membres de RMFP, les frais de voyage et de séjour des avocats, la facilitation de l’accès des victimes à la justice à travers les relations dans l’administration judiciaire, l’information continue et mise à jour à travers des sites internet crées y compris les groupes WhatsApp, les e-mails, le téléphone etc…sont gérés par la diaspora.

Un nombre relativement limité de procès intentés par des victimes de l’esclavage contre leurs anciens maîtres a conduit à des jugements en faveur des victimes. Pourquoi selon vous les militants anti-esclavagistes continuent-ils de demander une solution/un remède pour les victimes de l’esclavage passant par le système judiciaire ?

Les méthodes classiques traditionnelles de règlement de conflits et les mise en garde des autorités administratives ont montré leurs limites. La tendance « des prétendus Maîtres » pensent que les formes esclavagistes sont une coutume, une tradition qu’il faut perpétuer. Par contre, la tendance les prétendus Esclaves » disent, “on en a assez, on refuse de s’adonner à ces formes”. Ils ont pris conscience de leurs droits et ont décidé de s’élever contre l’ordre établi en faisant traduire à la justice les présumés auteurs des actes de barbarie ciblant les membres de leurs communautés causés par les présumés maitres. Ils exigent que force reste à la loi. C’est pourquoi ils continuent de demander une solution/un remède pour les victimes de l’esclavage passant par le système judiciaire.

Quelles sont les forces et les faiblesses d’une approche purement juridique pour mettre fin à l’esclavage par ascendance ?

Forces : le respect de l’état de droit, force reste à la loi, prendre toutes les dispositions utiles en vue d’engager les poursuites pénales appropriées avec diligence et fermeté contre toutes personnes impliquées dans ces actes de barbarie et enfin criminaliser les formes esclavagistes au Mali en adoptant une législation contre la pratique et en harmonisant les traités et conventions régionaux et internationaux ratifiés par le Mali avec la législation nationale permettant ainsi leur application effective par les agents chargés de l’application des textes.

Faiblesse : La cohabitation difficile, la culture de la haine au sein des communautés, le manque de solidarité, de l’entraide, de la cohésion sociale, d’un climat de bon vivre etc.

Les instruments juridiques au Mali ne sont pas très spécifiques pour mettre fin à l’esclavage au Mali. Le fait de qualifier les violations des droits humains en infractions peut être à l’absence d’une législation spécifique. Comparativement en Mauritanie et au Niger il existe une législation spécifique qui réprime la pratique.

Nous pensons qu’une loi spécifique peut mettre fin au prétendu statut Maitre et d’esclave au Mali. Mais force est de reconnaitre que la loi n’est pas suffisante. Avant qu’elle ne soit effective, une vaste campagne de sensibilisation doit être réalisée pour expliquer, convaincre, conseiller la primauté des droits humains sur les valeurs traditionnelles et les coutumes et aussi la revalorisation des valeurs culturelles de bon vivre ensemble.

Quels sont vos points d’attention pour une amélioration de la lutte contre l’esclavage au Mali ?

L’urgence aujourd’hui est de continuer à organiser des fora mobilisant les prétendus Maitres et Esclaves à discuter le bien fondé du vivre ensemble, à revenir aux valeurs culturelles et coutumes qui font le bon vivre, la paix, la solidarité, l’entraide, le respect de la dignité, la cohésion sociale. II faut nécessairement aussi mettre en œuvre un programme d’éducation aux droits à l’intention des leaders et les jeunes des prétendus Maitres et Esclaves dans la région de Kayes. II faut aussi Renforcer les capacités des officiers de police judiciaire, les Procureurs Généraux et les Procureurs de la République en droits humains pour une meilleure prise en charge des pratiques assimilables à l’esclavage sur toutes l’étendue du territoire. Ils pourraient plus qualifier les violations des droits humains en infraction. L’application spécifique sera ainsi un garde-fou pour renforcer le respect de ces valeurs. Une Union sacrée est aussi nécessaire entre les organisations qui travaillent en ce sens.

Sur le plan juridique spécifiquement, nous proposerions qu’il ait un article exclusivement sur le genre et la diversité dans cet avant – projet de loi de lutte contre l’esclavage au Mali. Il faut surtout protéger les droits des groupes qui subissent des discriminations pour de multiples motifs et de ceux qui sont privés de leurs droits économiques, sociaux et culturels.

Par Boureima Guindo et Issa Djiguiba

Source : LE PAYS
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