De 1960 à 1991, le Mali était-il un Etat démocratique ? Il ne s’agit pas ici, de faire un rappel de l’histoire récente du Mali, mais de retenir quelques repères importants des luttes engagées pour l’instauration de la démocratie. En effet, le 22 septembre 1960, le Mali accède à l’indépendance sous la conduite de Modibo Kéïta et de son parti l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA), qui devient de fait, le parti unique qui se positionne en rival du Parti Progressiste Soudanais (PSP) de Fily Dabo Sissoko, qui finit par s’effacer du paysage pour un temps si soit peu. La première République est née et se dote d’un régime de type socialiste qui étend ses instances dans tout le pays. Après quelques années d’exercice, le régime est décrié pour son manque d’ouverture, son autoritarisme et pour les abus commis par ses milices sur les populations.
En novembre 1968, le pays connait son premier coup d’État contre la première République, fomenté par un groupe de 14 jeunes officiers du Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN). Ils installent à leur tête, le jeune lieutenant Moussa Traoré. Si au départ, ils avaient promis de retourner dans les casernes et de remettre le pouvoir aux civils dès que les conditions de sécurité et de stabilité politique auraient été obtenues, ils renforceront plus tard, leur présence dans la durée, en interdisant des années durant, la création de partis politiques et d’associations et en confisquant les libertés élémentaires des citoyens.
Le régime militaire se durcit et bascule en 1979 dans l’arène politique par la création d’un parti unique, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) à l’issue d’un Congrès. Les organes du parti s’installent aux niveaux des villages (comités), des arrondissements (sous-sections), des cercles (sections) et au niveau national (Bureau Exécutif Central). Chaque niveau élit au suffrage, ses membres sur la base d’une liste unique de l’UDPM, ainsi que le Secrétaire Général, l’unique candidat à la présidence de la République. A première vue, quoi que différents par leurs orientations idéologiques divergentes, on est frappé par les similitudes des deux régimes.
D’un côté, un État résolument engagé dans la voie du socialisme, en rupture avec l’ancienne puissance colonisatrice, la France et de l’autre, un régime attaché au libéralisme économique. Dans l’un comme dans l’autre, le parti unique encadre les populations, monopolise leur vie politique et associative en limitant leurs libertés au nom d’une conception unanimiste du pouvoir, où l’opposition n’existe que dans la clandestinité et le concept « politique » ne s’appliquant de fait, qu’aux compétitions internes, aux seuls adhérents du parti unique de l’époque (US-RDA ou UDPM), pour l’accès aux postes de pouvoir contrôlés par l’Etat centralisé. Dans un tel statut, dans l’un comme dans l’autre, l’on peut sans se tromper, qualifier les régimes de Modibo Kéita (de 1960 à 1968) et de Moussa Traoré (de 1968 à 1991), d’autocratiques et d’autoritaires, donc non démocratiques, quand on se réfère à la définition de la démocratie unanimement admise.
Avènement de la démocratie : espoir et désenchantement !
La démocratie par définition, est le régime politique auquel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le Peuple en raison du principe de souveraineté dont il dispose. Dans une démocratie, le pouvoir s’exerce par l’intermédiaire des représentants du Peuple, élus lors d’élections au suffrage universel direct. C’est un pouvoir du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple. Au Mali, ce pouvoir du Peuple a été obtenu en mars 1991, suite à une révolution populaire noyée dans le sang, animée par les forces vives de la Nation (enseignants, étudiants, élèves, associations, sociétés civiles, etc.), contre le régime de Moussa Traoré et son parti unique, l’UDPM.
Son avènement dans ce pays avait suscité au départ, un immense espoir chez les maliens qui voyaient la fin des brimades et du poids de la dictature, de l’absolutisme et du totalitarisme des régimes dont ils ont été victimes de 1960 à 1991. Et les premières élections générales, véritablement démocratiques organisées en 1992 avec Alpha Oumar Konaré, élu Président, font croire aux maliens que l’espoir est désormais permis dans un Mali de démocratie vraie, fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs.
Mais quelques petites années ont suffi pour que les maliens se rendent à l’évidence : l’espoir qui avait commencé à illuminer le visage de chaque malien, tombe dans l’illusion et la déception. Pour cause, de 1992 à 2020, l’Etat du Mali a été bâti par des hommes et des femmes dans une gouvernance défaillante, dominée par le mensonge d’Etat, la corruption, la gabegie financière, le népotisme et l’impunité, etc., qui ont gangrené toutes les institutions de l’Etat dont sa justice qui devait être l’un des puissants piliers pour le bon fonctionnement de la démocratie naissante.
L’Etat du Mali sera malheureusement davantage affaibli en 2012, par un coup d’Etat militaire qui plonge le pays dans une série de profondes crises politico-institutionnelles, aggravées à partir de 2013, par des attaques violentes et meurtrières des terroristes, puis en août 2020 par un autre coup d’Etat dirigé par le Colonel Assimi Goïta. La situation de déliquescence de l’Etat du fait du dysfonctionnement de ses institutions, a impacté la justice restée soumise aux interférences des pouvoirs exécutif et législatif et à la puissance de l’argent au détriment du citoyen démuni, donnant l’impression de vivre dans la jungle ou de faire face à une justice à deux vitesses comme aux temps des partis uniques des années 60 et 90. Or sans une justice forte, toute démocratie dans une République, est vouée à l’échec. A ce sujet, le célèbre philosophe français Blaise Pascal (1623-1662), ne disait-il pas que « la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».
Cette citation montre à suffisance, toute l’importance d’une justice forte dans une société car elle est l’instrument fait pour corriger une inégalité, combler un handicap, sanctionner une faute, par la mobilisation d’un ensemble de règles, de statuts, de pratiques et de discours qui participe à la fonction de juger. Ainsi donc, nous devons nous remettre en cause afin de rebâtir une vraie démocratie, gage de stabilité et de développement.
Quelles leçons peut-on tirer de cet échec de démocratie au Mali ?
Trente ans de pratique démocratique au Mali, ont sapé les fondements de l’Etat, appauvri le contribuable malien en raison de la corruption, de l’impunité, de la gabegie financière et du népotisme, érigés en système de gouvernance qui n’a pas permis aux citoyens de jouir pleinement des retombées d’une démocratie, pourtant arrachée au prix du sang et de larmes en 1991. La démocratie n’a donc pas pu produire les fruits escomptés, face à un Peuple assoiffé de liberté et de justice.
C’est fort de ce constat d’échec, que le Peuple souverain exige une refondation de l’Etat du Mali, par des réformes politico-institutionnelles profondes, à la faveur des Assises Nationales de Refondation(ANR), prévues en décembre 2021. L’objectif étant, entre autres, de doter le pays, d’institutions démocratiques fortes et équilibrées dont une justice indépendante, crédible et équitable pour tous. En insistant sur le cas de la justice en tant que fondement de toute démocratie, notre démarche ne vise pas à commenter les décisions de justice, mais plutôt à mettre l’accent sur quelques faits pour l’émergence d’une justice débarrassée de toutes interférences, en vertu des principes de la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire).
Pour le cas d’espèce, il s’agit de l’affaire Issa Kaou NDjim, 4è vice-président du Conseil National de Transition (CNT), un cas de justice qui défraie la chronique en ce moment. Interpellé le 28 octobre 2021 par le Tribunal de la commune IV, pour « troubles à l’ordre public », une commission ad hoc a été mise en place à cet effet, par le CNT, qui fait office de parlement, demandant la suspension de la procédure engagée contre l’intéressé en raison de son immunité. La réaction du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA), n’a pas tardé. C’est ainsi que dans leur communiqué du 04 novembre 2021, ils dénoncent avec force, les interférences du CNT.
On est en droit de se demander si immunité signifie impunité ? Que dire alors, du cas des leaders politiques, officiers et opérateurs économiques, également mis sous mandat de dépôt depuis quelques mois ? Allons-nous assister désormais à un bras de fer entre ces deux institutions ? Cette volonté du CNT de faire taire la justice, n’est-elle pas une ingérence de trop, au moment où le Peuple du Mali, à qui revient la souveraineté de l’exercice du pouvoir, exige des réformes politico-institutionnelles en profondeur ? Des réformes qui revisiteront toutes les institutions de la République dont la justice qui constitue le socle de toute démocratie et mettront sans doute fin, aux pratiques d’une justice à deux vitesses, longtemps décriée.
En résumé, un examen rétrospectif de l’histoire de la démocratie au Mali, permet d’observer que le pays a été gouverné par des régimes autocratiques pendant les années qui ont suivi son accession à l’indépendance, jusqu’en 2020. Le pays a connu quatre soulèvements et le pouvoir a changé huit fois de main à l’échelon présidentiel : trois fois à la suite de coups d’État militaires et cinq fois à la faveur d’élections. Trois de ces élections ont été entachées d’irrégularités graves et le scrutin présidentiel a connu des contestations, provoquant une série de crises que nous connaissons aujourd’hui encore. Il semble dès lors, raisonnable de soutenir de façon inclusive, la tenue des ANR dont il est question afin de diagnostiquer tous les maux dont souffre la République en proie aux interminables crises, exacerbées par la persistance des violences terroristes.
Dr. Allaye GARANGO, enseignant chercheur-Ensup/ Bamako
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