Les acteurs opérant dans le domaine se sont engagés à fédérer leurs activités afin de rendre accessibles à moindre coût les fertilisants aux paysans
Accra, la capitale du Ghana, a abrité les 18 et 19 septembre le 1er Forum des parties prenantes de la filière engrais en Afrique de l’ouest. La rencontre a été organisée conjointement par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), le Programme engrais de l’USAID pour l’Afrique de l’ouest (WAFP), le Partenariat africain pour les engrais et l’agrobusiness en Afrique (APAF) et le Centre international pour le développement de la fertilité des sols (IFDC). La session avait pour thème : « Garantir un environnement politique et réglementaire propice au commerce et à l’utilisation de l’engrais en Afrique de l’ouest ».
Selon les spécialistes, l’agriculture africaine de façon générale et celle des Etats de l’Afrique de l’ouest en particulier, souffre d’une faible utilisation de l’engrais par les producteurs dans les champs. Cette lacune tient à plusieurs facteurs au nombre desquels, les experts ont cité l’accès limité au crédit et au financement des producteurs, les opérations portuaires inefficientes et au coût très élevé, les poids sous-optimalisés des sacs, la faiblesse des réseaux de distribution et de revendeurs des produits agricoles. Pire, les producteurs des Etats d’Afrique de l’ouest utilisent en moyenne une dizaine de kilo d’engrais, voire moins par hectare, contre une moyenne mondiale de 107 kg/hectare.
Pour corriger cette anomalie, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont convenu lors d’un sommet en 2006 à Abuja, de relever le niveau d’utilisation des engrais à 50 kg/hectare d’ici l’horizon 2015. A l’approche de cette échéance, force est de constater qu’aucun des Etats concernés n’est prêt d’atteindre cet objectif. Sur les 15 Etats membres de la CEDEAO, seuls 4 ont tant soit peu amélioré l’utilisation des engrais. On retrouve en tête de peloton la Côte d’Ivoire avec une moyenne de 16 kg/hectare, le Nigeria (13 kg/ha), le Ghana (12 kg/ha) et le Mali (11,3 kg/ha). Le Burkina Faso avec une moyenne de 8,3 kg/ha, la Guinée Conakry (6,7 kg/ha), le Niger (5 kg/ha) ou le Liberia (1,5 kg/ha) font l’objet de pâles figures dans ce tableau dressé par la rencontre.
La rencontre d’Accra était donc fondée de tirer la sonnette d’alarme et de réunir une palette d’experts comprenant les décideurs, les fabricants et négociants internationaux, les importateurs d’engrais, les producteurs agricoles, les mélangeurs d’engrais, les distributeurs, revendeurs d’engrais, les organisations professionnelles paysannes des Etats membres de la CEDEAO pour discuter de la réalisation d’une plate-forme commune afin d’offrir des opportunités d’échanges commerciaux et de contrôle de la qualité des engrais et d’adopter des approches pratiques visant à parvenir à la disponibilité et l’utilisation accrues des engrais en Afrique de l’ouest.
Le Dr Marc Lapodini Atouga, Commissaire de la CEDEAO en charge de l’agriculture, de l’environnement et des ressources en eau, demandait, à l’ouverture des travaux, que l’Afrique comble son retard agricole en améliorant l’utilisation des engrais afin de booster la productivité. Il a relevé qu’au moment où, les paysans hollandais utilisent 238 kg en moyenne d’engrais pour fertiliser un hectare, et que les paysans indiens mettent 167 kg/ha, leurs homologues brésiliens sont à 125 kg/ha, l’Afrique de l’ouest s’affiche avec une moyenne de 10 kg/ha. Entre 400 et 600.000 tonnes d’engrais sont consommés annuellement dans les pays de l’Afrique de l’ouest. L’agriculture est et demeure l’épine dorsale des économies africaines. Aucun pays développé n’a progressé en laissant son agriculture à la traîne.
L’agriculture africaine génère 40% des richesses et crée des emplois directs et indirects (en amont et en aval). Les petits producteurs sont prédominants dans la structure de production, dans un contexte caractérisé par des sols sont de plus en plus pauvres en raison de l’érosion éolienne et hydrique et de mauvaises pratiques agricoles, les effets des changements climatiques, la pluviométrie aléatoire et la démographie galopante.
IL FAUT SUBVENTIONNER. Les démographes prévoient que le continent comptera 1,2 milliard d’habitants en 2020. Malheureusement, la production agricole ne suit pas la courbe affolante de la démographie. Si la tendance ne change pas, les populations africaines seront de plus en plus dépendantes de l’importation des aliments qui affectent sérieusement les balances commerciales des Etats importateurs. Pour le Dr Marc Lapodini Atouga, il est urgent que les Etats accélèrent la révolution verte en améliorant l’accès aux engrais, aux semences améliorées, en améliorant la fertilité des sols et en réduisant les pertes post-récoltes.
Le Dr Kofi Debrah, chef du Programme de subvention des engrais en Afrique de l’ouest de l’USAID, a posé la problématique de la subvention des engrais par les Etats. Cette subvention a permis d’améliorer l’accessibilité de cet important facteur de production aux producteurs. Kofi Debrah a relevé les conséquences fâcheuses de sa suppression par des Etats comme le Cameroun ou la Tanzanie, qui a conduit à une diminution de 30% des engrais utilisés par les paysans. Il a, par conséquent, félicité les pays qui maintiennent les subventions des engrais comme le Mali et encouragé les Etats membres de la CEDEAO à faire de même.
Cette extension profiterait ainsi aux paysans de la sous-région qui en ont bien besoin. Le Dr Alain Sy Traoré, le directeur adjoint de l’agriculture et du développement rural de la CEDEAO, a relevé à ce propos que lorsque le Mali menait sa campagne de subvention des engrais en 2008, une partie de cet engrais s’est retrouvé en territoire burkinabé.
Des engrais pour un plus grand nombre mais aussi de bons engrais, a précisé la rencontre d’Accra qui a pointé la qualité souvent douteuse des engrais mis à la disposition des paysans. Une enquête menée en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria, au Togo et au Sénégal a révélé des niveaux de teneurs en nutriments bien faibles. Des manuels d’inspection et d’analyses harmonisés ont, par conséquent, été élaborés par la CEDEAO afin de veiller sur la qualité et la composition physico-chimique des engrais.
Au chapitre du financement des activités d’importation et de distribution des engrais, les opérateurs économiques ont déploré la faible collaboration des banques et, notamment, les taux d’intérêt très élevés. A ce sujet, le Dr Marc Lapodini Atouga a relevé que la Banque agricole américaine applique, depuis plus de 200 ans, un taux d’intérêt sur les activités agricoles qui ne dépasse pas un maximum de 4,75%. Son homologue européenne applique, elle, un taux maximum de 5%. En Afrique, les taux appliqués aux activités agricoles dépassent les 15%.
Le développement de l’agriculture africaine repose donc entre les mains des acteurs économiques (Etats, opérateurs économiques, importateurs, distributeurs, revendeurs, paysans, transformateurs, exportateurs, etc.).
La rencontre d’Accra a débouché sur la création d’une fédération des acteurs qui se chargera d’assurer la fluidité des engrais dans l’espace CEDEAO.