Ministre de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable, Modibo KONÉ veut mettre fin à l’orpaillage par drague qui dégrade les cours d’eau du Mali et nuit gravement à la santé des populations. Son autre grand chantier : doter Bamako d’un centre d’enfouissement des déchets. Entretien exclusif.
APP – Vous rentrez de la COP 26 de Glasgow, quels sont les engagements pris par le Mali pour la défense de l’environnement ?
Modibo KONÉ – Avant même cette conférence de Glasgow, nous avons préparé notre contribution qui donne vraiment une place prépondérante à l’énergie, aux forêts et aux déchets. Ce qui nous a permis de faire des rencontres bilatérales vraiment très intéressantes à Glasgow. Ces rencontres qui nous ont permis d’obtenir un certain nombre de partenariats pour venir en aide à plusieurs communes du Mali. Ce sont déjà des résultats concrets. Bien que l’enveloppe de 100 milliards de dollars prévue depuis la COP de Paris n’ait pas pu être débloquée, nous avons trouvé des partenaires étrangers sérieux et ouvert de bonnes perspectives en ce domaine pour les trois à cinq ans à venir.
Nous avons par exemple un partenariat avec le groupe norvégien Scatex pour doubler les capacités de plusieurs barrages hydro-électriques grâce à des énergies photo-voltaïques.
Ce groupe sera très prochainement au Mali pour exploiter ces nouvelles installations avec EDM (Énergie du Mali). Comme l’énergie et l’environnement sont deux secteurs vraiment liés, je travaille beaucoup avec Lamine Seydou Traoré, ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau. Scatex est un groupe norvégien bénéficiant du fonds nordique de développement qui intervient pour les études mais aussi pour les contrats d’achat. Ils vont ainsi financer la réalisation de tous ces investissements.
APP – À Bamako, vous venez de participer au « Forum de haut niveau pour la sauvegarde des cours d’eau du Mali » organisé par Abdoullah Coulibaly, président de la Fondation du Forum de Bamako. Voulez-vous nous en parler ?
Modibo KONÉ – En marge des IXes Journées minières et pétrolières (JMP) du Mali, ce Forum a été organisé pour montrer à l’opinion publique nationale et internationale ce qui se passe sur nos cours d’eau du fait de l’orpaillage par les dragues.
Avant même ce forum fort utile, j’ai pu faire moi-même un certain nombre de visites de terrain pour me rendre compte de visu de ce qui se passe au niveau de nos fleuves et de toutes les conséquences et problèmes que cela risque de poser à leurs riverains. Problèmes dus au fait que tous les produits utilisés par ces orpailleurs – comme le mercure et le cyanure – sont extrêmement néfastes pour le fleuve et pour la santé des populations.
Nous avons ainsi fait un premier tour sur un affluent du Niger et nous avons déjà saisi un certain nombre de dragues et de pirogues pour mettre un terme aux activités. Nous devons maintenant passer à une deuxième phase pour tenter de remettre toutes ces activités dans un cadre bien précis. Un Comité interministériel va y travailler avec les forces de sécurité, afin que ces activités illégales ne soient plus jamais vues ni tolérées au Mali.
Nous devons multiplier aussi les opérations de sensibilisation des populations pour que personne ne nous ramène plus de Chinois ou d’autres étrangers qui viennent illégalement chercher l’or et qui détruisent notre écosystème. Nous allons donc prendre toutes les dispositions afin d’arrêter au plus vite cet état de fait.
« Le mercure et le cyanure constituent une réelle menace pour l’environnement et la santé »
APP – Ce sont les Chinois qui sont particulièrement visés ?
Modibo KONÉ – Les Chinois, bien sûr, mais aussi des nationaux qui sont hélas parfois complices des entreprises chinoises pour s’installer. Les chefs de village et les maires sont ainsi souvent impliqués, ainsi qu’une partie de l’administration. Il faut que chacun prenne ses responsabilités pour que nous puissions lutter efficacement contre ce phénomène de l’orpaillage illégal qui constitue un scandale écologique.
APP – N’est-ce pas un cri d’alarme inquiétant que vient de lancer ce Forum consacré aux conséquences dramatiques de l’orpaillage ?
Modibo KONÉ – Avant même ce Forum, l’inquiétude était déjà là, avec la dégradation de notre écosystème. Quand on visite ces zones dévastées de Falémé et d’autres affluents du Niger, on se rend bien compte qu’il y a un grave problème de fond et qu’il faut prendre des sanctions.
APP – Comment entendez-vous mettre fin à l’orpaillage illégal, qui recourt à des produits toxiques comme le mercure et le cyanure, et constitue vraiment une menace pour l’environnement et la santé ?
Modibo KONÉ – Un arrêté a déjà été pris en 2018 et toute pratique d’orpaillage par les dragues est interdite au Mali. Mais il faut désormais que des sanctions soient appliquées sur le terrain.
D’habitude, nous saisissons les dragues et verbalisons. Il convient désormais que toute la chaîne de l’administration, des services de sécurité et des services techniques joue sa partition en parfaite harmonie, afin que plus jamais cette activité ne puisse reprendre.
Il faut ainsi une connexion entre la saisine des dragues et les services juridiques qui sont là pour faire appliquer la loi. Cette dernière action est encore défaillante aujourd’hui. Il faut remplacer ce cercle vicieux, qui fait que rien ne bouge, par un véritable cercle vertueux pour mettre réellement fin à cette pratique. C’est notre volonté et il y a urgence. Nous devons renforcer les sanctions et faire appliquer la loi, tout simplement.
APP – Depuis votre arrivée au ministère en juin dernier, l’ingénieur que vous êtes a pourtant pris des décrets pour tenter de mieux encadrer et réglementer cette activité traditionnelle au Mali…
Modibo KONÉ – Les choses avancent bien, mais il nous faut dégager des ressources importantes pour y arriver. L’orpaillage est une activité connue et traditionnelle au Mali, pour ainsi dire depuis la nuit des temps. Mais pour réorganiser toute cette filière, il nous faut prendre des mesures appropriées. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, car nous avons de fortes communautés venues du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire ou du Ghana qui sont implantées sur le sol malien pour cette activité d’orpaillage. Les grandes mines elles-mêmes sont parfois envahies par ces orpailleurs qui compliquent les activités d’extraction.
APP – Le secteur de l’orpaillage traditionnel fait vivre beaucoup de monde au Mali. Tout interdire va faire perdre des milliers d’emplois. N’est-ce pas le nœud du problème ?
Modibo KONÉ – C’est exact ! Bon an mal an, ces orpailleurs apportent environ 6 à 10 tonnes d’or par an à l’économie du pays. Une réglementation du secteur fera que cette quantité au moins sera tracée et que la fiscalité due à cette activité, qui ne se fera plus au noir, arrive dans les caisses de l’État pour bénéficier ainsi à l’économie du pays. Avec certaines sociétés qui sont en train de tout réorganiser, on aura bientôt une bonne photographie de l’orpaillage au Mali.
APP – L’orpaillage illégal semble bénéficier de complicités haut placées. Certains dénoncent même une véritable « mafia »…
Modibo KONÉ – Je ne pense pas que les plus hautes autorités de la transition ou que les grandes compagnies aurifères soient concernées, mais il y a une organisation en place autour de cet orpaillage qui déborde sur le fleuve. S’il y avait une mafia organisée autour des chefs de village et des communes concernées, cela finirait par se découvrir. Je vous rappelle que pour organiser et légaliser cette activité, il faut d’abord un permis d’exploration et un permis environnemental pour l’exploitation. Et depuis que je suis au gouvernement, je n’ai délivré aucun permis d’exploitation par les dragues. Jamais !
APP – Cet état de fait n’a-t-il pas de graves répercussions sur la vie économique du pays ?
Modibo KONÉ – C’est vrai. Mais les populations qui pratiquent l’orpaillage traditionnel et même illégal ne vivent bien souvent que de cela et on ne peut pas leur faire la guerre. Il faut d’abord les sensibiliser et les accompagner pour que cela s’arrête. Il faut donc leur trouver des activités de substitution : que ces populations puissent aller aux champs pour cultiver le maïs, par exemple.
Ces populations, que nous avons rencontrées, vivent de cela, elles n’ont aucun autre moyen de subsistance. Et cela concerne environ 700 000 à un million d’orpailleurs. L’État doit donc s’attaquer résolument à cette question.
« Pour que Bamako redevienne une ville propre, le groupe français Razel va s’occuper de l’enfouissement des déchets »
APP – Où en est votre projet d’enfouissement des déchets de Bamako ?
Modibo KONÉ – C’est un projet dont le financement est en train d’être bouclé par la coopération française. Les travaux de ce centre d’enfouissement technique vont être réalisés par le groupe français Razel pour dégager Bamako de ses déchets et de ses dépôts sauvages d’ordures et améliorer ainsi la salubrité de la capitale, de ses quartiers et de ses principaux marchés.
Filiale du groupe Fayat, Razel est une entreprise de travaux publics et de génie civil. Toute une organisation pertinente est mise en place à cet effet et un consultant nous prépare un modèle financier. Nous allons lancer un appel à manifestation d’intérêt pour recruter les entreprises qui vont remplacer le prestataire actuel.
Grâce à ce beau projet, nous espérons que Bamako retrouve sa splendeur d’antan et nous espérons aussi créer beaucoup d’emplois autour de la gestion des déchets. Ce centre d’enfouissement technique, qui aura en réalité deux pôles distincts sur la rive droite et la rive gauche du fleuve, va produire à terme du méthane, un gaz qui sera traité pour fournir de l’électricité et renforcer ainsi le réseau d’EDM.
Cette avancée sera parachevée par la mise en place d’une Agence nationale de gestion des déchets et permettra la création de 2 000 à 2 500 emplois dans les six mois à venir. Avec un seul but : que Bamako redevienne une ville propre. Voilà encore un projet concret.
APP – Que faites-vous pour que le Niger redevienne un jour un fleuve propre et navigable ?
Modibo KONÉ – Avec l’Agence du Bassin du Fleuve Niger (ABFN), nous avons en effet pour objectif que le fleuve Niger, qui traverse notre capitale comme une grande partie du pays, soit assaini.
Nous sommes en train de discuter avec des groupes néerlandais afin d’assurer la fluidité du trafic et la navigation du fleuve entre Bamako, Koulikoro et bien plus loin jusqu’au nord, c’est-à-dire jusqu’à Gao et Tombouctou.
Cette société néerlandaise est prête à lutter également contre l’ensablement du fleuve Niger. C’est une priorité de mon département car au Mali nous gagnons tout de ce fleuve.
C’est sur le fleuve Niger qu’est basée en grande partie la vie économique du pays. Sur les rives du fleuve, les populations s’organisent et les animaux se regroupent pour venir y boire. C’est tout au long des 1 700 km du Niger au Mali (sur les 2.400 km que le fleuve compte au total) que s’organise toute la vie économique de notre pays.
Propos recueillis à Bamako par Bruno FANUCCHI
pour AfricaPresse