Au Burkina-Faso, au Mali ou au Niger, l’Etat s’affaisse sous le poids des massacres. Les populations sont séquestrées, humiliées et traumatisées.
Un puritanisme idéologique mortifère
Aguelhoc, Banibangou, Binedama, Boulikéssi, Diabaly, Dinangourou, Dioura, Inata, Koulogon, Ogossagou, Ouatagouna, Sobane-Da, Solhan, Songho, Tahoua, Tamkoutat… Les noms des territoires burkinabé, maliens et nigériens, victimes du narcoterrorisme (Amara : 2019), sont interminables. Ces noms changent selon la volonté des maîtres du jour : les groupes narcoterroristes. Mais, pour les narcoterroristes, auteurs des vies broyées, le sujet reste le même : opposer les populations pour provoquer la rupture de leurs liens avec l’Etat. Sur les réseaux sociaux, les images abjectes illustrent leurs stratégies de communication, nimbées dans un puritanisme idéologique mortifère : installer un nouvel ordre social et politique, basé sur la terreur. Au fond de chaque être humain, ces images de propagande réveillent le dégoût et le mépris. À tour de bras, dans les rencontres publiques, les Etats décrètent des deuils, suivis des minutes de silence, devenues normales. Le mal n’est toujours pas conjuré. Hélas !
Des libertés assassinées
Évidemment, d’une certaine manière, les exécutifs actuels ont hérité de leurs prédécesseurs le narcoterrorisme. Néanmoins, les populations sahéliennes, en particulier celles du Liptako Gourma, se rassurent. Elles croient que leur honneur sera sauvé par leurs exécutifs, censés incarner leur nation. Cependant, tout cela pèse bien peu à côté des scènes d’horreur accablantes qui assassinent les libertés. Car le 3 décembre a marqué au fer rouge ce qui finit par ressembler à l’emballement sécuritaire : 31 forains périssent dans l’attaque d’un bus par des narcoterroristes à Songho-Bandiagara. En référence à l’article 121 de la Constitution, la population a déjà désobéi pour dire non au massacre de Songho. S’agit-il d’un remake de la désobéissance civile de 2020 ? Mais tout ça n’efface pas un fait têtu : l’instrumentalisation de la crise par les narcoterroristes. Elle se traduit par leur capacité de manipulation des populations. Stratégie des narcoterroristes : amener les populations à se conformer à leurs opinions, leurs modes de vie et de pensée.
Les exécutifs louvoient, le peuple tire le diable par la queue
Les narcoterroristes agissent sur les populations par la pression et le leurre. Le leurre d’un monde meilleur, d’une justice impartiale… Par conséquent, les meurtres de Songho, comme ceux d’autres villes du Sahel, s’inscrivent dans cette entreprise nauséabonde de leurre : attiser les braises des conflits intercommunautaires. Terreur sur terreur. Mais, rien ne se passe. Pour l’instant, ni les enquêtes, ni les ripostes des Etats n’arrêtent ces horreurs. Parce que tout simplement, les politiques des Etats ne rencontrent pas d’échos favorables chez les populations. A cause de l’éternelle manipulation de ces dernières par une partie des politiques, qui trompent le mieux possible pour les abuser sans qu’aucun crédit ne leur soit accordé. C’est honteux. Or, nous le savons tous, les populations sont plus intéressées par la capacité d’anticipation des dirigeants sur la crise que par leurs tristes tribulations politiques. Conséquence immédiate : de Terra à Bandiagara, les rêves de bien vivre ensemble des populations s’évanouissent. Le peuple tire le diable par la queue, les exécutifs louvoient.
Régler le casse-tête sécuritaire
En fait, les classes dirigeantes et les populations vivent dans deux univers fort éloignés l’un de l’autre. Sur les bancs des législateurs, l’hypocrisie et la récupération dominent. Au Mali, le Conseil national de transition, faisant office d’Assemblée nationale, se fait l’apôtre du Mali refondé. À maintes reprises, il fait résonner les thèmes de l’indépendance, de l’autorité, de la transparence ou de la sécurité. Cependant, la question du désintéressement personnel et du sens de l’Etat reste à travailler sur les bancs. Mais ce n’est pas le moment d’insister. Car la priorité est de répliquer, historiquement, contre les massacres. Pour cela, l’urgence c’est régler le casse-tête sécuritaire en repensant la sécurisation des personnes et des biens. D’autant que selon un grand manitou des renseignements, un des effets immédiats du retrait de Barkhane de Kidal, Tessalit et Tombouctou, c’est la réorganisation d’Aqmi pour occuper le terrain. Un air de 2012 soufflerait sur le Sahel. Le contexte actuel est bien celui des rapports de force et des jeux d’intérêts. Dans ce cadre, les exécutifs doivent se faire entendre hors de la sphère des capitales pour donner plus de visibilité à leurs actions. Réalisme politique oblige ! D’autant que l’écho reçu par le massacre de Songho a suscité un élan de solidarité nationale et internationale à considérer pour sortir du sentiment d’inutilité de l’Etat, ressenti par beaucoup : Etat autocentré et fragmenté. En ce moment, pour mieux toucher les Maliens, la tenue du conseil des ministres à Kayes, Sikasso, Mopti, Bandiagara ou Gao permettrait de récréer les liens entre la classe dirigeante et les populations. Il y va de la vitalité de la gouvernance.
Goïta-Macron, le taciturne et le volubile
Pour finir, la détérioration de la sécurité exige du sang-froid pour apaiser les esprits et se mettre au-dessus de la mêlée. Il faut éviter la traque de tout discours critique, qui est sans plus-value politique. Attention à la « névrose politique ». Pour rappel, Moussa Traoré est tombé en 1991 à la suite du dialogue de sourd entre lui et son peuple. Son régime s’est embourbé dans la boue toxique de la dictature. Actuellement, les arrestations de certains artisans de la démocratie malienne tels que Soumeylou Boubèye Maïga ou Oumar Mariko pourraient susciter un rejet de l’exécutif par une partie des Maliens, qui ont le sentiment qu’à Bamako on brasse du vent alors que le reste du territoire est sous pression narcoterroriste. Ces arrestations disent quelque chose des difficultés à concilier justice et droit. Cela fait grincer des dents.
D’autres priorités, c’est le respect du calendrier des élections générales, pour éviter l’impasse des « […] sanctions économiques et financières […] » de la Cédéao. D’ailleurs, la rencontre de la semaine prochaine entre le président français Emmanuel Macron, le président de la transition malienne, Assimi Goïta, et Nana Akufo-Addo, président du Ghana, président en exercice de la Cédéao, constituerait un moment pour apaiser les relations conflictuelles entre Bamako et ses partenaires. Ce qui est sûr, ni Macron (43 ans), ni Goïta (38 ans) et ni Nana Akufo-Addo (77 ans) ne veulent perdre la face. Face aux Russes, il faut reprendre la main. C’est un moment décisif entre un Président civil volubile et un Président militaire taciturne, arbitré par leur aîné de trente ans environ. Les expressions « […] abandon en plein vol […] » ou « […] légitimité du gouvernement actuel démocratiquement nulle […] » seront mises sous le tapis. Le risque est trop grand. Politiquement.
Mais, l’enjeu n’est-il pas de renouer le fil du dialogue et du rassemblement avec les Maliens ?
Quel modèle de coopération durable entre le Mali et la France ?