Au 21e siècle encore, il existe au Mali, un peuple ostracisé, que les préjugés ont placé au ban de la société : Les Marakabani. Curieusement, ce peuple semble inconnu des historiens, des ethnologues et autres…
Warazan Dembélé est un autochtone de Mpessoba, une petite commune de l’inter-fleuve, dans la région de Sikasso. Le regard lointain et douloureux, le sexagénaire parle de son enfance : « Enfant, je m’étonnais, du fait que pour certaines choses, on m’écartait des autres enfants de mon âge, on faisait des allusions, de petites phrases blessantes à mon endroit, on m’interdisait l’accès à certaines cérémonies, on me traitait de Marakabani, sans que je ne sache ce que cela signifiait ».
La contrée de Mpessoba est en effet majoritairement peuplée de Minianka et de Sénoufo. A côté d’eux, un peuple, dont on parle en se retournant, en crachant même les Marakabani.
A priori, rien ne permet de les distinguer des autres. « Il faut vraiment être chez nous pour les connaître », affirme notre guide, le griot Mandé Kouyaté. Selon lui, dans la zone, on les retrouve à Mpessoba, Ngorosso, Yagansso, Zansoni, Bogoni, Pisangasso, Kokosso, Somasso…
En effet, ils sont de patronymes Traoré, Koné, Dembélé, Kéita…, ce qu’il y a de plus commun.
Il est difficile de savoir combien sont les Marakabani.
« En fait, aucun recensement n’a pris en compte ces spécificités. Cependant, on peut estimer qu’ils existent dans tous les villages de la région de Sikasso. Dans les villages comme Mpessoba, Ngorosso, Yagansso, Zansoni, Bogoni, Pisangasso, Kokosso, Somasso… dans les régions de Sikasso, Koutiala », affirme Mandé Kouyaté, griot à Mpessoba.
Ce que vit un Marakabani est une situation de parias, interdit de se mélanger aux autres, de partager les joies et les peines de la communauté, de se marier avec les autres. « Ils sont juste tolérés », ajoute le griot Mandé Kouyaté.
Kartiè Coulibaly, chef du village de Mpessoba nous énumère la liste des « malédictions » que portent les Marakabani dans le voisinage, dans le village : « Lorsque vous rencontrez tôt le matin, en allant au champ, un Marakabani, il faut rebrousser chemin ou le fouetter, sinon, c’est une mauvaise récolte qui s’annonce pour vous » ; « Il ne faut jamais qu’un Marakabani soit parmi les convives à un mariage, un baptême ou n’importe quel événement heureux. Ils portent malheur » ; « On ne se marie pas à un Marakabani, on ne fait même pas l’amour à une fille Marakabani. Ils portent de la guigne. Cela se vérifie même demain. Si vous êtes riche et que vous couchez avec eux, ou les épousez, sachez que vous avez signé votre perte ».
Il poursuit : « En tant que chef, je peux vous dire que j’ai entendu et vu beaucoup de choses les concernant. Mais je reste convaincu qu’il y a quelque chose d’extrêmement important et peut être dangereux qui se cache derrière leur origine. Dans la communauté, tout le monde se glorifie de son histoire et de ses origines, sauf eux. C’est une chose d’être marginalisée mais que des gens cachent autant qu’ils sont, ça veut dire qu’il existe une vérité enfouie ».
« Depuis tout petit, on m’a toujours appris que l’on ne devait rien faire avec les Marakabani. Certes, je n’ai jamais compris pourquoi, mais, en même temps, voir une ethnie, une communauté mise au ban de la société de cette façon sur des générations, ça veut dire qu’il y a une part de vérité », dit Barou Coulibaly, boutiquier à Mpessoba. Même s’il ignore les raisons, il se dit curieux de savoir un jour les raisons de cet ostracisme.
Warazan Dembélé, dit être conscient des préjugés qui frappent sa communauté. « Je suis Dembélé, d’ethnie Maraka, Sarakolé. Petit, je m’étonnais de voir ma famille faire appel à des Coulibaly à chaque fois qu’il y’avait problème chez nous, de voir que nous étions écartés dans beaucoup d’événements du village. Quand j’ai posé la question à mon père, il a juste dit que je ne peux pas comprendre pour le moment ».
Le vieux Warazan Coulibaly, soutient que ses investigations auprès de son père lui ont permis de comprendre que les Marakabani viennent de Koumbè derrière Koutiala. « Dans le temps, il y a eu une guerre dans cette localité et deux frères Coulibaly ont quitté la zone pour s’installer à Zansoni. Le petit frère refusait de travailler et rendait la vie impossible à son grand frère. Ce dernier lui disait que s’il continuait ainsi au moment de son mariage, il n’allait pas le soutenir. Et quand le petit frère Coulibaly a voulu se marier, n’ayant pas les moyens, c’est une Dembélé qui va le délivrer. Du coup les enfants issus de ce mariage ont tous porté le patronyme Dembélé, comme leur mère ». C’est selon lui, l’origine des Marakabani.
Délit de faciès
« Le lieu d’habitation change les hommes, leurs histoires, leurs valeurs et leurs cultures. Les Coulibaly d’ici parlent Minianka et nous les Dembélé, le Bambara. De ce que j’ai compris, c’est que le Marakabani n’est autre que le Minianka qui s’est renié pour embrasser une autre ethnie plus précisément le Maraka, à travers une femme de cette ethnie », explique le griot Mandé Kouyaté de Mpessoba, le seul du reste disert, qui s’exprime ouvertement. Pour tous les autres, y compris les Marakabani, il faut des heures de patience et de questionnements pour leur tirer de temps un temps un mot, une phrase.
Une autre version rapportée par un habitant de Koutiala est que derrière l’origine des Marakabani se cache une vérité horrible : « Un Minianka aurait pris la virginité de sa première fille qui est tombée enceinte. De ce fait, toute la descendance de cet enfant issu de l’inceste a été maudite, bannie et complètement reniée », rapporte-t-il.
« Lorsque l’on change d’environnement, il faut tout faire pour se conformer et s’adapter aux réalités de cette localité. Je vis à Mpessoba depuis 1965. A mon arrivée, la première chose que l’on m’a dit, c’est : fait attention à ne jamais avoir des relations avec les Marakabani, car ils portent la guigne. Face à mon scepticisme, on m’a rapporté beaucoup d’anecdotes. Mais, je dois dire que j’ai été personnellement témoin de plusieurs cas. Un ami à moi s’est entêté à sortir avec une Marakabani jusqu’à l’épouser. Ils ont eu un enfant, mais mon ami a connu une mort lente et terrible. Un célèbre marabout d’ici qui avait plus d’une soixantaine de disciples avec trois beaux chevaux, a épousé une Marakabani, arguant que le Coran abolit les classes et les préjugés. Peu de temps après, il a tout perdu jusqu’à se promener en haillons et à mendier sa pitance. On ne peut pas être témoin de tout ça et continuer à croire que ce ne sont que des préjugés », affirme Mandé Kouyaté le griot.
Il ajoute : « En plus, j’ai des amis qui m’ont confié que quelqu’un qui couche avec une fille Marakabani, perd automatiquement et de façon visible, une taille, et voit son sexe se rétrécir également. Cela est infime par rapport aux conséquences sur sa vie entière. Beaucoup de personnes ont entamé des procédures de mariage pour les arrêter dès qu’ils apprennent l’origine Marakabani de la femme ou de l’homme. Malgré cette découverte tardive, ils n’échappent pas aux conséquences ».
Kartié Coulibaly, chef du village, dit ce qu’il a toujours entendu les concernant : il est formellement interdit de prendre part à l’enterrement d’un Marakabani. « Un peul, par curiosité a voulu enfreindre, on ne l’a jamais revu ».
« Les Marakabani sont des personnes qu’il faut éviter de connaître, de côtoyer, de croiser surtout le matin de bonheur. Mes grands-parents, mes parents, les frappaient lorsque l’on les croisait le matin en allant au champ. C’est la seule solution pour conjurer le sort. C’est une réalité de notre terroir. Ils ne peuvent même pas s’en plaindre. Car ils connaissent la raison pour laquelle ils sont tant rejetés par tous. Certains parlent de démocratie. Ils oublient que la démocratie a trouvé des réalités ancrées dans l’histoire », raconte Sidiki Coulibaly, habitant de Mpessoba.
« Nous, Marakabani, sommes victimes de beaucoup de préjugés, de dénigrement, de rejet… Les Minianka viennent chercher nos enfants en mariage pour les laisser tomber après sous prétexte qu’elles sont d’une ethnie bannie, qui porte la poisse, la malchance », déplore Warazan Dembélé.
Docteur Mamadou Diawara, socio-anthropologue, a fait sa thèse sur les Maraka. Il marque son étonnement par rapport à notre sujet : « Je travaille sur ce sujet depuis plus de 30 ans, je n’ai jamais entendu parler des Marakabani », explique-t-il en promettant de retourner à ses études.
C’est également l’avis de Dr. Facoh Donki Diarra, historien, ayant étudié les peuples de Ségou et du moyen-Bani. « Je vais chercher à en savoir plus, mais, c’est une première nouvelle pour moi », dit-il.
Pour Me Brahima Konaté, 4e secrétaire aux affaires juridiques et judiciaires de l’Association malienne des Droits de l’Homme, (AMDH), « de façon générale, toute pratique discriminatoire est prohibée par les lois nationales comme internationales. Ostraciser une communauté est une violation et cela dénote du non-respect du principe de l’égalité de tous devant la loi et d’une pratique culturelle ou cultuelle. Une communauté qui vit cette situation vit une exclusion » peut être considérée comme une communauté exclue ».
« La loi ne permet pas que les considérations liées à la race, à l’ethnie, à la religion soient prises en compte pour la promotion de la discrimination. Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Donc aucune considération liée à la race, à l’ethnie ou une religion ne peut prévaloir quant à l’épanouissement des uns et des autres par rapport aux droits et aux devoirs », ajoute-t-il.
Ces réalités ne sont point en phase avec les articles de la déclaration universelle des droits de l’homme en ses articles premier, deuxième et troisième qui disent que : « tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité », « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » ; « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. ».
Ce premier article n’a pas sa raison d’être s’il ne s’applique pas à tout le monde.
En effet, cette déclaration vient mettre les populations du monde au niveau en matière de droits, de dignité, de devoirs et autres. Force est de reconnaître qu’à ce jour, dans certaines contrées du Mali il existe une inégalité très flagrante. Cette inégalité met en marge les Marakabani.