La voie à suivre pour réussir le processus de réconciliation, les mesures à entreprendre pour une mise en œuvre intelligente de l’Accord pour la paix et la réconciliation sont des sujets évoqués dans cette interview par le chef de la Mission d’appui à la réconciliation nationale. Mahamadou Diouara s’exprime également sur les missions assignées à la structure qu’il dirige
L’Essor : Quelles sont les principales missions assignées à votre structure et quelle est la durée de son mandat ?
Mahamadou Diouara : La Mission d’appui à la réconciliation nationale (Marn) a été créée en 2017 par les autorités de l’époque. Cela faisait suite à l’expérience du ministère de la Réconciliation qui avait été créé en 2013.
De cette année à 2017, ce département a opéré mais sans direction nationale ni régionales et sans services déconcentrés, alors que la Marn couvre l’ensemble du territoire national. Le besoin s’était fait ressentir d’avoir une structure qui serait à même d’apporter concomitamment un apport technique et opérationnel à ce département qui venait d’être créé.
La Marn a pour missions d’appuyer le ministre de la Réconciliation nationale dans toutes les missions à lui assignées par le gouvernement ; de faciliter la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger (APR) à travers des actions de dissémination du texte, mais aussi dans l’accompagnement du processus.
Il s’agit également d’opérer des études sur les causes et les manifestations des conflits en République du Mali ; d’opérer des actions de prévention et de gestion des conflits à l’échelle nationale, régionale et micro-locale (les communes). Et en même temps de travailler à la promotion de la citoyenneté, de la culture de la paix et de la démocratie.
Pour mener à bien ses missions, la Marn est dotée d’équipes régionales dans chacune des régions. Ces équipes régionales à l’échelle locale ont procédé à la mise en place des comités communaux de réconciliation dans les différentes communes. Le mandat de la Marn est de trois ans renouvelable.
L’Essor : Parlez-nous des acquis et des contraintes majeures rencontrées par la Mission depuis votre arrivée aux commandes ?
Mahamadou Diouara : La Marn se réjouit d’avoir réussi non seulement à avoir des équipes régionales dans presque toutes les régions. Nous avons mis en place beaucoup de comités communaux de réconciliation. Au-delà, la Mission a véritablement attaqué, sur le territoire, des problèmes à l’échelle nationale, régionale et communale, voire jusqu’au niveau des villages. Dans toutes les régions du Mali, nous sommes intervenus et grâce à Dieu, nous avons très souvent, réussi à mettre fin à des conflits. Très souvent, nous avons pu éviter que certains conflits accèdent à leur niveau de violences ouvertes (affrontements).
Maintenant, ce qui est important c’est que nous avons une mission d’envergure nationale d’appuyer le ministère de tutelle dans la validation de la politique nationale de réconciliation. Ainsi, nous avons nous mêmes, opéré plusieurs missions dans les régions pour les consultations en vue de la validation de la stratégie nationale. Mais, la réconciliation étant transversale, les conflits ont une source sectorielle, et leur résolution durable doit être faite par des solutions de la même nature. La médiation, le dialogue, la sensibilisation que nous portons permettent généralement de calmer les ardeurs et les tensions. Si c’est un problème d’eau qui est à l’origine, il faut aider à ce que les gens aient des points d’eau...
C’est donc pour cela que pour exécuter ses missions, la Marn avait initié, sous l’autorité du ministre de tutelle, l’élaboration d’un schéma directeur de la réconciliation. Lequel s’appuie sur la stratégie nationale de la réconciliation mais qui s’élargit sur les différents documents de stratégie de politique sectorielle. Ce schéma fixe une vision qui est de construire les fondations solides pour un vivre ensemble harmonieux au Mali dans une acceptation des différences et de la diversité.
Parce que, de Kayes à Kidal, vous constaterez que les problèmes que nous avons résultent de notre difficulté à gérer ou à digérer nos différences et notre diversité. Il est important que l’on amène les Maliens vers une convergence de vue et un cadre de coexistence pacifique, accepté où chacun reste ce qu’il est tout en respectant les autres dans ce qu’ils sont et vice-versa.
Pour avoir un pacte de stabilité sociale qui a un sens et qui ne soit pas juste un fait politicien, il y a un préalable. Nous avons analysé la situation du pays, qui présente trois gros soucis en dessous desquels se trouvent d’autres problèmes sous-jacents. Le premier, c’est la crise du Nord que le Mali connaît depuis son accession à l’indépendance. Cette crise était censée être résolue par l’APR. Hélas, cet Accord lui-même est tombé en crise du fait que bien des Maliens ne l’ont pas compris, autant du côté des groupes armés, du gouvernement que de la population. Il est donc urgent d’aller vers la construction d’un consensus national autour du texte. Pour ce faire, il faut d’abord que les gens comprennent l’Accord pour y adhérer ou le modifier.
Une fois qu’on fait une bonne dissémination et que les gens arrivent à faire comprendre le document, ils décideront s’il doit être révisé ou pas. S’il doit être révisé pour que le consensus soit trouvé, il le sera de façon collégiale, conformément aux prérogatives que l’Accord lui-même prévoit en son article 65. En tous les cas, il faudrait prendre les mesures nécessaires afin d’avoir un consensus national autour de l’Accord pour que le problème du Nord puisse trouver sa solution.
Le deuxième problème, c’est la crise que nous avons dans le Centre du pays qui tente de migrer un peu vers le Sud. Cette crise est caractérisée par le fait qu’au niveau micro local, les communautés sont en conflits, soit en leur sein, soit entre elles. La pression criminelle forte qui avait été exercée sur l’État par les groupes terroristes avait provoqué un moment donné des reculs de la position de l’État. Et cette absence ou faible présence de l’État a permis de voir germer des mécanismes multiples d’auto-défense qui amènent chaque acteur à être dans une dynamique d’autoprotection. L’autoprotection engendre une situation désastreuse.
L’idée est de faire en sorte de soustraire les acteurs dans cette dynamique d’auto sécurisation pour les inscrire dans une logique de coproduction de la sécurité au sein de chaque collectivité conformément à l’esprit de l’APR. Cette logique qui voudrait que dans la dynamique de la sécurité humaine les collectivités soient amenées à fournir des membres qui vont assurer la sécurité de proximité avec la population. Cela, sous l’égide des comités consultatifs locaux de sécurité prévus par la réforme du secteur de la sécurité.
Le troisième problème, c’est la grosse tempête qui nous vient de l’Ouest du pays qui se présente sous l’angle du phénomène de l’esclavage. Mais qui traduit une certaine dynamique de transformation sociale profonde mue par une remise en cause par une bonne partie de la population de la zone actuellement dans la diaspora socialisée à un autre modèle qui ne trouve plus sens dans la logique culturelle fondamentale ayant prévalu à l’installation de l’ordre socioanthropologique. Il est important d’aller à une reforme sociétale profonde.
Il s’agit donc pour nous de faire en sorte que l’État anticipe, encadre les transformations pour que celles-ci soient négociées et consenties plutôt qu’imposées par la violence et par les conflits. Le schéma directeur est décliné en sept axes d’interventions avec 39 objectifs et 67 activités.
L’Essor : En quoi est-ce que la Marn peut aider les autorités de la Transition dont la volonté est de gagner le pari de la mise en œuvre intelligente de l’Accord ?
Mahamadou Diouara : Aujourd’hui, l’Accord pour la paix et la réconciliation a besoin d’être compris pour être mis en œuvre. Parce que l’Accord a un projet qui est la régionalisation qui, à son tour, a une ambition. C’est celle de faire en sorte que dans chaque région, les populations de la localité, segment par segment, s’organisent pour évaluer leurs besoins de développement territorial. Ce, en élaborant leurs stratégies pour mettre en œuvre les actions de ce développement territorial afin d’en être les bénéficiaires.
Mais tout cela, dans l’encadrement et bien entendu le strict respect de la loi générale de l’État, de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. Cela requiert d’étendre des compétences plus élevées aux collectivités qu’elles n’ont actuellement, de créer les mécanismes par lesquels elles vont acquérir des ressources plus importantes que d’ordinaire, et que cet exercice puisse se faire correctement. Ce travail de compréhension rentre dans les prérogatives de la Marn.
C’est pour cela que la Mission, dans le cadre du schéma directeur, a proposé un programme d’appropriation nationale de l’Accord, lequel découle d’une nouvelle stratégie de dissémination du document. Cette stratégie de dissémination tire les enseignements de la pratique ayant été faite depuis 2015 qui était beaucoup plus basée sur l’approche cognitive. Cette fois-ci, nous y avons opposé une approche conative.
L’Essor : Vu le contexte sécuritaire dans notre pays, la Mission est-elle en mesure d’exercer convenablement ses activités sur l’ensemble du territoire national ?
Mahamadou Diouara : Depuis que nous sommes à la tête de la Marn, nous avons mené nos missions partout sur le territoire et grâce à Dieu, il n’y a pas une seule région dans laquelle nous n’avons pas intervenu. Je peux dire que la Marn fait partie des rares services qui sont présents sur tout le territoire, tous cercles et régions confondus, avec nos équipes régionales et nos comités communaux de réconciliation.
Toutefois, cela n’enlève en rien l’acuité et l’apprêté de la situation sécuritaire sur le terrain. C’est le lieu pour moi de saluer les membres des équipes régionales et des comités communaux qui risquent leurs vies tous les jours à intervenir dans les zones où ils n’ont aucune sécurité.
Mais, par patriotisme et par crédibilité en leur corps social, ils sont acceptés et ils arrivent à intervenir, et l’ensemble des membres de la Marn qui m’accompagnent très souvent dans des zones hautement risquées, et pour des missions âprement dangereuses.
L’Essor : Quel message de réconciliation avez-vous à l’endroit de vos compatriotes ?
Mahamadou Diouara : Le Mali est notre seul bien commun. Ce qui est dramatique, c’est que de Kayes à Kidal et de Taoudéni à Sikasso, l’essentiel des actions d’insécurité dont les Maliens sont très souvent victimes, sont du fait d’actes posés par d’autres compatriotes.
Il y a certes quelques étrangers parmi nous, mais l’écrasante majorité des actions hostiles posées dans nos villages sont commises par des Maliens et très souvent ressortissants de ces mêmes localités. Il est important qu’on comprenne que le bonheur ne résulte pas d’une action extérieure, ce n’est pas dans une destination qu’il faut aller trouver, ça ne se trouve pas non plus dans une boutique qu’il faut aller acheter.
Le bonheur ne se trouve que par la bienséance des autres envers nous et par nos bonnes œuvres envers les autres. C’est pour cela que nos valeurs sociétales qui nous ont étés transmises par nos devanciers, nous enjoignent à aller vers une certaine bienséance. Parce que, c’est ensemble que l’on construit notre bonheur. Il appartient aux Maliens de s’engager dans la coproduction de la sécurité et de bienséance partagée pour qu’on aille de l’avant. Et cela, à travers l’unité nationale autour des autorités pour que le pays trouve la voie pour s’en sortir.