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Mohamed Ag Assory, analyste politique : « Macron aurait estimé qu’il aurait plus de gain politique en restant en France … »
Publié le mercredi 22 decembre 2021  |  Mali Tribune
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© Autre presse par DR
Le président français Emmanuel Macron et le président de la transition malienne Assimi Goïta.
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Annulation de la visite du Président français Au Mali ; les Assisses nationales de la Refondation boycottées par une partie de la classe politique, des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger et par les partisans de l’imam Mahmoud Dicko ; le sommet des chefs d’Etat de la Cédéao ; la question de Wagner… Mohamed Ag Assory, analyste politique, spécialiste des relations internationales et Directeur fondateur de Tidass stratégie consulting, livre son analyse.
Mali-Tribune : Nous sommes à 16 mois de la transition sur les 18 mois prévus par la Charte de la Transition. Quel bilan dressez-vous de ces 16 mois ?



Mohamed Ag Assory : Disons que nous avons connu deux étapes dans la transition. Ce n’est pas homogène ; ce n’est pas un processus linéaire. Il y a deux étapes : la première avec l’ancien Président de Transition et son Premier ministre (Bah Ndaw et Moctar Ouane), et la deuxième celle de Assimi et Choguel. Mais, ce que je constate est que les dénominateurs communs entre les deux, c’est surtout une absence de consensus politique et une non lisibilité des priorités, même s’il y a eu certaines avancées s’agissant de la loi électorale dont le projet a été déjà adopté en Conseil des ministres. Sur les autres fronts, il n’y a pas de consensus politique, l’insécurité continue. Il n’y a pas un bilan élogieux si on se réfère aux objectifs d’une transition de façon standard.

Mali-Tribune : Annoncer pour ce lundi à la dernière minute, le Président français a annulé sa visite sur Bamako. Quelles en sont les raisons, selon vous ?

M A. A.: A défaut des versions officielles de deux gouvernements, il est très difficile de dire avec exactitude quelles sont les raisons de cette annulation de dernière minute. A ce stade, on peut essayer d’émettre deux hypothèses. La première est peut-être due à la question interne à la France voire une question de politique intérieure avec la progression de l’épidémie du Covid-19, peut-être le Président Macron aurait estimé qu’il aurait plus de gain politique en restant en France auprès de ses concitoyens que de venir juste pour la photo de Noël au Mali parce que je pense toujours et je continue de penser que cette visite s’inscrit plus dans un agenda interne à la France que dans un agenda international parce que je ne pense pas, vu la profondeur de la crise diplomatique, qu’une seule visite puisse sauter tous les verrous. La seconde hypothèse c’est peut-être d’un non accord entre les deux parties sur le contenu de la forme et le fond de cette visite. Donc on peut émettre cette hypothèse sans être dans les secrets de Dieu, mais les versions officielles pourront nous en dire davantage.

Mali-Tribune : Réunis le 12 décembre dernier, les chefs d’Etat de la Cédéao ont exigé la tenue des élections aux dates indiquées, le 27 février 2022, sous peine des sanctions additionnelles qui seront imposées dès le 1er janvier 2022. Objectivement, en deux mois, pourrions-nous organiser des élections libres et transparentes ?

M A. A.: Je crois que nous sommes en diplomatie. Vous savez qu’en diplomatie, ce qui est dit le plus souvent publiquement n’est pas ce qui est recherché politiquement en douce. Aujourd’hui, tenir les élections en février, c’est utopique, mais je crois que la position de la Cédéao est vraiment de mettre la pression maximale sur les autorités de Transition pour avoir un calendrier et surtout pour avoir certaines garanties, par exemple, il ne faudrait pas changer les règles du jeux, s’agissant des élections à venir, mais aussi du sort des autorités de la transition. Seront-elles candidates ou pas ? Je crois que la pression de la Cédéao, de façon politique et diplomatique, c’est vraiment d’avoir des garanties, surtout d’avoir une dernière Transition, parce qu’il ne faudrait pas juste donner un chronogramme pour donner un chronogramme. Il faudrait s’y atteler et qu’il n’y ait pas une autre prorogation. Je crois qu’il faudrait voir ces sanctions dans ce sens.

Mali-Tribune : Après deux reports sine die, les Assises nationales ont débuté le 11 décembre et prendront fin le 30 décembre. Déjà, une partie de la classe politique, des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger, et les partisans de l’imam Mahmoud Dicko ont déclaré leur non-participation aux ANR. Que doit faire le gouvernement pour que d’ici le 30 décembre, tout le monde participe à ces Assises afin qu’elles soient inclusives ?

M A. A.: Les Assises ne dérogent à toutes ces autres conférences nationales qu’on a eues (dialogue national inclusif, états généraux, les Assises sur le nord). Il est toujours très difficile d’avoir un consensus. Ce sont des questions politiques. Donc, c’est tout à fait normal que les différents acteurs n’aient pas la même lecture. Ce sont des jeux démocratiques. Maintenant, quant à la pertinence de ces Assises, chacun est libre de se faire sa religion, mais il est très difficile que ces Assises, organisées comme tel, ne souffrent pas d’une contestation ultérieure, même au-delà de cette Transition. C’est vraiment dommage que la classe politique n’ait pas saisi cette opportunité pour s’unir atour du Mali et essayer de dégager des pistes consensuelles. Je crois que le coup est parti. Tout comme le Dialogue national inclusif (DNI), les résolutions de ces Assisses pourront, dans les années à venir, être contestées par une partie de la classe politique.

Mali-Tribune : Depuis quelques temps, une guerre est déclenchée contre le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga par une partie de la classe politique qui réclame sa tête. Pourquoi un tel acharnement ?

M A. A.: Nous sommes en politique. En politique, les acteurs font toujours de telle sorte qu’ils accèdent au pouvoir. Ceux qui y sont font de telle sorte qu’ils y restent ; ceux qui n’y sont pas font de telle sorte qu’ils y arrivent ou quelqu’un d’autre soit à la Primature qui puisse combler certaines de leurs attentes. Donc, on est en politique. Ce sont de très bonnes guerres!

Mali-Tribune : On assiste à une recrudescence des attaques contre les civils ces derniers temps au Mali, au Niger et au Burkina. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?

M A. A.: C’est vraiment une donne qui existe depuis 2015-2016. On est dans la continuité de cette stratégie de terreur, conduite par les groupes armés terroristes dépendamment des pays, même si nous sommes au Sahel. Mais, chaque pays a ses réalités. Il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est que les groupes radicaux ont toujours eu cette stratégie de terreur, c’est- à-dire, faire le maximum de dégâts et jouer sur les esprits. Maintenant, ce qui se passe au centre du pays au Mali, ce ne sont pas forcément les mêmes raisons qu’ont lieu les attaques au Burkina ou au Niger, même si en fond de toile nous avons toujours des groupes radicaux qui ont pratiquement les mêmes agendas au centre. Il y a vraiment une volonté de la part des groupes djihadistes d’assujettir les derniers villages ou les rares villages Dogon qui ne se soumettent pas à leur diktat. Ces dernières attaques s’inscrivent dans cette logique. Je crois qu’on est toujours dans la continuité de la stratégie de la terreur.

Mali-Tribune : Le Sahel et le retrait partiel de la force Barkhane : Quelle analyse faites-vous de ce retrait partiel?

M A. A.: Ici au Sahel, la terminologie compte beaucoup, parce que certains parlent de retrait, d’autres parlent de réorganisation, de transformation de la force Barkhane à Takuba. De mon point de vue, on est plutôt dans une situation qui se rapprocherait à une réadaptation du dispositif. Donc, on n’est pas dans un retrait, comme les Américains en Afghanistan ou un scenario pareil. Mais, la menace terroriste existe. Ce n’est même pas une menace, c’est une réalité de la donne terroriste, et elle gagne de l’ampleur en fonction de certaines zones même si nous ne sommes plus dans le même contexte que 2012-2013 où des milliers de djihadistes déferlaient sur les villes du nord et le centre du pays. Mais, nous sommes dans un contexte où ces groupes qui avaient été dispersés par la première intervention demeurent encore plus actifs, mieux réorganisés et qui ciblent souvent les endroits où les forces internationales et les forces nationales ne sont pas très présentes. C’est tout à fait logique de revoir tous ces dispositifs, parce que beaucoup de personnes se posent des questions malgré l’existence des forces internationales et autres, les terroristes gagnent du terrain et continuent de faire des victimes et autres. C’est tout à fait logique de mon point de vue qu’on revoie tout ça. Maintenant, est-ce qu’il a été fait comme il devrait l’être ? Je ne le pense pas, parce que vu les bisbilles qui existent entre le gouvernement malien et les partenaires, il semblerait qu’il n y a pas eu une vision commune concernant cela, et c’est vraiment dommage, parce que mener des telles opérations, réussir un tel combat requiert quand même une unité politique des différents intervenants, et puis, toutes les forces en présence doivent faire une même lecture de la situation.

Mali-Tribune : Les États-Unis mettent en garde le Mali quant à un recours aux mercenaires russes. Pourquoi la communauté internationale est aussi inquiète quant à l’arrivée probable de Wagner au Mali ?

MA. A. : Wagner, comme vous le savez, fait partie du dispositif informel de la politique internationale de la Russie. Donc, les autres pays rivaux de la Russie, comme le bloc de l’Occident, sont également dans leur rôle. Nous avons quand même une guerre d’influence qui se joue, que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, au Sahel, en Afrique centrale et dans beaucoup de parties du monde, on est toujours dans la continuité de cette confrontation entre puissances. C’est tout à fait logique que le bloc de l’Occident ait une position commune face à ce qu’ils considèrent comme une fausse main de la Russie pour mettre la main sur certains espaces géostratégiques du continent africain ou du Moyen-Orient. Donc, on est en pleine nouvelle guerre froide sur ce dossier.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane
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