Sur la forme, la visite a été perçue comme plutôt inamicale par l’opinion publique malienne et allait être nerveuse sur le fond.
Inhabile dans l’art du compromis, Emmanuel Macron a joué pour le moment une partition diplomatique vouée à l’échec. Ce jeune président, qui ne jouit que peu d’expérience politique, a dévoilé peu à peu son style fait d’expression de francs désaccords dans un cadre général de manque de courtoisie. Il devient facilement agressif ou peu poli chaque fois qu’il est contrarié. Souffler le froid auprès des dirigeants maliens avec qui il n’est pas forcément d’accord fait partie du logiciel Macron. Sa visite de lundi annulée n’est pas apparue comme un geste d’apaisement. Sur la forme, la visite a été perçue comme plutôt inamicale par l’opinion publique malienne et allait être nerveuse sur le fond. Dans l’attitude de Paris, il y avait quelque chose de très clair : obtenir du président de la transition, Assimi Goïta l’engagement ferme de tenir la présidentielle le 27 février lors d’un mini-sommet à Bamako, avec en renfort deux chefs d’Etat acquis à la cause : le ghanéen Nana Akofo Ado, assurant la présidence en exercice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) et son homologue tchadien Mahamat Idriss Déby.
Il s’est opposé frontalement au chef d’Etat et au gouvernement malien et en même temps n’a pas daigné rompre totalement les liens. Voire a pris l’initiative de la rencontre. Après avoir examiné la faisabilité d’un tel déplacement au format rejeté par la partie malienne, plutôt y renoncer que de faire l’économie de son numéro d’enfumage… pour les naïfs. A cause de l’indulgence dont il a abusé, Macron a fini par ne plus faire attention à ses propres assertions, de sorte que son sens des réalités à tendance à s’atténuer, voire s’évanouir. Le problème récurrent de posture de la part de Paris a été incontestablement celle de la verticalité des relations : adoption d’un ton martial qui avait déjà fait le lit de critiques lors de la « convocation » des chefs d’État du G5 Sahel à Pau.
Barkhane taxée d’inefficacité
Dans ce contexte, les critiques ont redoublé et un climat de défiance à l’égard de l’opération Barkhane s’est amplifié. Depuis 2019, des manifestations contre cette opération au slogan flatteur de « France dégage » a pris corps. Dans une tribune accordée au Monde, en 2019, le général Bruno Clément-Bollée écrivait déjà : « Aujourd’hui, chaque événement dramatique est l’occasion de conspuer « Barkhane », qu’elle soit liée ou non à l’affaire en cours. La force est taxée d’inefficacité, d’inutilité, voire, parfois, de complicité avec certains mouvements rebelles. À ce train, notre contingent ne sera-t-il pas obligé de quitter le théâtre un jour prochain sous une pression populaire, et non sécuritaire, simplement parce que l’idée même de sa présence au Sahel sera devenue insupportable ? »
Bounty a été le point de bascule. D’emblée et contrairement aux allégations du gouvernement français, le rapport des Nations unies et la méthodologie déployée par 15 experts de l’ONU et 2 experts de la police scientifique de l’ONU sont plus que crédibles. Il y a un rappel précis du contexte de travail, des défis méthodologiques rencontrés dans un contexte sécuritaire, par ailleurs, volatile. Les conclusions sont implacables : « Au terme de l’enquête et des éléments recueillis, la MINUSMA est en mesure de conclure qu’une célébration de mariage s’est tenue le 3 janvier 2021, à proximité immédiate du village de Bounty (équidistant à 1 km du village et des hameaux de culture). Cet évènement a fait suite à la cérémonie religieuse du mariage qui a eu lieu la veille, le 2 janvier 2021 au soir, à Gana, village d’origine de la mariée, situé à 7 km au nord de Bounty » ; « La MINUSMA a conclu que le rassemblement consistait en une célébration de mariage qui a réuni une centaine de personnes, en majorité des civils habitant Bounty, à l’exception des cinq présumés membres de la Katiba Serma ». Suivant ce rapport, 19 personnes ont été tuées dont 16 civils, 3 autres ont été blessés lors des frappes françaises et sont décédés au cours de leur transfèrement vers des centres de soin. Le terme de bavure a circulé.
« Une sorte ce chantage »
La réaction de Paris a emprunté une stratégie insuffisante dans la mesure où elle n’a apporté aucune preuve tangible à la véracité des informations – classées secret Défense. Pis, Macron et son gouvernement ont souscrit à une infantilisation des Maliens en parlant de présumées crimes de guerre orchestrés par le groupe Wagner en Centrafrique, histoire de les mettre en garde contre les conséquences d’un tel recours. « Il faut qu’on soit sérieux, les États ne se jugent pas par des intentions. Cette affaire dite Wagner est utilisée comme une sorte de chantage sur l’État malien pour l’empêcher d’explorer ou de travailler avec certains partenaires. Si c’est ça l’objectif, je crois que c’est raté. L’État malien a des problèmes sérieux de sécurité » a réagi Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale »dans une interview accordée à BBC Afrique le 14 décembre dernier. Même refrain de la part des Etats-Unis le lendemain, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a affirmé par la voie d’un communiqué que “les forces de Wagner, connues pour leurs activités déstabilisatrices et leurs violations des droits humains, n’apporteront pas la paix au Mali, mais déstabiliseront davantage le pays”.