Le groupe paramilitaire russe Wagner déploie ses hommes au Mali, malgré l’indignation de la France. Moscou et Bamako continuent de nier. « Si loin, si proches », la chronique internationale de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à La Croix.
La situation se complique au Mali. Ce pays devient en effet un nouveau théâtre d’opérations pour la Russie. Le groupe Wagner, une force paramilitaire supplétive du Kremlin, déploie ses hommes à Bamako à l’invitation de la junte au pouvoir depuis août 2020. Les militaires putschistes espèrent ainsi résister aux pressions internationales qui les somment d’organiser des élections et de céder la place à des civils. Neuf ans après l’intervention de l’armée française qui permit d’enrayer l’offensive de groupes armés islamistes, la pilule est amère pour Paris. Fin décembre, le déploiement des mercenaires russes a d’ailleurs suscité la réaction indignée de la France et d’une quinzaine d’alliés occidentaux impliqués localement dans la lutte antidjihadiste. Un coup de gueule réfuté par la junte, qui assure qu’il s’agit de « formateurs ».
→ ENQUÊTE. Wagner, des mercenaires au service de Poutine
Ce nouveau paramètre change l’équation dans un pays déjà déchiré par de multiples tensions internes. L’intervention en 2013 de la France, soutenue par l’ONU et les pays d’Afrique de l’Ouest, avait inscrit le Mali dans le panorama global de la lutte contre le terrorisme islamiste. L’entrée en scène de la Russie ajoute une nouvelle dimension : la logique prédatrice de grandes puissances qui déploient des moyens extrêmement variés pour étendre leur champ d’action et élargir leurs marges de manœuvre. Tandis que Paris invoque des risques pesant sur sa sécurité nationale pour maintenir l’opération Barkhane au Sahel, Moscou ne cherche pas à argumenter. Le Kremlin avance masqué, arguant que Wagner est une société privée, alors qu’elle est dirigée par un proche de Vladimir Poutine.
Dissimuler l’évidence, brouiller les perceptions, s’abstenir de toute explication qui ferait sortir de l’ambiguïté… La Russie déploie au Mali une forme de conflictualité qu’elle a déjà pratiquée sur d’autres théâtres, notamment en Ukraine. Quand elle s’installe ainsi, ce n’est pas pour apporter la concorde, plutôt pour entretenir une discorde dans laquelle elle parraine une faction qui protégera ses positions. Ses armes ne sont pas que militaires. Elles comprennent aussi les manipulations de l’information – en l’occurrence, la propagande antifrançaise – ou l’interprétation pernicieuse du droit international.
Cette « zone grise » entre la guerre et la paix combine des actions de force et des opérations d’ingérence, de subversion, de pressions économiques, de corruption, d’attaques cybernétiques… Dans un article récent (1), Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, à Paris, relève la « multiplication d’états de violence clandestine et dispersée » dans le monde. Les pays démocratiques, qui prônent le respect de règles communes, sont-ils en mesure de parer ces méthodes d’affrontement larvé ? Pour lui, l’Europe n’a pas d’autres choix que d’assumer sa puissance et de durcir sa politique étrangère et de défense si elle ne veut pas rester à l’état de cible ou de proie. Quant à la France, elle va devoir poursuivre son combat au Mali en présence d’importuns cyniques et déployer d’autres arguments que ceux de la force armée si elle souhaite reconquérir le soutien populaire. La lutte est loin d’être perdue. Mais il est clair dorénavant que si elle se retire, la Russie la remplacera.