Plus de 300 paramilitaires et soldats russes seraient désormais déployés au nord de Bamako, selon des éléments recoupés par « Le Monde ».
Il n’y a désormais plus aucun doute. Les mercenaires russes affiliés à la société privée Wagner sont en train de se déployer au Mali, et plus particulièrement dans le centre du pays. Alors qu’à la veille de Noël, ils étaient évalués à seulement une quarantaine d’individus cantonnés sur une base aérienne adossée à l’aéroport de la capitale, Bamako, leurs effectifs atteindraient désormais 300 à 350 hommes, qui ont progressé jusqu’à Tombouctou, selon plusieurs sources françaises et locales.
C’est au détour de l’explosion d’un engin explosif au passage d’un véhicule, puis d’un affrontement avec des djihadistes, que la présence de ces paramilitaires a été identifiée dans le centre du pays. Cette attaque aurait eu lieu le 3 janvier au sud de Mopti, entre Bankass et Bandiagara, faisant plusieurs morts côté djihadistes et au moins un blessé du côté du groupe Wagner, selon le journaliste de France 24 Wassim Nasr. Un bilan qui se serait alourdi, jeudi 6 janvier, à au moins un mort et deux blessés chez les Wagner, selon nos informations.
A ce stade, il reste néanmoins des ambiguïtés sur le statut de ce contingent : une partie pourrait être de simples militaires russes. Mais conformément à ses habitudes, Moscou garde le silence tandis que les autorités maliennes continuent de nier tout contrat avec le groupe Wagner. Le 5 janvier, l’armée malienne a seulement confirmé que des « soldats russes » étaient arrivés à Tombouctou. Fin décembre, un porte-parole du gouvernement de transition avait aussi indiqué que des « instructeurs russes » étaient présents au Mali.
Cohabitation avec la Minusma
La proportion grandissante d’effectifs liés au groupe Wagner au Mali est toutefois certaine, affirment les sources françaises interrogées par Le Monde. « Cela ne fait aucun doute que le tapis roulant avance avec de plus en plus de monde dessus », précise l’une d’elles évoquant désormais « une empreinte significative ». Comme ils l’ont déjà fait en République centrafricaine, c’est dans l’accompagnement au combat des Forces armées maliennes (FAMa) que les 300 à 350 russophones identifiés pourraient désormais être impliqués – principalement à Ségou, Mopti et Sévaré, où leur nombre atteindrait environ 200. Quelques dizaines d’hommes seraient aussi déployés à Tombouctou. Une zone où sont présents les casques bleus de la Mission pour la stabilisation du Mali des Nations unies (Minusma), ce qui pose directement le problème de la cohabitation entre ces deux forces internationales aux objectifs, principes, et règles d’engagement très différents.
Les hommes du groupe Wagner et les éventuels instructeurs russes aux côtés des FAMa seraient arrivés au Mali au compte-goutte depuis mi-décembre par voie aérienne. Mais selon les sources interrogées, ils n’ont pas transité par les contrôles habituels aux frontières de l’aéroport de Bamako et ont été débarqués de manière discrète en bout de piste, d’où leur identification incertaine. C’est par la route, ensuite, qu’ils ont progressivement été transportés vers le centre du Mali malgré les démentis officiels des autorités maliennes.
D’abord observés, en décembre, à Bamako, mais aussi dans des « zones périphériques » telles que celles de Nara ou de Sikasso, les éléments précurseurs de Wagner se sont donc dirigés vers le centre du Mali, plus exposé aux combats et plus visible aux yeux des observateurs. C’est ainsi en plein pays dogon qu’aurait eu lieu l’affrontement entre djihadistes et militaires ou paramilitaires russes. Une zone où la katiba Macina, affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lui-même lié à Al-Qaïda, maintient son emprise hors des villes et joue des conflits entre communautés peule et dogon.
Le déploiement des hommes de Wagner ou de militaires russes dans cette région est ainsi tout sauf anodin. Sans jamais l’assumer, le pouvoir central malien a délaissé ces dernières années le centre du Mali, déléguant une partie de la sécurité à des milices d’autodéfense locales, régulièrement accusées d’exactions. En parallèle, la France a toujours soigneusement évité d’engager les militaires de l’opération « Barkhane » dans cette zone.
« Ligne de colère »
La junte malienne, qui a pris le pouvoir après un coup d’Etat en août 2020, serait-elle ici tentée de réaliser un coup d’éclat, en espérant un début de reconquête militaire, au moment où les pressions, extérieures comme intérieures, s’accentuent ? Si elles ont su s’attirer une certaine popularité locale, en lançant très opportunément des poursuites contre des personnalités des régimes précédents, les autorités de transitions tentent désormais de faire le pari de repousser l’élection présidentielle de la fin février 2022 – la date prévue à laquelle plus personne ne croit – à la lointaine échéance de janvier 2026. La plupart des partis politiques maliens ont déjà rejeté cette intention manifeste de conserver le pouvoir et les pays ou organisations engagés dans le pays s’agacent et s’inquiètent de la dégradation de la situation au Mali, qui a déjà sérieusement impacté ses voisins.
Les regards sont donc désormais focalisés sur le sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui doit se tenir le 9 janvier. Alors que les émissaires du gouvernement de transition malien ont, ces derniers jours, fait la tournée des capitales de la région pour présenter leur nouveau calendrier, « une ligne de colère » se dessine parmi les chefs d’Etat ouest-africains, indique une source française. « Même ceux qui étaient les plus réticents à un renforcement des sanctions, comme les Togolais, constatent qu’ils sont arrivés au bout de leur logique », affirme cette dernière.
Après avoir prononcé des interdictions de voyager contre bon nombre de membres du pouvoir malien actuel, la Cedeao pourrait ainsi imposer un blocus des frontières et demander le blocage des comptes du Mali à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest. Des mesures extrêmes qui, outre leur impact économique pourraient également favoriser l’effondrement de la fragile économie malienne et pousser une partie de la population à des réflexes nationalistes. « Tout le monde au sein de la Cedeao est fâché contre les autorités maliennes après la provocation du calendrier. Le temps est sûrement venu de leur rappeler qu’elles sont en train de s’enfermer dans une logique dangereuse », prévient cependant un observateur étranger à Bamako.
L’avancée du groupe Wagner au Mali est également problématique pour la France. Sur le papier, forces russes et françaises ne cohabitent pas. Quelque 300 à 400 kilomètres séparent Tombouctou ou Mopti de Gao, où « Barkhane » a conservé sa principale base. Mais les militaires français font aussi de l’accompagnement au combat de l’armée malienne. Une situation paradoxale quand les contacts politiques sont au point mort avec le gouvernement de Bamako. « On ne pourra pas poursuivre indéfiniment ces opérations si la Cedeao acte que nous n’avons plus d’objectifs politiques communs », juge un décideur français, conscient de l’impossibilité à terme de maintenir une fraternité d’armes avec un pays dont Paris pousse par ailleurs à sanctionner les gouvernants.