Je reçois, depuis quelques jours, beaucoup de questions sur la possibilité ou non pour l’État de payer les salaires des fonctionnaires avec les sanctions économiques de l’Uémoa.
Voici, en quelques lignes, des éléments de réponse, en espérant vous aider à comprendre le mécanisme.
D’abord, il convient de préciser que le paiement des salaires n’est, exclusivement, pas lié à la capacité financière de l’État et à la disponibilité de la liquidité financière. Il dépend, aussi et surtout, de la fonctionnalité du circuit technique dans le processus de paiement des salaires.
Il faut savoir que suivant les dispositions de l’article 60 du décret n°2018-0009/P-RM du 10 janvier 2018, issu de la transposition de la directive n°07/2009/CM/UEMOA, portant règlement général sur la Comptabilité Publique : « le Trésor a un seul compte ouvert à la Banque centrale dans lequel toutes les ressources de l’État sont déposées et duquel tous les décaissements sont effectués ».
Quand on paie le salaire des fonctionnaires, l’État émet des chèques Bcéao par le trésor public à hauteur de la masse salariale et du nombre de fonctionnaire domicilié dans chaque banque. L’État de paiement qui détermine le salaire de chaque fonctionnaire y est joint.
Les Chèques Bcéao sont acceptés par toutes les banques qui pourront faire des remises au niveau de la Bcéao et créditer leurs comptes respectifs. Il se trouve qu’avec les sanctions, l’État n’est pas autorisé à émettre des chèques Bcéao. Ce mécanisme devient, donc, inapplicable.
Même s’il est interdit d’avoir des comptes d’opérations multiples (directive, ci-dessus, citée), l’État a la possibilité d’avoir des comptes projets au niveau des banques secondaires. Le Mali avait, déjà, deux comptes de ce genre à la BMS et à la BDM qui peuvent être d’une utilité.
En effet, depuis les menaces de sanctions économiques, les Autorités ont dû alimenter ces comptes en liquidité et de créer de nouveaux comptes. Sauf que même dans le cas où cette liquidité est suffisante pour couvrir la masse salariale, les opérations interbancaires étant interrompues, ces Banques ne pourront, donc, pas faire de virements interbancaires car les opérations de compensations censées rétablir les jeux d’écritures entre les banques sont suspendues.
Mais, toutefois, en violation des textes de l’Uémoa en matière de gouvernance, l’Etat peut émettre des bons du Trésor qui peuvent être acceptés par les Banques afin de couvrir le paiement des salaires à condition que chaque banque dispose de la liquidité nécessaire pour couvrir la masse salariale des fonctionnaires domiciliés chez elle. Tout se passe, en réalité, comme si les banques préfinancent les salaires.
On sait, par ailleurs, que depuis les sanctions, les banques ne sont plus ravitaillées en liquidité que pour les exceptions édictées dans le communiqué final des sanctions (biens de consommation essentiels, produits pharmaceutiques, les fournitures et équipements médicaux, y compris le matériel pour le contrôle du Covid-19, produits pétroliers et électricité…). Jusqu’à quand les banques pourront continuer à être liquides ? Cela est une autre paire de manche.
Par contre, les fonctionnaires maliens à l’étranger, notamment dans les pays de la Cédéao, surtout ceux des Budgets autonomes des Entrepôts du Mali, connaitront des difficultés de salaires dans l’immédiat, les comptes desdits Entrepôts, ouverts dans les livres des banques des pays d’accueil, devant être gelés si ce n’est déjà le cas.
Pour les autres fonctionnaires dont les salaires viennent du Mali, notamment le personnel des services extérieurs du Mali et celui des représentations diplomatiques et consulaires dans la sous-région, eux aussi ne seront pas payés à cause de la suspension des transferts internationaux et de l’interruption des opérations de compensation. Si les sanctions perdurent, le personnel des représentations diplomatiques et consulaires de l’espace européen connaitra les mêmes difficultés lorsque l’Union européenne (UE) adoptera le même régime de sanctions, en appui à la Cédéao au nom du principe de subsidiarité. Idem pour l’Union africaine (UA) si elle-aussi rentre dans la danse. Ce qui n’est pas souhaitable.
Dr. Etienne Fakaba SISSOKO,
Chargé de Cours d’Économie à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de Bamako
Chercheur au CRAPES, Centre de Recherches et d’Analyses Politiques, Économiques et Sociales du Mali – CRAPES