Mali-Tribune : En imposant des sanctions supplémentaires contre le Mali, concrètement que cherchent la Cédéao et l’Uémoa ?
Dr. Aly Tounkara : Le but immédiatement recherché par ces deux institutions reste la mise à genoux rapide du gouvernement malien. Elles pensent y arriver au bout de deux semaines tout au plus. Certaines langues disent que, dans le cadre de la préparation de la riposte, les ministères des Finances ont estimé que le Mali pourrait tenir seulement deux semaines sous sanctions. Ceux de l’extérieur estiment que si les sanctions sont bien appliquées, une semaine suffirait pour qu’on assiste à une grogne sociale qui pourrait déboucher à un coup d’État militaire. A l’analyse ni les sanctions ni leurs conséquences (Coup d’État) ne sauraient constituer une sortie de la crise dans la mesure où le Mali accepterait difficilement, à la sortie de bras de fer avec ces deux organisations régionales, qu’une tierce personne finance ses élections. Or, les sanctions remettent aux calendes grecques toute possibilité de tenir des élections, les ressources étant mobilisées pour le fonctionnement de l’État. Aussi, un nouveau Coup d’État ne ferait que rallonger la période de la transition car personne ne peut anticiper les effets destructeurs internes d’une telle action. Toute désorganisation supplémentaire du Mali ouvrirait les portes à une éventuelle déstabilisation sur une plus longue durée du Mali et du Sahel.
Mali-Tribune : Comment les autorités maliennes pourraient-elles résister face à de telles sanctions ?
Dr. A. T. : De deux choses, l’une. Soit en appliquant effectivement les sanctions, le Mali capitule dans un mois ; soit ils savent que les sanctions ne seront pas respectées. Donc, une pression psychologique sur les autorités de la transition. Les sanctions sont à double tranchant. Les pays à l’origine au moins cinq voire six parmi eux vont sérieusement souffrir autant que le Mali. Si dans deux semaines la situation n’est pas réexaminée, le Mali n’aura d’autres choix que de tenter de sortir des deux organisations. Comme dans le dossier Wagner, il aura été poussé à faire un choix, même cornélien. Les autorités de la transition au Mali bénéficient d’un soutien très affiché d’une large partie de l’opinion publique. Elles ont la responsabilité de prendre des mesures pertinentes et efficaces face à ces sanctions illégales et injustes sans succomber au sensationnel et à un patriotisme amateur.
Mali-Tribune : Dans un communiqué Alger a proposé sa médiation pour une sortie rapide de crise. Selon vous, quelle lecture l’Algérie se fait de la situation malienne ?
Dr. A. T. : Le manque de clarté et de précision sur la fin de la transition pourrait être interprété doublement du côté d’Alger. Les Assisses nationales de la Refondation (ANR), en demandant la relecture voire le rejet de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger de 2015, cela pourrait poser un problème d’acceptation du processus par l’Algérie. Telle qu’elle se lit, le retrait de la France du Nord du Mali n’était que la première demande de la stratégie qu’Alger a à mettre en place. Cette demande est identique à celle du chef terroriste malien Iyad Ag Ghali.
Le deuxième point de la stratégie, est la stabilisation sur le plan sécuritaire, quitte à créer une forme d’équilibre armée entre acteurs du septentrion et le gouvernement malien. Le troisième point, et le plus important, est la mise en œuvre de l’Accord, qu’Alger pense vraiment être la solution pour le Mali. En son sens, l’accord permettrait la prise en compte de la voix de tous les Maliens, y compris ceux qui ont des revendications de nature religieuse, et assurera une pacification durable des régions dites Nord du Mali, tout en permettant l’exploitation des ressources convoitées et la mise en sourdine du pays.
Mali-Tribune : Dans cette ambivalence algérienne à la problématique de venue des acteurs privés de sécurité. Quelle analyse faites-vous de l’épineuse question russe ou le groupe Wagner qui cristallise les relations entre le Mali et l’occident ?
Dr. A. T. : La Russie pourrait intervenir et poser un nouveau cadre de partenariat, mais ne peut le faire que dans un contexte de non-précarité politique. En regardant le cas centrafricain de près, la coopération russe et l’influence qu’elle pourrait produire ne saurait s’accommoder d’un cadre où les institutions en place feront l’objet d’attaques multiples de l’intérieur comme de l’extérieur. La culture de la force et de la puissance de l’autorité est fondamentale à sa stratégie. Dans le nouveau contexte de mercantilisme dénudé totalement d’idéologie, son assistance militaire sera accompagnée de projets économiques pouvant être bénéfiques. L’implantation de ces derniers ne se fera réellement que si un niveau de confort et d’assurance institutionnelle est en place.