Bamako dénonce les modalités de renfort de cette coalition de forces spéciales européennes dont Paris espérait faire la vitrine de sa réorganisation au Sahel.
es relations entre la France et la junte malienne connaissent un nouvel épisode de tensions. Alors que Bamako affichait surtout, jusqu’à présent, une prise de distance vis-à-vis des militaires français de l’opération « Barkhane », la défiance a ciblé cette fois la « Task Force Takuba », une petite coalition de forces spéciales européennes concentrée sur l’accompagnement au combat des Forces armées maliennes, elle-même placée sous le commandement de « Barkhane » et dont Paris espérait précisément, ces dernières années, faire l’une des vitrines de sa réorganisation au Sahel.
Les attaques de la junte contre la dispositif « Takuba » sont survenues, lundi 24 janvier, par l’intermédiaire d’un communiqué dénonçant le déploiement récent de troupes danoises au sein de cette force. Un renfort organisé « sans son consentement » qui aurait enfreint, selon elle, le « protocole additionnel » conclu entre le Mali et la France en 2020, régissant le déploiement des forces européennes. Le gouvernement de transition malien a donc appelé le Danemark, à « retirer immédiatement » son contingent de 90 militaires.
Selon cet accord consulté par Le Monde, tous les pays souhaitant rejoindre la force « Takuba » doivent effectivement, au préalable, être « invités, agréés et autorisés par le gouvernement du Mali ». Mais Copenhague a assuré qu’il avait bien été « invité » par le Mali, « comme toutes les parties prenantes de cette opération ». Le Monde a pu aussi consulter une lettre de 2019 attestant de « l’invitation » malienne faite au Danemark. La remise en question de ce protocole par la junte a néanmoins pris de court Paris et ses partenaires européens, qui se sont immédiatement engagés dans une « concertation approfondie », selon les mots de la ministre française des armées, Florence Parly, mardi.
Un objet politico-militaire mal aimé
En s’attaquant de la sorte à « Takuba », la junte tape exactement là où ce dispositif est le plus fragile. Depuis sa création en mars 2020, la force « Takuba », pensée en partie sur le modèle des coalitions de forces spéciales qui ont fonctionné dans la zone irako-syrienne ces dernières années, a toujours été un objet politico-militaire mal aimé. Imaginée comme un moyen plus léger qu’un déploiement d’unités conventionnelles, plus précis, avec un rapport coût efficacité jugé intéressant, selon un observateur avisé, la force a toujours été portée à bout de bras par la France.
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Par ce biais, Paris espérait apparaître moins seule au Mali, tout en testant un embryon de défense européenne opérationnelle, ambition chère à Emmanuel Macron. L’initiative a en partie fonctionné, mais l’opération « Takuba » reposait beaucoup, aussi, sur la confiance des pays membres vis-à-vis de la France. Les mandats en cours des Etats de l’Union européenne sont tous d’une durée d’un an renouvelable et l’ultimatum posé au contingent danois risque de fragiliser l’ensemble des autres engagements européens.
Sur le papier, la force « Takuba » est en effet constituée d’environ 800 hommes. Mais au moins 40 % sont des militaires français. Depuis le 1er janvier, elle est aussi composée de 200 Italiens, mais principalement affectés à l’entretien des hélicoptères (trois d’attaque et trois d’évacuation sanitaire). Hormis les Danois, seules l’Estonie, la Suède et la République tchèque ont jusqu’ici envoyé des forces spéciales (quelques dizaines chacune).
Le « début de la fin »
Le Portugal enverra-t-il lui aussi un petit contingent envisagé d’ici la fin du premier trimestre dans ces conditions ? La Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie, dont les renforts ne font l’objet, pour l’heure, que d’accords politiques, trouveront-elles les mots pour convaincre leur parlement respectif ? La Suède, elle, a déjà prévu depuis l’automne 2021 de ne pas renouveler son engagement.
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Dans un tel contexte, certains diplomates occidentaux ne voient dans la dernière sortie de la junte qu’un « coup de bluff supplémentaire » dont l’impact sera limité. D’autres craignent au contraire d’assister « au début de la fin » de l’opération. Sur le terrain, la force « Takuba » n’a en effet jamais beaucoup convaincu, à commencer par la junte malienne. « Penser que Takuba allait transformer la zone des trois frontières [entre Niger, Mali et Burkina Faso ] en canton suisse était évidemment un leurre. Mais c’est aussi une vision étriquée du temps », affirme Didier Castres, ancien sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées (2011-2016), aujourd’hui associé au sein du groupe d’intelligence économique ADIT/ESL & Network.
Selon plusieurs sources diplomatiques, les dirigeants maliens apprécieraient peu, en réalité, le caractère multilatéral et donc peu contrôlable de cette agrégation de forces spéciales. A leurs yeux, les modalités d’intervention des contingents de la force « Takuba », gérées par l’accord sur le statut des forces militaires françaises au Mali, signé en 2013, donneraient trop de largesses aux Européens. Fin décembre 2021, lors de leur demande de réviser les accords de défense avec la France, figurait ainsi déjà, en creux, selon plusieurs interlocuteurs, la volonté de contraindre à l’avenir chaque pays souhaitant s’engager militairement au Mali à signer un accord bilatéral non adossé à celui de l’opération « Barkhane ».
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Morgane Le Cam et Elise Vincent