La France réfléchit avec ses partenaires à la façon dont elle peut continuer sa mission contre le terrorisme sans la junte de Bamako.
La France au Mali , c'est bientôt fini? Si, il y a quelques semaines encore, cette idée était balayée aussi bien à l'Élysée qu'au ministère des Armées, elle n'y est désormais plus taboue. Bien sûr, agiter la menace d'un retrait militaire et d'une fermeture de la base de Gao pourrait n'être qu'un ballon d'essai pour tester la détermination d'Assimi Goïta, le chef de la junte malienne, au pouvoir depuis le coup d'Etat de l'année passée. Avant le sommet de Pau en janvier 2020, Emmanuel Macron l'avait déjà brandie. Sauf que, cette fois, le contexte est différent. Jamais, depuis 2013 et le début de l'opération Serval, les relations avec Bamako n'avaient été à ce point exécrables, et la présence française au Sahel aussi contestée.
Les Français vont devoir anticiper une humiliation
"La situation ne peut rester en l'état", répète Jean-Yves Le Drian . "On ne peut pas rester au Mali à n'importe quel prix", a dit samedi Florence Parly, la ministre des Armées. "Les Français vont devoir anticiper une humiliation, commente un observateur avisé de la région. Si j'étais eux, je partirais avant qu'on me le demande."
Avant Noël, le narratif était tout autre. Oui, la France, qui venait de lâcher trois emprises dans le Nord-Mali, dont celle de Tombouctou, allait progressivement réduire la voilure de l'opération Barkhane, faisant passer les effectifs de 5.100 hommes à 2.500 à l'horizon 2023. Mais cette "transformation" devait s'accompagner en parallèle d'une montée en puissance de Takuba, le groupement de forces spéciales européennes. Pour Paris, outre les avantages d'un dispositif plus souple et léger, le coup était double : ne plus apparaître en première ligne et partager le fardeau de la guerre contre les djihadistes sahéliens.
Le patron de Wagner a salué le putsch
Las. En un mois, la junte malienne a réussi à saboter le projet et a multiplié les signes de défiance, et pas seulement à l'égard de l'ancienne puissance coloniale. D'abord, même si elle le nie, en accélérant le déploiement des mercenaires du groupe de sécurité privé russe Wagner. Selon Paris, ils seront un millier à la fin du mois. Ensuite en entravant les vols de la Minusma, la force onusienne, mais aussi ceux des armées française et allemande. Puis en demandant la révision de l'accord de défense qui lie le Mali à la France. Enfin, et c'est le coup de grâce, en empêchant cette semaine l'arrivée d'un détachement danois qui venait rejoindre la force Takuba. Après une bataille de communiqués, Copenhague a finalement jeté l'éponge.Trois autres pays – le Portugal, la Hongrie et la Pologne – en attente d'une autorisation de Bamako pourraient à leur tour voir leur demande retoquée. Bien que présentée comme un "succès" par l'état-major français, Takuba, que Paris a eu tant de mal à mettre sur pied, a donc du plomb dans l'aile. Les États y participant se sont donné vendredi quinze jours pour décider de son avenir.
Pour ajouter à la complexité de la situation, le président du Burkina Faso a été victime lundi d'un coup d'Etat militaire. Le lieutenant-colonel Damiba, qui a pris les rênes du pays, a très vite donné des assurances sur sa volonté de travailler avec les partenaires internationaux. "Mais dans son entourage, certains pourraient être tentés par un rapprochement avec la Russie", relève-t-on à Paris. En bon opportuniste, le patron de Wagner a d'ailleurs salué le putsch. Un scénario à la malienne, avec un pouvoir hostile à la France, pourrait-il se répéter à Ouagadougou?
Le contexte oblige en tout cas la France à repenser ses plans. Pas question, jure-t-on à l'Elysée, de quitter le Sahel et de laisser les djihadistes menacer l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Dès lors, le Niger fait figure de solution de repli. Il ne s'agirait pas d'y dupliquer le modèle de Barkhane au Mali et d'y ouvrir des bases, mais de faire de Niamey, qui accueille déjà le commandement des opérations pour le Nord avec 700 hommes, des chasseurs et six drones Reaper, le centre de gravité d'un nouveau dispositif. Les autorités nigériennes n'y sont pas opposées.
Des pays du sud du Sahel seraient "demandeurs"
A Paris, on vante la loyauté de ce partenaire qui n'a jamais manifesté de défiance à l'égard de la présence française et s'est montré davantage capable de faire face aux coups de boutoir de l'Etat islamique au Grand Sahara. L'Etat nigérien repose effectivement sur des fondamentaux bien plus solides que ses voisins. Mais le pays est lui aussi fragilisé par l'insécurité, qui a fait plus de 600 morts l'année passée. Outre ce redéploiement nigérien, la réorganisation de l'engagement français pourrait aussi passer par un soutien accru aux Etats plus au sud que sont la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Togo, qui craignent une contagion de la menace terroriste et seraient "demandeurs".
Je ne leur donne pas deux mois avant de plier
Un éventuel départ français du Mali placerait les forces maliennes et les mercenaires de Wagner, peu réputés pour leur respect des droits de l'homme, en première ligne pour affronter les mouvements djihadistes. Au risque de voir les bavures et les violences intercommunautaires se multiplier et un nouveau trou noir sécuritaire se former. "C'est un vrai problème, dit une source française, et c'est en ça que la junte à Bamako est d'une certaine façon suicidaire." Un officiel sahélien est pourtant convaincu que les militaires au pouvoir, qui ont repoussé l'organisation d'élections, ne tiendront pas très longtemps : "Les sanctions prises récemment par les pays de la région vont les mettre à genoux, explique-t-il. Je ne leur donne pas deux mois avant de plier."