A Bamako, la junte a « invité » l’ambassadeur de France à quitter le pays. Tous les candidats à la présidentielle ont réagi. L’extrême politisation de la présence française dans l’ancienne colonie a de quoi inquiéter l’Elysée à dix semaines du premier tour
Le Mali fait irruption dans la campagne présidentielle. L’expulsion de l’ambassadeur français, Joël Meyer, ne manque pas de faire réagir les candidats, de l’extrême droite à la gauche de l’échiquier politique. Ce qui pourrait inciter l’Elysée à calmer le jeu avec les autorités de transition.
« Nous nous battons pour expulser les jihadistes du Mali, mais le Mali expulse notre ambassadeur, s’est vite emporté le candidat Eric Zemmour sur son compte Twitter. Nos soldats meurent pour un pays qui nous humilie ! Toute la politique africaine de la France est à repenser. »
Un sentiment partagé parMarine le Pen qui ajoute : « Présidente de la république, je ferai respecter la France et notre armée ! ». La candidate du Rassemblement national appelle au renvoi immédiat de l’ambassadeur du Mali en France (une mesure impossible à appliquer car Bamako n’a plus qu’un chargé d’affaires à Paris), à bloquer l’intégralité des avoirs des dirigeants maliens en France, à couper l’aide au développement et les transferts de la diaspora.
Valérie Pécresse, candidate LR, a déploré le manque d’anticipation de l’exécutif quand Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, propose la suppression des visas pour les Maliens, l’expulsion des clandestins, la révision du dispositif militaire.
« Vider l’abcès ». A gauche, le président de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a demandé au gouvernement français de rapidement « vider l’abcès avec le pouvoir malien actuel » et d’engager un débat parlementaire. « Depuis 2017, Macron a laissé la France s’embourber, a confié le candidat, le 13 janvier. Comme son prédécesseur, il a justifié la présence militaire par la demande d’aide du gouvernement malien. Cette fiction ne tient plus... Pire, en pratiquant le double langage consistant à adouber les dictatures dans certains pays, comme au Tchad, et à les dénoncer dans d’autres, il a rendu l’action de la France suspecte à toute l’Afrique de l’Ouest. »
Dans l'équipe de campagne de Yannick Jadot, candidat Europe Ecologie-Les Verts, on appelle à ne pas avoir une lecture simpliste et émotionnelle. « Il est compliqué d’envisager de rester contre la volonté de la junte au pouvoir et d’être instrumentalisé par des dérives politiques et militaires, explique-t-on. Cette situation entrave l’efficacité de notre action et met nos soldats en danger... Un retrait ne peut se faire du jour au lendemain et la France doit rester présente au Sahel, au Niger et au Burkina en particulier. Il faut une réunion urgente de la Minusma [force onusienne]. »
A dix semaines du premier tour, l’extrême politisation de la présence française au Mali a de quoi inquiéter l’Elysée. Les opposants d’Emmanuel Macron cherchent à décrédibiliser sa stature internationale par des expressions bien choisies. Chez les électeurs, l’expulsion de l’ambassadeur de France intervient après le choc du contrat avorté delivraison de sous-marins français à l’Australien. Cela donne le sentiment d’un « déclassement français », titre du dernier ouvrage des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot sur le Moyen Orient.
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« Au fond, cela annihileles efforts louables d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine, souligne un fin observateur la vie politique française. Le Mali, auquel sont associés les sujets de terrorisme et d’immigration, pèse davantage dans l’opinion publique. L’Ukraine ne rapporte rien en termes de voix alors que le Président cherche un succès diplomatique comme Nicolas Sarkozy l’a eu dans sa médiation géorgienne en 2007 ou François Hollande en réunissant, lors du 70e anniversaire du débarquement en Normandie en 2014, les dirigeants russes et ukrainiens, obtenant une désescalade entre Kiev et Moscou. »
Surenchère. Ce n’est pas la première fois que l’international s’immisce dans une campagne électorale française. En 2012, la fin de l’opération extérieure en Afghanistan avait donné lieu à une surenchère après que Nicolas Sarkozy avait annoncé le retrait de nos soldats. François Hollande avait affirmé vouloir le faire dès sa prise de fonction. Parole finalement tenue. « Emmanuel Macron n’a pas su sortir du bourbier sahélien alors que c'était son intention lors de la campagne de 2017, poursuit l’observateur. Il s’est heurté au lobby militaire et au patron du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian, qui avait monté l’opération Barkhane lorsqu’il était à l’hôtel de Brienne . »
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Cela brouille les efforts d’Emmanuel Macron qui s’est pourtant attaqué à la refondation de la politique africaine, draguant au passage les 15 millions de binationaux et français d’origine étrangère.
« Il faut faire attention aux questions africaines et moyen-orientales où il y a beaucoup de coups à prendre, prévient Marc Bousquet, consultant en stratégie d’image. Le début de la chute de Giscard d’Estaing en 1978 a été provoqué par la révélation de l’affaire des diamants de Bokassa qu’il aurait offerts à sa supposée liaison du moment. On suivait l'évolution de l’opinion publique toutes les semaines avec des analyses qualitatives chaque mois. Mais on n’avait pas le droit d'évoquer l’affaire des diamants dans les réunions internes à l’Elysée. »
L’image de VGE à l’international avait déjà été écornée par François Mitterrand traitant le Président sortant de « petit télégraphiste de Varsovie » après un voyage à Varsovie en mai 1980 pour y convaincre Leonid Brejnev de retirer ses troupes d’Afghanistan...
« Dans les yeux... ». Autre moment phare, le duel du second tour de la campagne de 1988. François Mitterrand jouait sa réélection face à Jacques Chirac. A l'époque, l’affaire des otages français au Liban alimente les débats. Le Président socialiste reproche alors à son Premier ministre d’avoir libéré le diplomate iranien Gordji, impliqué dans les attentats de 1986. Chirac joue alors l’effarement : «Pouvez-vous contester ma version des choses en me regardant dans les yeux ? », demande-t-il à son adversaire. « Dans les yeux, je la conteste », répond froidement Mitterrand. Quatre jours plus tard, les trois otages aux mains du Jihad islamique sont libérés...
Dans les semaines à venir, les sondeurs auront l’occasion de jauger l’impact du Mali dans le choix des électeurs. Les plus sensibles sont les binationaux et des Français d’origine étrangère, l’escalade verbale ayant une résonance particulière pour eux. Sur les réseaux sociaux, nombre d’internautes dénoncent l’attitude néo-partenaliste de Paris, remettent en cause le bilan français au Mali, relativisent les 58 soldats français tués au combat en comparant avec les tirailleurs africains morts pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs associations de la diaspora comptent se mobiliser dans les prochains jours. « On ne veut pas rester en marge, témoigne Sékou Karabi-Fofana, coordinateur de la diaspora Fusi-Europe. Il est tôt pour tirer des conclusions. On va analyser les propos des candidats avant d'éventuellement donner des consignes de vote ».