Les tensions sont de plus en plus fortes, au point que la France envisage d’adapter son dispositif de lutte antiterroriste sur place, tout en cherchant à préserver son influence.
Les tensions grandissent depuis plusieurs semaines entre la junte militaire malienne et la France, notamment autour de l’intervention de la Russie que Paris trouve comme étant une collaboration des autorités maliennes avec des mercenaires russes du groupe Wagner.
Alors que le Mali a demandé le jeudi dernier aux troupes danoises de la force européenne Takouba de repartir, Jean-Yves Le Drian a annoncé ce vendredi vouloir « adapter » le dispositif des Occidentaux de lutte antiterroriste en fonction de ces relations fraîches avec le pouvoir malien. Si les autres pays africains dénoncent une junte militaire qui s’accroche au pouvoir, l’influence russe fait craindre un délitement de la Françafrique, le Mali étant une zone stratégique de la région.
Depuis plusieurs semaines, le torchon brûle entre le Mali et la France. Face à un gouvernement de transition qui se détourne de l’ancienne puissance coloniale et ses alliés européens pour se tourner vers la Russie, Jean-Yves Le Drian, le ministre en charge de la diplomatie française tente de manier la carotte et le bâton pour retrouver de l’influence dans la région tout en réduisant les effectifs militaires sur place.
Face à l’insécurité dans le Sahel, il y a des choses qu’il faut savoir sur le regain de tensions entre Paris et Bamako.
Dans les coulisses
« Vu cette situation, vu la rupture du cadre politique et du cadre militaire (au Mali), nous ne pouvons pas rester en l’état. » Quelque peu véhément, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a annoncé sur RTL avoir « engagé des discussions » avec les partenaires africains et européens « pour savoir comment la France peut adapter son dispositif en fonction de la nouvelle situation ». Sans annoncer un retrait de la force Barkhane, cette adaptation serait la continuité d’un retrait progressif des forces françaises au Mali, en partie au profit du groupe européen Takuba.
Mais cette dernière a du plomb dans l’aile depuis le retrait forcé des 90 Danois dont des snipers, le jeudi dernier, sur exigence du Mali. Du côté de Bamako, le gouvernement transitoire « n’exclut rien par rapport à ces questions si ça ne prend pas en compte les intérêts du Mali », a déclaré le ministre maliens des Affaires étrangères, M. Abdoulaye Diop ; même si la question de la demande d’un départ des forces françaises « n’est pas pour le moment sur la table ».
La racine du Mal
Depuis le putsch des militaires en août 2020, conforté par un second en mai 2021, les relations n’ont fait que se dégrader entre Bamako et Paris. L’armée malienne, surfant sur un sentiment anti-français renforcé par une présence militaire continue depuis 2013, a notamment remis en cause les accords de défense liant la France et le Mali, et fait appel à la Russie. Cette coopération ne cesse de se renforcer, même si la France la qualifie de collaboration avec des mercenaires russes du groupe Wagner. La présence russe apparaît comme une menace très claire à l’influence européenne dans la région, où le Mali occupe une position stratégique.
Également, le gouvernement malien de transition a suspendu les élections prévues en février, officiellement en raison de son incapacité à les organiser en sécurité. Mais les pays voisins y voient une volonté des militaires de se maintenir au pouvoir.
Le mot des experts
Ce qui se joue au Mali est en fait l’avenir de ce qu’on appelle parfois la Françafrique. Ainsi, la journaliste Isabelle Lasserre note dans son essai Macron, le disruptif (édition L’Observatoire) que « le pari fait sur les armées locales et les efforts déployés pour faire revenir les services de l’État dans ces pays ont échoué ». Dernier exemple en date, l’exigence des autorités maliennes du retrait des troupes danoises le jeudi dernier. Une manière de « signifier que ce sont eux qui décident au Mali et dire à la France qu’elle ne peut pas inviter » l’armée d’un autre pays sur le sol malien, selon Signe Marie Cold-Ravnkilde, chercheuse de l’Institut danois pour les études internationales (DIIS).
Aujourd’hui, les observateurs s’interrogent sur les raisons qui ont poussé Bamako à exiger le renvoi chez eux de quelque cent militaires danois dépêchés dans le cadre de l’opération Barkhane. Certains y voient la conséquence d’une lutte entre Paris et le régime malien, d’autres la main de Moscou.
Les soldats danois venaient à peine de débarquer avec armes et bagages dans l’est du Mali que, déjà, le régime en place à Bamako exigeait leur rapatriement. Émis le 24 janvier, l’oukase est justifié par le fait que Copenhague aurait dépêché ce contingent sans avoir obtenu “le consentement” des autorités en place à Bamako.
Pour plusieurs experts, il faut voir là un nouvel épisode du bras de fer opposant le gouvernement français aux militaires dirigeant ce pays sahélien depuis 2020. Ces derniers “veulent signifier que ce sont eux qui décident au Mali et dire à la France qu’elle ne peut pas inviter” des forces étrangères sur leur territoire, explique une chercheuse de l’Institut danois pour les études internationales (DIIS), Signe Marie Cold-Ravnkilde.
Le contingent danois – presqu’une centaine (90 au total) de membres des forces spéciales, une équipe chirurgicale et des hommes de soutien – a pour mission d’intégrer la Task Force Takuba, qui, au sein de l’opération Barkhane menée par l’armée française au Sahel, doit assister les forces maliennes dans leurs opérations antiterroristes. D’autres pays y contribuent, dont la Suède et la Norvège, sans avoir été sommés de rapatrier leurs militaires, du moins jusqu’à présent. Le mardi 25 janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères danois, le social-démocrate Jeppe Kofod, a fait savoir que des négociations étaient en cours en vue de trouver une issue.
À Copenhague, le commandement militaire n’a pas divulgué ce que ses soldats arrivés au Mali feront d’ici là.
Mais pour les autorités maliennes, il est temps que la France comprenne que les temps ont changé et qu’il faut changer avec le temps. Il est temps que la France comprenne que les dirigeants actuels au Mali savent ce qui est bon pour le Mali. Enfin, le pouvoir actuel exige qu’on respecte le Mali et c’est seulement à ce prix que la coopération peut se poursuivre en préservant surtout les intérêts et en respectant la souveraineté pleine et entière du Mali.
Que veut exactement les maliens ?
Le Premier ministre de transition malien Dr Choguel Kokalla Maïga a justifié la demande faite au Danemark de retirer ses forces spéciales en affirmant que plus personne ne viendrait « par procuration » au Mali. L’idée derrière ces propos pour les autorités maliennes au pouvoir est de conclure des accords bilatéraux entre États. « Personne ne viendra plus au Mali par procuration. Avant, ça se faisait. Aujourd’hui, c’est fini », a appuyé Choguel Kokalla Maïga à la presse à l’occasion d’une rencontre avec le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, à la tête d’une délégation. « Si quelqu’un doit venir au Mali, on se met d’accord là-dessus », a insisté M. Maïga. « On a dit aux Danois : si vous voulez venir au Mali, c’est un engagement entre Danois et Maliens », a-t-il ajouté. « Ils viennent pourquoi ? Est-ce qu’ils ne viennent pas préparer quelque chose contre notre pays ? », a-t-il demandé.
Depuis que l’organisation des États ouest-africains Cedeao a imposé au Mali le 9 janvier 2022 des sanctions soutenues par la France et différents partenaires du pays, les autorités s’arc-boutent sur la souveraineté du territoire. Elles ont riposté à la fermeture des frontières par la Cedeao en fermant nos frontières en retour. Elle soumet l’entrée des avions dans l’espace aérien du Mali à de nouvelles approbations et procédures. Elles disent par ailleurs avoir demandé la révision des accords de défense avec la France, engagée militairement au Mali et au Sahel depuis 2013.
D’où le lieu pour la France et ses partenaires de vilipender les autorités de transition au Mali