L’expulsion de Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali aura au moins eu un mérite, celui de faire entrer la question du Sahel dans les hémicycles et dans la campagne électorale. Parlement européen, Assemblée nationale, Sénat, tous se sont plongés dans le grand bain sahélien. Sur le grill, Castex et Le Drian, ont répondu en lisant leurs fiches et en contournant grossièrement toutes les questions qui fâchent.
A l’Assemblée, le 1er février, c’est l’inénarable Jean Lassalle qui a ouvert le bal. Il a interpellé le ministre des Affaires étrangères sur le « camouflet diplomatique » que la France venait de subir et pourfendu le Quai d’Orsay : « au lieu de prendre les devants vous avez été pris au dépourvu (…) ce qui est en cause c’est notre stratégie à court et moyen terme. »
Lyrique le député communiste, Jean-Paul Lecocq a, lui, repris le flambeau a mis tous les ingrédients dans la marmite : francs CFA, néocolonialisme, double standards, avant de déclarer « Les coups d’état militaire semblent moins contestés que la présence française (…) Les sociétés privées ne sont là que parce que la politique française sahélienne a failli. (…) Annoncez un plan de retrait de nos troupes. Rendez une deuxième fois leur indépendance à ces Etats. ».
C’est un Jean-Yves Le Drian, exténué, lunettes sur le bout du nez et masque juste en-dessous, qui a répondu à ses interlocuteurs en ne se départissant pas de ces notes, comme à l’accoutumée. Prenant un ton martial, en réponse à Jean-Lassalle, il a bredouillé le discours habituel « rien ne viendra enrayer la lutte contre le terrorisme », blabla « volonté intacte », blabla. Puis, sans rire, il a accusé, le député Lecocq d’être « le porte-parole de la junte » avant d’asséner : « l’isolement du Mali est tel que leur seul partenaire c’est Wagner » !
Le lendemain, c’est Jean Castex qui s’essayait au Sénat au difficile exercice de colmatage de la voie d’eau du Titanic. Le ton a été donné d’entrée par le président du groupe socialiste, écologiste et républicain. Patrick Kanner s’est d’abord montré préoccupé par la « déliquescence des relations entre la France et le Mali ». Puis il s’est livré à un constat rude mais réaliste : « Vous ne pouvez pas faire endosser au Mali seul cette dégradation de la situation tout comme revendiquer seul les succès mais mutualiser les échecs. La France est en première ligne seule, il faut l’assumer. (…) Force est de constater que face à son impuissance, la France n’a plus grand-chose à proposer. Le président de la République a choisi de conduire cette politique en solitaire au point que dans la situation actuelle les ministres des affaires étrangères naviguent à vue dans l’attente de la parole présidentielle. »
A ce pilonnage en règle, Jean Castex n’a pas répondu sur le fond, il s’est contenté de balayer d’un revers de main la solitude française disant avoir toujours opter pour une « réponse multilatérale avec les Etats africains et l’Union européenne. », bla, bla. Pour meubler et étoffer une réponse évasive, il s’est lancé dans un long hors sujet en repassant la chronologie de l’histoire du Mai depuis le coup d’Etat de 2020 au Mali. Et bien sûr il n’a pas omis de rappeler Wagner « la junte a sollicité un groupe dont je n’ai pas besoin de citer le nom qui s’est illustrée par des exactions totalement condamnables. »
Réponse du berger à la bergère, le député Kanner a renvoyé le Premier ministre dans les cordes : « Manifestement, le Président de la République et votre gouvernement n’ont aucune responsabilité dans ce qui se passe au Mali, nous étions en responsabilité depuis 2013, aujourd’hui la situation se dégrade, vous ne voulez pas constater le triple échec en matière diplomatique mais aussi en matière militaire. L’heure du bilan va bientôt sonner. »
Le calvaire de Jean Castex n’était pas terminé avec l’interpellation de Christian Cambon, président de la commission des Affaires étrangères, qui a mentionné : « la liste des humiliations est assez longue pour qu’il n’y ait pas de réponse de notre gouvernement. » Et le locataire de Matignon de s’étonner « que voulez-vous qu’on fît ? » C’était précisément la question, ce que vous fîtes et ce que vous ne fîtes pas…
La voix d’outre-tombe: Bernard Guetta
Au même moment, la commission Affaires étrangères du parlement européen se penchait également sur les berceaux du Mali et du Burkina-Faso. Une heure 15 de prises de paroles convenues. Puis, du fond de la salle surgit une voix familière et oubliée, celle de l’ancien chroniqueur de France Inter, Bernard Guetta, reconvertit sur le tard en député européen. Comme au bon vieux temps de la maison ronde, il a pris une voix de stentor pour articuler d’absolues banalités autour du Sahel, un sujet qui lui est apparemment totalement étranger., Heureusement, Moscou est là pour donner du grain à moudre à ses vieilles obsessions : « Evidemment qu’il y a une main de la Russie dans les expulsions de diplomate et de militaires au Mali, évidemment que la junte malienne n’aurait pas eu cette audace si elle ne s’était pas sentie soutenue politiquement par la Russie et à même du moins l’espère-t-elle de recevoir un soutien compensant cette audace. »
Grâce à dieu, au Parlement européen, les temps de paroles des députés en commission est limité à 2 mn, y compris pour les anciennes gloires de France Inter.