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Choguel Maïga: «Pour la première fois de son histoire, le Mali tient debout sans appui extérieur»
Publié le vendredi 4 fevrier 2022  |  Anadolu Agency
Rencontre
© aBamako.com par AS
Rencontre du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga avec le président de la Commission de l`Union Africaine
Bamako, le 25 janvier 2022. Le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, a reçu le président de la Commission de l`Union Africaine, M. Moussa Faki Mahamat, à la Primature
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L’Agence Anadolu a interviewé, mercredi, le Premier ministre malien de Transition, Choguel Kokalla Maïga qui a évoqué les facteurs ayant mené à l’insurrection populaire et au coup d’État au Mali



Interviewé mercredi par l’Agence Anadolu (AA), le Premier ministre malien de Transition, Choguel Kokalla Maïga, a évoqué les relations entretenues par son pays avec les acteurs internationaux, notamment la France, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ainsi que la Russie et la Turquie.

Dans ce troisième volet de l’entretien, Choguel Kokalla Maïga revient sur les facteurs ayant mené à l’insurrection populaire et au coup d’État du 18 août 2020 au Mali.

AA : Comment va le Mali, un an et demi après la prise du pouvoir par les militaires ayant mis fin au mandat du défunt président Ibrahim Boubacar Keita et quelques semaines après les sanctions décidées par la Cédéao ?

Choguel Kokalla Maïga : « Je pense qu’il vaut mieux parler de changement de régime. Vous savez ce qui est arrivé au Mali ? Il faut nuancer les choses, ce n’est pas une prise de pouvoir classique par les militaires. Dans beaucoup de pays, les militaires sont sortis des casernes. Ils ont pris le pouvoir, ils ont dissout la Constitution, dissout les institutions. Et ils ont concentré dans leurs mains la totalité du pouvoir d’Etat. Dans le cas du Mali, les choses se sont passées autrement. C’est à la suite d’une insurrection populaire qui a duré des mois. Plusieurs morts et des blessés, y compris, des scènes de violence dans des mosquées, dans un pays musulman. Lorsque le pouvoir politique envoie les forces de l’ordre tirer sur les fidèles dans les mosquées, c’est quand même au-delà de tout ce qu’on peut imaginer pour un régime qui se dit démocratique.

Donc, à un moment donné, le pays était au bord du chaos. Pratiquement de la guerre civile. C’est à ce moment précis qu’un certain nombre de jeunes officiers, qui n’étaient pas dans la hiérarchie de l’armée, mais qui viennent du terrain. Des officiers qui ont fait pratiquement entre 16 et 18 ans sur le théâtre des opérations militaires, qui étaient gênés de voir comment on utilise l’armée contre la population, et pour éviter le chaos ont décidé de procéder à l’arrestation de l’ancien président. Après quelques heures de négociations, le président a démissionné. Avant de démissionner, il a dissout l’Assemblée et le gouvernement, Ce sont des prérogatives constitutionnelles. Et donc à partir de ce moment, les officiers ont décidé de faire appel à la population malienne pour définir les conditions de l’exercice du pouvoir d’Etat. À la suite de cette discussion, il a été décidé de maintenir la Constitution, mais aussi de la compléter au regard de la nouvelle situation, par une charte appelée la Charte de la Transition. C’est donc la Constitution et la Charte de la Transition qui organisent le pouvoir d’État.

Donc, comme vous le voyez, c’est un peu différent des coups d’Etat classiques où les institutions sont dissoutes, l’Assemblée dissoute, le gouvernement est dissout et la Constitution suspendue. Ce n’est pas le cas au Mali. Lorsque ces officiers arrivés à la tête de l’État avec la branche civile qui a conduit le mouvement insurrectionnel, il y a une première phase de la transition qui n’a pas été heureuse. Pour la simple raison, que les revendications populaires pour lesquelles la population s’est mobilisée, et qui étaient portées par un mouvement populaire qu’on appelle le mouvement du 5 juillet, rassemblement des forces patriotiques, ont été pratiquement mises à côté.

Et donc au bout de neuf mois, le constat a été fait que la transition était dans l’impasse. Quelles sont ces revendications? Le peuple s’est soulevé à l’issue des élections. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres, c’est le résultat des élections contestées. Parce qu’une frange importante de la population a estimé que la Cour constitutionnelle a manipulé les résultats des élections. Et donc, les Maliens dans leurs mouvements de contestation, exigeaient qu’il n’y ait plus d’élections non transparentes. Ils ont donc exigé qu’à partir du changement de régime qui était souhaité, il faut qu’il y ait un organe indépendant pour organiser les élections, pour avoir des élections crédibles. Première exigence.

La deuxième exigence est que le soulèvement est intervenu à la suite des élections qui étaient la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mais le vase était déjà plein de beaucoup de choses inacceptables. D’abord, l’ancien président arrivé au pouvoir en 2013, avait promis aux Maliens de ramener la sécurité et d’unifier le pays. C’était son mot d’ordre, Donc c’est sur l’espoir de l’unification du pays, de lutte contre le séparatisme et le terrorisme qu’il a été élu, il a été pratiquement plébiscité avec plus de 70 % des suffrages. Au bout de sept ans, le constat a été fait que d’une insécurité résiduelle au nord du pays, l’insécurité et les mouvements terroristes ont envahi 80 % du territoire. Donc, il n’y avait plus d’espoir pour la population que le président puisse redresser la situation.

Donc la deuxième revendication était de rétablir l’ordre et la sécurité sur l’ensemble du territoire et assurer la sécurité des personnes et des biens.

La troisième revendication, c’est que pour les citoyens, l’échec du processus démocratique qui a conduit à plusieurs coups d’Etat en moins d’une décennie, est due à un certain nombre de facteurs. Le premier. C’est la mal gouvernance, qui s’est matérialisée par une généralisation de la corruption et de l’impunité. Vous êtes journaliste, ici, il y a eu des disparitions forcées de journalistes, qui n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes approfondies et donc les citoyens me disent qu’une fois que les régimes changent, il faut une lutte implacable contre l’impunité et la corruption.

La corruption qui a désorganisé l’appareil d’État, qui a déstructuré la société au point que 20 % à 30 % des ressources destinées à l’armée était dissipée à travers les différents réseaux de corruption. Cela faisait que l’armée n’arrivait plus à avoir les moyens de défendre l’intégrité du territoire et à assurer la sécurité des personnes et des biens, alors même que le budget demandé par les militaires a été entièrement mis à leur disposition.

Les militaires tombés sur le terrain ont été enterrés dans des fosses communes. On ne peut même pas transporter les corps. Certains avaient soif, ils n’ont pas à manger. Souvent, ils n’avaient pas d’armes. Ceux qui ont des armes n’ont pas de munitions. Bref, la situation générale au niveau des forces de sécurité est telle que l’essentiel des ressources destinées à l’armée ont été détournées. Donc, lutte implacable contre la corruption et l’impunité.

Dans la vie civile, la même chose : sur les grands projets routiers, les grands projets d’infrastructures, l’essentiel était détourné. Donc troisième exigence du peuple : la lutte implacable contre l’impunité et la corruption.

La quatrième exigence, c’est le besoin de réformes politiques et institutionnelles. Deux coups d’État en moins d’une décennie, sans compter les tentatives de coup d’État. Sinon, trois coups d’État et plusieurs tentatives en moins de 30 ans. Donc pour les citoyens, il faut faire des réformes politiques et institutionnelles pour que la gestion de l’État corresponde à la nouvelle situation politique et aux aspirations des Maliens.

En 2018, à l’issue de l’élection présidentielle, pendant des mois, d’importantes contestations ont eu lieu dans l’ensemble des villes du pays et même à l’étranger. A l’issue de ces contestations, l’organisation sous régionale qu’on appelle la Cédéao a envoyé une mission de haut niveau conduite par le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, qui a conclu qu’au Mali, on ne doit plus organiser des élections sans faire de réformes politiques et institutionnelles indispensables. La refondation du pays.

Voilà donc les grandes exigences autour desquelles le peuple s’est mobilisé. Élections transparentes, sécurité sur l’ensemble du territoire national, améliorer la sécurité des personnes et des biens, lutte implacable contre la corruption et l’impunité, exigences de réformes politiques et institutionnelles Ces revendications n’ont pas été prises en compte par les autorités de la transition pendant les 9 premiers mois. Le résultat, c’est que le mécontentement grandissait au sein de la population et on est arrivé à ce qu’on appelait la rectification de la trajectoire de la transition intervenue le 24 mai 2021.

C’est à partir de cette date, en réalité à partir du 7 juin, lorsque le Président de la Transition a été investi par la Cour suprême, que nous avons commencé réellement à faire les transformations nécessaires exigées par le peuple, et on peut dire aujourd’hui : nous avons installé un organe, on a fait voter la loi pour l’installation de l’organe indépendant chargé des élections.

Les crimes de sang, les citoyens qui ont été tués dans les manifestations populaires, y compris devant les mosquées, toute la hiérarchie sécuritaire est impliquée dans cette question et où ils ont été inculpés. N’est-ce pas ? L’ensemble de ceux qui sont dans la hiérarchie et l’unité spéciale qui a été utilisée pour cette sale besogne est dissoute au niveau de l’armée aujourd’hui.

Du point de vue des réformes politiques et institutionnelles, nous venons de finir ce qu’on appelle les Assises nationales de la refondation qui ont repensé l’ensemble de l’architecture institutionnelle et organisationnelle de l’Etat sur plusieurs décennies.

Il reste maintenant à prendre les projets de texte. Il est prévu la révision de la Constitution et l’ensemble des textes organiques qui gèrent l’État malien.

AA : Comment les autorités maliennes envisagent de créer un climat sécuritaire suffisamment apaisé pour satisfaire les Maliens ? Avez-vous les moyens nécessaires ?

Choguel Kokalla Maïga : « Sur le plan sécuritaire, nous avons procédé à un réarmement intensif de nos forces armées de sécurité qui fait qu’aujourd’hui, alors qu’il y a un an, l’insécurité était partout, on a plus de 350.000 réfugiés internes et externes. Depuis bientôt un mois, à partir du 28 décembre 2021, il y a une grande offensive généralisée sur l’ensemble du territoire qui fait qu’aujourd’hui, dans toutes les régions du Mali, il y a des opérations militaires et les mouvements terroristes sont en train de reculer parce que des bases sont détruites. Des centaines de terroristes sont neutralisés, d’autres sont arrêtés et des équipements saisis, y compris des équipements que les terroristes ont pris à l’armée il y a quelques années. Et nous assistons aujourd’hui à un retour massif des populations : plus de 50.000 personnes depuis quelques semaines ont regagné leurs localités et en une semaine, on vient de faire le compte rendu : 15 000 personnes sont retournées dans les localités de façon volontaire.

Ce que nous voulons, c’est de consolider cette situation afin que tous les réfugiés reviennent de façon volontaire. Ce qui est en train de se passer, mais que l’État soit présent pour assurer sa continuité et donner les services sociaux de base, l’école, la santé, l’administration. C’est sur ça que nous travaillons aujourd’hui. On peut dire, pour répondre à votre question ; que nous sommes sur la voie du redressement et du retour de l’espoir.

Vous savez, le gouvernement malien au départ, avait cru à la bonne foi des dirigeants de la Cédéao parce que, dans le principe, nous comprenions, que des présidents démocratiquement élus ne puissent accepter la rupture de l’ordre constitutionnel par des militaires. Dans le principe, c’est acceptable, mais ce que nous avons expliqué de long en large à la Cédéao, c’est qu’il y a les principes et la réalité. Une politique déconnectée de la réalité n’est pas une politique.

Au Mali, ce n’est pas un coup d’Etat classique. Au Mali, les militaires sont venus parachever un mouvement populaire. Ils n’ont pas concentré la totalité des pouvoirs dans leurs mains pour faire ce qu’ils veulent. La preuve en est que la Constitution existe. La Charte de Transition la complète. Le gouvernement est composé des civils et de militaires. Je suis devant vous aujourd’hui en tant que premier ministre. Ce n’est pas à la suite d’élections. C’est le mouvement insurrectionnel qui a porté les aspirations du peuple (M5- RFP) qui a désigné son président, proposé pour exercer la fonction de premier ministre.

Nous avons aussi les mouvements signataires de l’Accord pour la paix, la réconciliation, pour amener la paix au Nord, dont certains membres sont dans le gouvernement. Et vous avez certains postes à caractère sécuritaire qui sont détenus par les militaires. Ce que nous avons expliqué à la Cédéao, en vain. Une élection n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit pas d’être élu pour avoir la permission de faire ce qu’on veut. L’élection, j’explique souvent à mes interlocuteurs, c’est comme un permis de conduire que le peuple donne à un homme comme un chauffeur. Si le chauffeur qui est censé bien conduire passe son temps à faire des accidents à faire des morts, à déraper, à un moment donné, celui qui a donné le permis va être amené à s’interroger. Est-ce qu’il ne faut pas retirer le permis ? Dans le cas d’espèce, le détenteur du pouvoir, c’est le peuple. Lorsqu’un président est élu sur la base d’engagements précis, notamment la sécurité.

À son élection, on a vu une insécurité résiduelle au nord. 7 ans après, nous avons 80 % du territoire envahi par les terroristes. Des élections qui sont organisées depuis 30 ans. Pourtant, ça n’a pas empêché le pays de sombrer tous les ans, donc à ramener tout à des élections, c’est un faux diagnostic. Le gouvernement a dit : Prenons les raisons qui ont motivé l’insurrection et attaquons les de front. C’est ainsi que nous créons les conditions pour que le président qui sera élu soit à l’abri des surprises. Notre souci, c’est de faire en sorte qu’à la fin du processus de transition, on a un président. Des élections où on aura minimisé les risques de contestation. Qu’on aura réformé l’armée, résolu les grands problèmes de sécurité, réarmé moralement et matériellement pour que le futur président n’ait plus qu’à s’occuper des questions de développement.

La Cédéao n’a pas accepté, alors qu’en 2018, à l’issue de l’élection présidentielle, il y a eu des contestations et la Cédéao elle-même avait envoyé une mission de haut niveau qui a déposé un rapport en octobre 2018, où elle a recommandé de ne plus organiser d’élections au Mali sans faire les réformes politiques et institutionnelles nécessaires.

À notre grande surprise, la même Cédéao recommande aujourd’hui d’organiser les élections et de reporter les réformes et la lutte contre la corruption à plus tard. Nous disons qu’on ne peut pas faire ça, c’est un manque de responsabilité parce que si nous organisons simplement les élections, sans régler les problèmes qui ont conduit à l’insurrection, nous créons les conditions d’un nouveau coup d’État. Malheureusement. La Cédéao est restée dans les déclarations de principe et récemment, à l’issue des Assises nationales de la refondation, l’ensemble des Maliens se sont réunis pendant plus de trois semaines. Plus de 90.000 intervenants depuis les Communes jusqu’au sommet et ont dit que pour eux, il y a des transformations à faire dans le pays qui ne prendront pas moins de cinq ans. Redresser le pays puis aller vers les élections.

A l’issue de cette proposition qui a été soumise à la Cédéao, qui, n’était qu’une base de discussion, la Cédéao a pris des sanctions qui violent l’ensemble de la réglementation et des protocoles qui lient la Cédéao et le Mali. Par exemple, la fermeture des frontières n’est prévue dans aucun texte de la Cédéao. C’est purement arbitraire. La fermeture des frontières et un embargo contre le pays est interdit par le Convention des Nations unies (que le Mali a ratifié en 1980), sur les pays sans littoral, c’est totalement interdit.

La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, dans les protocoles qui l’organisent, il est interdit qu’un autre État ou des États s’ingèrent dans la gestion de la banque centrale d’un Etat. Donc, toutes ses règles ont été violées simplement parce que pour la Cédéao (et le Mali la soupçonne d’être sous influence extérieure), les règles ne comptent pas. La fin justifie les moyens, il faut déstabiliser ce gouvernement et le renverser. Vous savez, nous examinons, nous analysons et nous comparons.

La situation économique du Mali est difficile, c’est une vérité, mais c’est la première fois dans l’histoire de notre pays que depuis bientôt un an, le pays tient debout sans aucun appui extérieur. Personne. Nous faisons face à l’équipement de notre armée. Nous faisons face à l’augmentation sans précédent des salaires des fonctionnaires et des militaires : cela n’est jamais arrivé à un niveau aussi élevé dans notre pays. Nous faisons face à toutes les échéances de la dette publique. C’est la première fois de l’histoire de notre pays.


PM malien: « La France exerce un terrorisme politique, médiatique et diplomatique contre notre gouvernement »

L’Agence Anadolu a interviewé, mercredi, le Premier ministre malien de Transition, Choguel Kokalla Maïga qui a accusé la France d’avoir soutenu les mouvements séparatistes au Nord du Mali.




Interviewé mercredi par l’Agence Anadolu (AA), le Premier ministre malien de Transition Choguel Kokalla Maïga a répondu à une série de questions sur la situation sécuritaire et politique de son pays, notamment sur les facteurs ayant mené au coup d’État du 18 août 2020, ainsi que sur les relations entretenues par son gouvernement avec plusieurs acteurs internationaux notamment la Turquie.

Dans ce premier volet de l’entretien, le Premier ministre malien a accusé la France de jouer un rôle néfaste dans l’évolution de la situation sécuritaire et économique du Mali, imputant également une responsabilité à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Choguel Maïga a également évoqué les développements ayant mené à une collaboration renforcée du Mali avec la Russie.

AA : Dans vos déclarations sur les sanctions de la Cédéao, vous avez évoqué des « considérations d’ordre géopolitique ». Pouvez-vous expliquer davantage cette dimension ? Comment des « considérations d’ordre géopolitique » ont motivé les lourdes sanctions contre le Mali ?

Choguel Kokalla Maïga : « Depuis des mois, dans toutes les institutions financières internationales, la France, les représentants de la France, s’opposent à l’inscription de tout projet de développement concernant le Mali, à l’ordre du jour ; depuis des mois. Nous constatons que chaque fois qu’un sommet de la Cédéao est annoncé (on ne sait pas par quelle magie) les autorités françaises annoncent (parce qu’on dirait qu’ils sont au courant de la situation) que la Cédéao tiendra un sommet à telle date, qu’il y aura des sanctions. Donc, cela nous a amenés à dire que certainement la France est plus informée des conclusions que les chefs d’États de la Cédéao.

Par exemple le dernier sommet : le fait qu’il se tiendra le 9 janvier 2022 et qu’il y aura des sanctions a été annoncé par les autorités françaises un mois auparavant. Que des sanctions vont suivre soit annoncé un mois avant et la nature de ces sanctions nous montrent clairement, et nous l’avons dit dans notre communiqué, que ces sanctions ont certainement un objectif : c’est de déstabiliser le gouvernement, le renverser afin d’avoir à la tête de l’État un gouvernement docile qui obéirait aux instructions des autorités françaises.

Nous l’avons dit clairement, on ne le cache pas ; et nous avons les éléments pour le dire ; le fait qu’ils s’opposent à tout pour avoir l’asphyxie économique et financière du pays. Le fait qu’ils annoncent systématiquement avant la tenue des sommets, qu’il y aura des sommets et telle ou telle sanction ; et enfin, dans le cas de la coopération militaire, les accords militaires qui nous lient sont violés par les autorités françaises. La preuve, c’est que, dans le Nord, il y avait des bases militaires françaises qui ont été installées à la suite de l’accord de défense entre la France et le Mali. Et un beau jour l’État français, les autorités françaises ont décidé qu’ils quittent ces bases militaires sans nous aviser. À partir de ce moment, nous avons aussi engagé un processus de relecture de l’accord parce que de toute façon, si une partie peut la violer quand elle veut, il vaut mieux qu’on s’assoit ensemble pour le relire ; ce qui ne convient pas à une des parties, on les enlève et on trouve un terrain d’entente. Et donc pour nous, il n’y a aucun doute : les décisions prises contre notre pays, ont été inspirées par un agenda extérieur aux intérêts du peuple malien, aux intérêts de l’Afrique.

Vous savez, il y a une fable qui a été répandue dans le monde. Et là aussi, notre étonnement a été qu’au moment où, en France même et en Europe, on parlait de rumeurs, d’articles de presse, la Cédéao s’est saisie de ces rumeurs pour prendre des résolutions.

On ne comprend pas que des sommets de chefs d’Etat, s’inspirent de rumeurs et d’articles de presse des pays européens pour prendre des résolutions contre le Mali. De quoi s’agit-il ? Je veux être clair là-dessus. Vous savez, au Mali, les dirigeants actuels analysent la situation dans le monde, regardent ce qui s’est passé dans le monde en matière de géopolitique et des questions de défense durant les 20 ou 30 dernières années et tirent les leçons parce que ceux qui ne savent pas tirer les leçons de l’histoire, l’apprendront à leurs dépens.

AA : Quelle est votre évaluation de la situation sécuritaire actuelle au Mali et de son évolution ?

Choguel Kokalla Maïga : « Je vais vous donner quelques illustrations avant de vous expliquer où est ce que nous en sommes. Nous avons observé que pendant 20 ans, sous le couvert de la lutte contre le terrorisme, la communauté internationale entre guillemets (parce que quand on parle de communauté internationale, il s’agit de quelques pays qui s’entendent et parlent au nom de tout le monde) est intervenue en Afghanistan pendant 20 ans. À la fin de ces 20 ans, un jour, ils ont décidé de partir. Et nous avons vu les Afghans, avec l’énergie du désespoir, qui s’accrochaient à des avions. Notre peuple tire les leçons de cela.

Est-ce qu’un jour, tous ceux qui sont chez nous ne vont pas nous laisser ? Et c’est d’autant plus vrai que vous avez un paradoxe au Mali. Nous avons les Forces armées maliennes, vous avez l’opération française Barkhane, vous avez l’opération des Nations unies, la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali], vous avez les opérations (comme EUTM EUCAP) européennes, vous avez le G5 Sahel, vous avez Takuba.

Malgré toutes ces forces réunies, d’année en année, la situation sécuritaire se dégrade. C’est comme un malade, le malade est là. On a diagnostiqué la maladie, on a prescrit une ordonnance et des médicaments. On lui dit que dans deux mois il va guérir. Au bout de 8 ans, la maladie, qui avait atteint une partie de son corps, a couvert les 80 % de son corps. Ce malade s’il n’est pas irresponsable, il doit s’interroger. Soit les médecins sont mauvais, soit le diagnostic a été mal fait, soit les médicaments sont mauvais. Dans tous les cas, il doit s’interroger. C’est ce que le gouvernement a fait. Nous nous sommes dit que d’une insécurité résiduelle en 2013, on se trouve à 80 % du territoire envahi par les terroristes, alors qu’il y a toutes ces forces. Est-ce qu’il ne faut pas chercher une autre solution? Il ne faut pas changer de médecin ? Changer des traitements et des diagnostics, ou les deux ou les trois à la fois ?

PM malien: «La France exerce un terrorisme politique, médiatique et diplomatique contre notre gouvernement»

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— ANADOLU AGENCY (FR) (@aa_french) February 4, 2022



Vous savez, il y a un célèbre homme politique chinois (qui est un peuple très sage) [Deng Xiaoping] qui disait dans les années 1970, lorsque la Révolution culturelle battait son plein dans ce pays, que les chats, qu’ils soient gris ou noirs, pourvus qu’ils attrapent la souris. Pour dire qu’un système politique ne vaut que dans la mesure où il répond aux besoins des citoyens. Cela lui a coûté ce que cela a coûté en son temps, mais l’histoire lui a donné raison et il est revenu au pouvoir et c’est lui qui a fondé la Chine moderne.

C’est un exemple que je donne pour que les gens comprennent comment nous raisonnons à la tête de l’Etat aujourd’hui.

Nous nous sommes dit, d’après ce que nous avons vu en Afghanistan, ce que nous avons vu en Libye, où certains pays ont obtenu du Conseil de sécurité une résolution qui leur permettait de protéger Benghazi des bombardements aériens venant de Mouammar Kadhafi, ont outrepassé cette résolution pour aller assassiner le président et semer le désordre.

Et la situation au Mali est à 80 % issue de ce désordre-là. Donc, vous créez le chaos. Vous armez des gens, vous leur dites d’aller diviser le Mali. Parce que ça a été officiellement dit par les séparatistes et assumé par des responsables français, que c’est la France qui était derrière les mouvements séparatistes de 2011, qui sont venus de Libye avec armes et bagages. Les responsables des mouvements l’ont dit que c’est la France qui leur a promis d’envahir le nord du Mali et le diviser et créer un État indépendant. Ce n’est pas nous qui le disons. Ce sont les dirigeants de ce mouvement qui le disent et soutenus par des responsables politiques français.

Nous tirons les conclusions de cela. En 2013, quand le gouvernement malien a fait appel à la France pour l’aider à chasser les terroristes, il y a eu ce qu’on appelle l’opération « Serval » intervenue à la demande du gouvernement intérimaire. Comme ils disent aujourd’hui que le gouvernement n’est pas légitime, le gouvernement qui a fait appel à la France en 2013, était un gouvernement issu d’un coup d’Etat. Mais passons. Qu’est ce qui a été demandé ? Dans la lettre que le gouvernement malien a adressée au gouvernement français, dont il n’y a aucune copie dans les archives du Mali, ni à la Défense, ni aux Affaires étrangères. C’est en France, sur le site du Sénat français, que nous l’avons récemment retrouvée. Dans cette lettre-là, il avait été demandé à la France un appui aérien et un renseignement. Il n’était pas prévu de déployer des militaires français sur le territoire malien. L’Armée n’en voulait pas. La France a respecté cela jusqu’à Kidal. Arrivée à Kidal, elle a barré la route à l’Armée malienne, où elle a créé une enclave, où les terroristes ont eu des années pour se réorganiser. Nous tirons les leçons de cela. Elle devait venir nous aider à combattre les terroristes. Elle a créé les conditions de sanctuarisation du terrorisme et de la partition du Mali et les résolutions des Nations unies qu’elle était venue défendre, parce que je dis au passage que le président français François Hollande (ancien président) avait clairement dit les objectifs de l’opération Serval : détruire le terrorisme, restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et appliquer les résolutions des Nations unies.

Au bout de neuf ans, nous constatons que le terrorisme qui était résiduel au nord, a envahi 80 % du territoire, L’intégrité de l’autorité de l’État à la date d’aujourd’hui n’est pas restaurée sur l’ensemble du territoire national. Les résolutions des Nations unies changent chaque année, elles sont écrites par la France. Au point que cette année, notre gouvernement s’est opposé.

C’est dans la salle du Conseil de sécurité que notre ambassadeur a découvert un projet de résolution qui demandait d’augmenter de plus de 2000 hommes, l’effectif de la Minusma. Notre ambassadeur a dit que son gouvernement n’est pas au courant. On ne peut pas, comme on dit en Afrique, raser la tête des Maliens en l’absence des Maliens. On ne peut pas décider d’envoyer un contingent militaire sur notre territoire sans qu’on n’en connaisse les origines, les missions, les effectifs, les nationalités et les objectifs visés. Donc, nous nous y sommes opposés. Pour dire que nous tirons les leçons de cela aussi. Nous avons ce qu’on appelle la « Force Takuba » qui a été installée de façon un peu cavalière en 2019. C’est après l’avoir annoncée qu’on a convoqué les chefs d’Etat africains pour aller signer leur accord à Pau en France [Sommet du G5 Sahel du 13 janvier 2019].

Cette opération est là depuis bientôt deux ans. Mais zéro pointé : rien à son actif dans la lutte contre le terrorisme. Mais ce n’est pas cela le plus grave. C’est que tous les pays qui doivent envoyer des militaires dans le cadre de l’opération Takuba, doivent avoir un accord écrit avec l’Etat malien, c’est ce qui était prévu. Le gouvernement malien a envoyé une invitation à un certain nombre de pays. Mais lorsqu’un pays décide de venir au Mali, il fait un accord écrit qui détermine les conditions d’engagement des militaires sur notre territoire, c’est écrit noir sur blanc.

Nous ne comprenons pas pourquoi certains pays européens sans avoir d’accord avec le Mali, décident de venir. C’est ce qui s’est passé entre le gouvernement danois et nous. J’ai expliqué à des citoyens pour que le peuple comprenne que ce qui s’est passé chez nous, c’est comme en Europe quand on veut aller en Europe aujourd’hui. Vous êtes un Turc, vous voulez aller en Allemagne ; vous avez besoin d’une invitation. Mais quand vous avez l’invitation, ça ne suffit pas, il faut un visa. C’est ce qui s’est passé entre nous. Notre gouvernement a invité les États européens, mais chaque État doit avoir un accord spécifique, un visa pour être sur notre territoire. Et ce que nous n’avons pas compris, c’est que le gouvernement danois vient sur notre territoire sans le visa, sans autorisation. Nous leur avons dit que nous ne sommes pas d’accord. Et ce, d’autant plus que ces derniers moments, nous sentons une hostilité croissante de la France contre notre gouvernement. Je vous ai exposé tous les blocages qu’ils font pour asphyxier économiquement le gouvernement.

Nous voyons tous les jeux qui se sont passés depuis neuf ans. Nous voyons récemment, lorsqu’ils ont poussé la Cédéao à prendre les mesures injustes et illégales et illégitimes contre l’Etat malien parce que ces mesures n’existent dans aucun texte. Embargo total. Pendant qu’on fait l’embargo, un avion militaire français pénètre notre territoire en venant d’un pays de la Cédéao, alors qu’ils ont dit qu’ils ferment les frontières. Quand ils traversent notre territoire et qu’ils se rendent compte qu’on a les moyens suffisants pour détecter leur présence, il éteignent les transpondeurs pour ne pas être identifiés. Plus tard, ils éteignent leur radio pour ne pas être en relation avec la tour de contrôle. Il atterrissent sur une partie de notre territoire. Ils déposent on ne sait quoi et ils retournent dans ce pays de la Cédéao.

Le lendemain, c’est des avions de la Minusma qui survolent des bases militaires maliennes pendant des heures, alors que ce n’est pas le mandat de la Minusma et lorsque notre armée interroge, ils disent que c’est la France qui l’a demandé. Nous avons dit que ce n’est pas la mission de la Minusma que de venir espionner les bases militaires et donc nous avons demandé clairement de ne plus survoler notre territoire sans autorisation.

Nous avons demandé au gouvernement danois de retirer ses forces jusqu’à être conformes aux accords qu’il y a entre nous. Lorsque nous avons fait ça, vous avez entendu les autorités françaises, qui veulent gérer le Mali par procuration, dire que ce sont des actes irresponsables. Ils se sont répandus dans les injures. Le gouvernement malien a souverainement estimé qu’ils sont allés trop loin. Et j’ai rappelé dans l’une de mes dernières interviews, que le Mali n’a aucun problème avec l’Union européenne. Mais ce que nous voulons simplement que l’Union européenne comprenne : il ne faut pas que la France entraîne les pays de l’Union européenne dans un agenda caché qui n’est pas celui qu’ils présente à l’Union européenne.

J’ai aussi rappelé que les pays occidentaux en 1885, précisément, le 28 février 1885, à la conférence de Berlin, avaient divisé l’Afrique en zones d’influence. Nous avons rappelé que le Mali est indépendant depuis 1960. Donc, il n’y a pas de zone d’influence. La France ne peut pas gérer les relations du Mali avec l’UE par procuration. Donc, si un pays veut avoir des relations avec le Mali, il traite en tant que partenaire. C’est tout ce que nous avons demandé. À cause de cela, ils se sont répandus dans les injures en parlant de légitimité du gouvernement. Ce que j’avais envie de leur dire, lorsque le gouvernement, qu’ils appellent légitime, était en train de tirer dans les mosquées pour tuer des citoyens par dizaines, on n’a pas entendu la France parler à ce moment. Et ça, c’est authentique, parce que des rapports des Nations unies l’ont authentifié. Nous avons récemment en 2021, des Maliens qui célébraient un mariage, qui ont été bombardés par l’aviation française. Le rapport des Nations unies a confirmé que les victimes étaient des civils qui étaient dans un mariage. La France a dit que c’est le terrorisme, mais qui dit la vérité ? Donc tous ces facteurs nous ont amenés à dire : il faut faire attention. On ne peut plus autoriser des forces étrangères à être sur notre territoire avec des conditions non définies à l’avance.

On ne peut plus laisser des marges de manœuvre qui peuvent amener des États à sortir des engagements pris avec notre État pour aller accomplir un agenda qui n’a rien à voir avec ce qu’ils ont annoncé au niveau national, à leur opinion publique et à la communauté internationale. Bon, ça a suscité ce que vous savez, et nous avons été très clairs, il faut respecter notre peuple, il faut respecter sa souveraineté. Nous ne demandons pas autre chose ».

PM malien: «La France exerce un terrorisme politique, médiatique et diplomatique contre notre gouvernement»

L’Agence Anadolu a interviewé, mercredi, le Premier ministre malien de Transition, Choguel Kokalla Maïgahttps://t.co/SPrMLZnSoR pic.twitter.com/jvdjlh7cN7

— ANADOLU AGENCY (FR) (@aa_french) February 4, 2022



AA : Le Mali ne cache pas ses intentions de coopérer davantage avec la Russie, ce qui a provoqué la fureur de La France. Pourquoi cette ouverture sur la Russie et pourquoi maintenant ?

Choguel Kokalla Maïga : « Notre pays, notre gouvernement, est dans des dispositions pour collaborer avec tous ceux qui veulent l’aider à rétablir la sécurité. Ce que nous ne pouvons pas négocier, nous ne pouvons pas marchander, c’est la souveraineté de notre pays, son indépendance des décisions, y compris en matière de défense et la dignité de notre peuple. Tout ce brouhaha, c’est venu à cause du fait, comme je vous l’ai dit, qu’on a tous ces médecins, toutes ces forces armées, plus de 50 000 hommes qui sont sur le terrain. Des villages entiers sont exterminés. Lorsque nous demandons l’intervention des forces étrangères, ils nous disent non, la Minusma n’est pas venue faire la guerre. Mais en ce moment. Qu’est ce qui se passe ? Nous voulons acheter des avions avec les pays européens, on nous bloque. On veut acheter avec les États-Unis, on nous bloque. Mais la solution, c’est d’aller vers ceux qui ne vont pas nous bloquer.

C’est aussi simple que ça. Nous sommes allés, nous avons conclu des accords de coopération militaire avec la Russie. Nous avons acheté des armes à la Russie et la Russie n’est pas le seul. Nous faisons avec d’autres partenaires, mais comme il y a une lutte géopolitique, géostratégique entre la Russie et les pays occidentaux, on essaie de sacrifier le Mali sur l’autel de cette bataille qui n’est pas la nôtre. Sinon le Mali travaille avec d’autres partenaires pour équiper son armée sur tous les plans. Donc aujourd’hui, les résultats de cette coopération sont tangibles. En moins d’un mois, notre Armée a engrangé des résultats spectaculaires. Le nombre des terroristes éliminés en moins d’un mois est plus important que ce que nous avons réalisé pendant ces 30 dernières années.

Maintenant, tout le débat autour de Wagner et des Russes… De toutes les façons nous savons où nous mettons les pieds.. La sécurité des Maliens, c’est la priorité de notre gouvernement. Pour le reste, la propagande, l’intoxication, la diabolisation… Comme je dis aujourd’hui, les autorités françaises exercent un véritable terrorisme politique, médiatique et diplomatique contre notre gouvernement avec l’objectif de le renverser. Ce que nous avons dit aux pays de la Cédéao, c’est qu’on ne comprend pas que c’est au moment où nous engrangeons des résultats importants dans la lutte contre le terrorisme, qu’on vient nous poignarder ; et de faire attention, parce que la déstabilisation du gouvernement, donc de l’Etat malien, peut conduire à des conséquences auxquelles ils ne s’attendent pas. Voilà ce que je peux dire à ce sujet. Pour résumer, nous voulons défendre les citoyens maliens et leurs biens. Nous voulons qu’on respecte notre souveraineté, qu’on respecte la dignité de notre peuple et la liberté de choisir ses partenaires, y compris en matière de défense et de sécurité, que ce soient les Russes ou tout autre partenaire qui nous donne satisfaction ».


Source : Anadolu Agency
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