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Bamako-Paris : La guerre est déclarée
Publié le samedi 5 fevrier 2022  |  Mali Tribune
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© aBamako.com par AS
La ministre Florence Parly reçue en audience à Koulouba
Bamako, le 02 novembre 2020. En visite à Bamako dans le cadre d`une tournée au Sahel, la ministre française des Armées, Florence Parly, a été reçue en audience à Koulouba par le président Bah N`Daw.
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Dans un contexte sécuritaire sahélien patraque, les relations entre Paris et Bamako sont troubles, aggravées par la fièvre putschiste.



Le temps de la ruse

On s’écoute, on se calomnie, on se provoque, on se lynche. Médiatiquement. Tous les coups sont permis. « … Il y a une véritable fuite en avant de la part de la junte qui n’est pas acceptable… Le Mali fait appel à une milice privée russe qui s’appelle Wagner qui […] assure surtout la sécurité de la junte. Manifestement, la place de cette milice au Mali, c’est surtout de pérenniser la junte au pouvoir… », extrait de l’entretien de Monsieur Jean-Yves Le Drian, Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, RTL, 28 janvier 2022. « …Ce sont des propos que je condamne, qui sont inacceptables… Il est bon que Monsieur Le Drian comprenne que ce ne sont pas les insultes qui règlent les problèmes entre nations, que ce que nous attendons de la France, grande nation, est qu’elle puisse avoir une attitude constructive… », extrait de l’entretien de Monsieur Abdoulaye Diop, Ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, sur RFI, le 28 janvier 2022. Le ton est donné. C’est le temps de la ruse. On s’épie, on se défie, on s’entredéchire. Kafkaïen. À l’image d’un Vaudeville ou d’un Kotéba, les diplomates se mettent en scène. Quitte à créer un climat malsain. L’exécutif français accuse ; l’exécutif malien dénonce. Sur fond d’intérêts géopolitiques, la violence monte, attisée par les réseaux sociaux.



La fin d’un monde, le début d’un autre

Patatras : « Le Gouvernement de la République du Mali informe l’opinion nationale et internationale que, ce jour, lundi 31 janvier 2022, l’ambassadeur de France au Mali SEM Joël Meyer a été convoqué par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale qui lui a notifié la décision du Gouvernement qui l’invite à quitter le territoire national dans un délai de 72 heures ». Au lieu d’un compromis diplomatique entre le Mali et la France, prime l’expulsion du « patron » de la diplomatie française à Bamako par les autorités maliennes. De 1960 à aujourd’hui, sur les dix-sept ambassadeurs français à Bamako, c’est la 1ere fois que l’un d’entre eux est expulsé par les autorités maliennes. Situation inédite entre Paris et Bamako. Paris « prend note ». La guerre est déclarée entre les deux nations. Selon un ponte de la diplomatie, l’expulsion d’un ambassadeur peut être une décision politique grave, mais ne signifie pas « la rupture des relations diplomatiques ». Néanmoins, elle traduit le sentiment d’humiliations réciproques des deux nations. Pour en finir, n’est-il pas mieux qu’une des parties demande le départ de Barkhane du Mali ? Question épineuse qui rappelle presque la situation afghane.



La politique de l’autruche

Certes, les enjeux diplomatiques ont toujours existé entre le Mali et ses partenaires. Mais, aujourd’hui, ils sont devenus un ensemble enchevêtré de conflits géopolitiques pour lesquels cette frénésie de communication n’est pas appropriée. Par ailleurs, il est à remarquer aussi qu’au Mali, les bannissements sont monnaie courante. Le 25 octobre 2021, Monsieur Hamidou Boly, représentant spécial de la Cédéao au Mali, a été déclaré « persona non grata » pour « agissements incompatibles… » avec son statut. En novembre 2021, le 4e vice-président du CNT, Issa Kaou Djim, en a fait les frais en essayant de dénoncer l’acte d’expulsion de M. Boly. Kaou Djim a été envoyé au gnouf pour « atteinte au crédit de l’Etat… », condamné à 6 mois de prison avec sursis, et limogé du CNT, Conseil national de Transition. Au fond, nous assistons à la fin d’un monde et le début d’un autre. Que ni l’exécutif français, ni l’exécutif malien n’ont vu venir. Un monde où l’opposition est affaiblie, où la pensée unique s’impose, où le repli sur soi empêche de voir qui est responsable : la politique de l’autruche !



A Bamako, on bataille pour capter l’opinion publique

Par exemple, les soutiens de la transition battent le pavé pour appuyer le chronogramme de cinq ans. Alors que la Charte limitait la durée de la transition à 18 mois, et prévoyait l’organisation des élections générales le 27 février prochain. Quant aux opposants à la transition, ils avancent prudemment pour échapper à la privation de liberté. L’emprisonnement du Docteur Oumar Mariko pendant un mois pour « propos injurieux… » contre le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga hante encore les esprits des défenseurs de la liberté d’expression. À bien des égards, la détention d’Etienne Fakaba Sissoko (depuis mi-janvier) du Centre de Recherche, d’Analyses politiques, économiques et sociales pour incitation « à la discrimination ethnique ou religieuse… », illustre la difficulté à accepter la critique. Le régime de transition surfe sur la polarisation des opinions maliennes. Allègrement. Par ailleurs, la montée des putschs se poursuit. L’ogre putschiste sévit. Après le Mali et la Guinée-Conakry, c’est autour du Burkina Faso de se soumettre à l’ordre en kaki. Le 23 janvier dernier, au nom du Mouvement pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, 41 ans, dépose Roch Marc Kaboré (64 ans), réélu en 2020. Un putsch applaudi par Evgueni Prigojine, chef du groupe Wagner. Le 1er février dernier, la Guinée-Bissau subit une tentative de coup d’Etat. La fièvre putschiste monte dans l’espace Cédéao.

En dépit des sanctions de la Cédéao, l’instabilité règne à cause de notre incapacité à évaluer les risques sécuritaires et apporter des solutions convenables. Hélas, l’histoire se répète, même si ce n’est pas à l’identique. En novembre 1968, mécontent de la tournure politique socialiste du pouvoir de Modibo Keïta, Moussa Traoré à la tête du Comité militaire de libération nationale, CMNL, prend le pouvoir. « Maliennes-Maliens, aujourd’hui, 19 novembre 1968, l’heure de la liberté a sonné. Le régime dictatorial de Modibo Keïta et ses valets a chuté. Le Comité militaire de libération nationale assurera désormais les pouvoirs politiques et administratifs en attendant la formation d’un gouvernement et d’institutions politiques démocratiques, issues d’élections libres », extrait du discours de Moussa Traoré, auteur du 1er coup d’État au Mali, Archives d’Afrique, RFI. La suite : en plus des dérives autoritaires, Moussa Traoré ne quittera le pouvoir que sous la pression du mouvement démocratique (mars 1991), chassé par le putsch d’Amadou Toumani Touré. Autant quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte. Le contraste peut être saisissant.

Certes, le nationalisme, mot galvaudé, rend presque joyeux et apaisé. Certes, les discours tribunes affligés çà et là font légion. Certes, on a parlé de volonté de refondation, de restauration ou de souveraineté. Mais, on voit bien la difficulté de traduire ces mots en véritable unité de mobilisation nationale autour des enjeux sécuritaires. Un autre enjeu majeur dont nous ne devons pas nous détourner, c’est la bataille de la paix et le retour des civils au pouvoir. Si nous admettons que la République, c’est l’exercice du pouvoir par des représentants, « investis d’un pouvoir exécutif et non héréditaire». L’acceptation sociale et politique des dirigeants se fait par le suffrage universel : « Le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale… », article 25 de la constitution de 1992. Il est donc nécessaire de sortir de cet enchaînement de défiance et d’humiliation pour traiter les questions prioritaires et quotidiennes du Mali telles que manger à sa faim, voyager librement, sécuriser ses biens…

La finalité n’est-elle pas la paix ?



Mohamed Amara

(Sociologue)



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