Selon l’enquête menée par Reporters sans frontières (RSF), le journaliste malien est très probablement mort des suites des sévices infligés lors de sa détention au secret dans les locaux des services de renseignement en 2016. RSF demande à la justice malienne de poursuivre ses efforts sans relâche pour faire toute la lumière sur cette affaire.
Le 29 janvier 2016, Birama Touré disparaît à moto dans la nuit noire de Bamako. Il venait de déclarer son mariage à la mairie et avait passé l’après-midi avec sa famille. Aucun de ses proches ne l’a jamais revu. Six ans plus tard, RSF est en mesure d’affirmer que le journaliste a non seulement été détenu au secret pendant plusieurs mois dans les locaux de la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), mais qu’il y est très probablement mort des suites des sévices qui lui ont été infligés selon de nouveaux témoignages accablants obtenus ces derniers mois.
Depuis ses dernières révélations en juillet dernier, RSF a récolté de nouveaux éléments très précis de la part de personnes qui ont été détenues en même temps ou juste après le journaliste malien à la sécurité d’État. L’un de ces témoins a notamment affirmé avoir croisé Birama Touré lors d’un changement de cellule. Il décrit le journaliste qui occupe alors la “chambre 7” de la prison secrète des services de renseignement maliens comme “boursouflé” par les actes de torture au point qu’on aurait pu croire qu’il était “un homme d’une grande corpulence”.
Mort après avoir été torturé au “frigo”
Un autre témoin, jugé très crédible par notre organisation et dont nous conservons également l’anonymat pour des raisons de sécurité, nous a permis d’établir que le journaliste n’avait visiblement pas survécu à ses blessures. Un soir, Birama Touré est emmené au “frigo”, une cellule spéciale dans laquelle les détenus sont torturés, battus, accrochés pendant des heures à des barres de fer avec leurs pieds touchant à peine le sol, parfois mutilés ou violés… Cette nuit-là, le journaliste est ramené dans sa cellule le visage et l’anus ensanglantés. Il ne se réveillera plus. Selon les informations de ce témoin, le lendemain matin, le corps de Birama Touré a été enveloppé dans une natte et placé à l’arrière d’un pickup de couleur blanche, puis transporté en dehors de l’enceinte qui abrite les geôles de la sécurité d’État. Ce témoin assure que cette opération s’est déroulée en présence de Karim Keïta, le fils du président de l’époque Ibrahim Boubacar Keïta, du général Moussa Diawara, alors patron de la DGSE malienne, de plusieurs membres de ce service ainsi que de deux journalistes, depuis décédés.
Au moment de sa disparition, Birama Touré enquêtait sur deux sujets concernant Karim Keïta. Il avait commencé à se renseigner sur une liaison qu’aurait entretenue ce dernier avec la femme de l’un de ses amis. RSF a appris ces derniers mois que le journaliste s’intéressait également à une vaste affaire de contrats d’armement qui auraient donné lieu à des détournements d’argent très importants. À l’époque, Karim Keïta est une personnalité incontournable dans le domaine de la sécurité. Il dirige notamment la commission Défense de l’Assemblée nationale. Un co-détenu de Birama Touré avait également affirmé que le journaliste lui avait confié être détenu “sur ordre” de Karim Keïta. Le Sphinx, l’hebdomadaire d’investigation pour lequel travaillait Birama Touré, s’intéressait aussi de près au fils du président malien lorsque Birama Touré a mystérieusement disparu. Le 5 février 2016, dans le numéro suivant la disparition du reporter, la Une du journal est d’ailleurs consacrée à l’acquisition présumée d’un jet privé par le fils du président. Autant d’éléments qui ont sans doute conduit le juge d’instruction malien à lancer, en juillet dernier, un mandat d’arrêt contre Karim Keïta, désormais réfugié en Côte d’Ivoire depuis le renversement de son père par un coup d’État un an plus tôt. À ce jour, le mandat n’a toujours pas été exécuté par les autorités ivoiriennes.
“Il existe désormais un faisceau d’éléments et de témoignages concordants qui orientent cette enquête vers un crime très grave, celui de la disparition forcée voire de la mort précédée d’actes de torture de ce journaliste, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Mais six ans après sa disparition, le corps n’a toujours pas été retrouvé, des suspects sont toujours en liberté, des témoins clés sont décédés et le contexte politique et sécuritaire malien demeure très fragile. Ceci fait peser des risques importants sur l’aboutissement de l’enquête. Il est impératif que la justice malienne poursuive ses efforts et se donne les moyens de faire toute la lumière sur cette affaire.”
Contactés par RSF, ni l’avocat de Karim Keïta, Maître Mamadou Gaoussou Diarra, ni celui du général Moussa Diawara, Maître Jean Claude Sidibé, n’ont souhaité répondre aux questions de l’organisation sur les éléments incriminants leur client.
Les obstacles à la manifestation de la vérité restent nombreux comme le souligne notre organisation dans cette vidéo publiée conjointement et consacrée à la contre-enquête menée par RSF et Adama Dramé, le directeur de publication du Sphinx. À ce jour, trois témoins clés sont décédés en emportant probablement avec eux une partie de la vérité. Le temps presse. Plusieurs personnes soupçonnées d’être impliquées dans la détention, la torture voire la mort de Birama Touré sont toujours en liberté.
Le Mali demeure un pays dangereux pour l’exercice du journalisme. Deux reporters de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon y ont été assassinés en 2013. Plusieurs ont également été kidnappés ces dernières années, notamment par les groupes armés, comme le journaliste français Olivier Dubois, enlevé à Gao le 8 avril 2021 alors qu’il se trouvait en reportage et toujours otage du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Le Mali occupe la 99e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 récemment publié par RSF.
Source : RSF