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Modibo Mao Makalou, Economiste : « On n’est pas au bord de la rupture diplomatique »
Publié le mercredi 9 fevrier 2022  |  Mali Tribune
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Sommet extraordinaire des chefs d’Etats de la Cédéao sur le Mali, la Guinée et le Burkina Faso ; résurgence des coups d’Etats en Afrique de l’ouest ; regain de l’escalade verbale entre Bamako et Paris… Modibo Mao Makalou nous livre ses analyses. Entretien.

Mali-Tribune : réunis le jeudi dernier en sommet extraordinaire, les chefs d’Etat de la Cédéao maintiennent toujours les sanctions sur le Mali et la Guinée et n’ont pris aucune sanction contre les putschistes du Burkina-Faso. Pourquoi ?

Modibo Mao Makalou : Je ne suis pas dans les secrets du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), mais ce que je puis dire, c’est que la Cédéao semble avoir obtenu des gages des nouvelles autorités Burkinabés par rapport au retour à l’ordre constitutionnel. Aussi, le fait que la constitution ait été rétablie semble avoir été un geste de bonne volonté de la part des nouvelles autorités Burkinabé. Ces actes semblent rassurer la Cédéao qui avait effectué une mission à laquelle étaient associées les Nations-unies auprès des nouvelles autorités Burkinabé.

Pour ce qui concerne le Mali, la Cédéao selon son communiqué final, indique qu’elle n’a pas reçu un nouveau chronogramme détaillé qui pourrait mener aux élections en dehors de celui qui avait été reçu lors du sommet précédent du 9 janvier 2022. Quant à la Guinée, la Cédéao indique qu’elle n’a reçu aucun chronogramme de sa part jusqu’à présent. Ainsi, les sanctions sont maintenues contre ces deux pays jusqu’à ce qu’il y ait un accord sur un chronogramme détaillé qui pourrait mener aux élections, mais j’ai l’impression que les négociations sont en cours et qu’un travail technique est en train de se faire pour préparer ce chronogramme au niveau des autorités maliennes qui pourrait faire l’objet de discussion avec les autorités de la Cédéao.

Mali-Tribune : après le Burkina-Faso, la Guinée Bissau vient d’échapper de justesse à un coup d’Etat. Selon vous, qu’est ce qui explique cette résurgence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest après les années 60 ?

M.M. M. : Je pense que tout cela rentre dans la qualité de la gouvernance dans nos pays et aussi des processus électoraux qui font partie de la gouvernance qui concerne la manière dont on administre et gère un pays. La gestion des processus électoraux n’est pas sans reproche dans la plupart de nos pays, de même que l’évolution des processus démocratiques. Je pense que ce sont des questions essentielles sur lesquelles on doit se pencher pour éviter les crises post-électorales et “coups d’Etat” qui sont quasiment les conséquences de la mauvaise gouvernance et ces crises germent suite à des ressentiments existant par rapport à la gouvernance politique et démocratique. Je pense qu’il y a lieu de faire des reformes parce que, chaque pays est différent et doit mener un processus endogène. De surcroît, les forces vives doivent faire des diagnostics sans complaisance de leurs processus démocratiques en effectuant des reformes conjoncturelles immédiates et structurelles à moyen et long terme tout en élaborant des stratégies permettant de changer de paradigme afin de mettre en place une nouvelle gouvernance démocratique plus fiable, plus transparente et plus légitime.

Mali-Tribune : Après quelques mois d’accalmie entre Bamako et Paris, la semaine dernière la tension est montée d’un cran entre les deux pays avec l’expulsion de l’Ambassadeur français au Mali. Comment vous justifiez cette expulsion du diplomate français au Mali ? Et jusqu’où cette détérioration des relations entre les deux pays peut-elle aller ?

M.M. M. : Je pense que le Mali et la France par moments ont entretenu des relations tumultueuses : l’éclatement de la Fédération du Mali en août 1960, la demande d’évacuation des bases militaires françaises le 20 janvier 1961, la création du franc malien le 1er juillet 1962, le sommet de la Baule le 20 janvier 1990…… Ce sont des phénomènes récurrents dans la vie des nations et dans le cadre des relations internationales. Je pense que ces zones de turbulences concernent surtout les rapports entre les dirigeants des deux pays car les deux peuples ont des liens très forts, la communauté malienne en France étant la plus importante provenant d’Afrique au sud du Sahara. Actuellement, on n’est pas au bord de la rupture diplomatique à mon avis, bien vrai qu’il y a une escalade verbale. Aussi, je pense qu’on se dirige vers un apaisement à la suite de la demande de départ par les autorités maliennes de l’ambassadeur de France qui n’est cependant pas déclaré persona non grata (indésirable) par Bamako. Je crois qu’il existe encore quelques incompréhensions entre la France et le Mali sur les modalités de déploiement sur le sol malien des forces spéciales de l’Union européenne Takuba, mais aussi sur le désengagement de la force française Barkhane du Mali. Il me parait important que les rapports entre les deux pays soient clarifiés et que le dialogue puisse être repris en vue d’harmoniser les points de vue des deux pays dans le cadre de la lutte contre l’insécurité qui concerne la sécurité régionale et mondiale.

Mali-Tribune : Selon Florence Parly, c’est Bamako qui multiplie les provocations. Dans cette escalade qui provoque qui ?

M.M. M. : L’Afrique a beaucoup changé ces vingt dernières années. Le paternalisme n’est plus de mise, et le ton condescendant avec lequel certaines autorités françaises parlent à nos autorités n’est pas acceptable car ce sont des relations entre Etats. Les relations internationales doivent s’effectuer dans le cadre de partenariats inclusifs. Chaque pays a le devoir régalien de coordonner non seulement l’action de ses partenaires, mais aussi d’exiger une harmonisation des activités des partenaires sur son territoire. Selon Morgenthau, les relations internationales sont basées sur la lutte pour la domination et le pouvoir. Dorénavant, les pays francophones d’Afrique ne peuvent plus être considérés comme les pré-carrés français à l’ère de la mondialisation et de la quatrième révolution industrielle. L’Afrique a une population très jeune, l’âge médian étant de dix-huit ans, donc la grande majorité des Africains ne se souviennent pas de l’indépendance qui est survenue il y a environ soixante ans à plus forte raison de la colonisation. Ainsi, il faudra donc adapter à l’air du temps les relations entre la France et le Mali en adoptant des discours plus réalistes, des méthodes plus efficaces et des partenariats gagnant-gagnant, c’est à ce prix seulement que nous aurons des relations internationales apaisées entre le Mali et la France.

Mali-Tribune : les rumeurs vont bon train au Mali concernant la création de sa propre monnaie. Quel mécanisme il faut suivre pour qu’un Etat crée sa propre monnaie ?

M M. M. : Vous savez la gestion de la politique monétaire fait partie des Accords de coopération monétaire que nous avons avec la France dans le cadre de l’Union monétaire ouest africaine (Uémoa) puisque c’est l’Accord de coopération monétaire qui institue le Franc CFA et sa gouvernance. Cependant, nous devons aller vers des réformes au niveau des Accords de coopération de défense et monétaire. Pour la monnaie, je pense que les huit pays de l’Afrique de l’Ouest qui partagent le Franc CFA doivent évoluer autrement et nous devons en fonction de nos intérêts et aussi de notre niveau d’intégration économique. Aussi, la société doit évoluer avec la monnaie qui constitue le pouvoir d’achat des citoyens et nous devons nous réadapter constamment à la marche du monde pour mieux contribuer à l’économie mondiale et améliorer le niveau de vie de nos populations. L’adaptation doit être permanente et la modernisation de nos économies un impératif constant, qui nous permettra de nous adapter à la marche du monde et de hausser les niveaux de vie de nos populations, préalable à tout développement économique étant l’établissement et le maintien d’un climat de paix et de sécurité sur notre continent.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

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