Il est plus fréquent de croiser les jeunes qui ont les yeux rivés sur leurs écrans
 
Beaucoup de nos compatriotes estiment que le coût d’accès à la connexion internet est plus élevé au Mali que dans la plupart des pays voisins. Dans cette enquête, les acteurs du domaine nous éclairent davantage
Il est 20 heures passées de 30 minutes dans un «grin» à Magnambougou, un quartier de la Commune VI du district de Bamako. Réunis autour du thé, des jeunes ont les yeux rivés sur leurs smartphones. Soudain, Ousmane, l’un d’eux, sursaute. Il venait d’être surpris par l’épuisement de son forfait internet d’une semaine qui n’aura duré qu’une nuit, le temps de télécharger une vidéo. «Ho la vache! Mon forfait est épuisé déjà !», s’étonne-t-il. Moussa, son camarade, ajoute : «Avec le forfait de maintenant, nous ne sommes pas satisfaits lorsqu’on télécharge ou regarde une vidéo en ligne. Ça consomme tellement vite et c’est très cher».
Au Mali, le coût d’accès à la connexion internet diffère selon les opérateurs. Selon une étude de l’association «Chapitre malien de l’Internet Society» sur l’état de l’internet au Mali sur la période allant de 2020 à 2021, 84% des internautes maliens interrogés jugent le coût d’accès à internet élevé. Les usagers interrogés par notre équipe de reportage confirment les conclusions de cette enquête.
Amadou Maïga est manager du site de vente en ligne : «Yobootao». Il achète 10.000 Fcfa de forfait internet soit 25 GO par mois. Il s’approvisionne également lors des offres promotionnelles pour ses activités de Community manager au profit de différentes plateformes sociales. Le jeune entrepreneur juge le coût du forfait internet très cher comparé à certains pays de la sous-région. «Au Mali, le pass jour de 100 Fcfa pour 40 Mo, équivaut à 80 Mo en Côte d’Ivoire, au Sénégal. Dans ces pays, celui de 1000 Fcfa fait 3 GO, contre 1 GO de moins au Mali pour la même validité», explique-t-il. Ce constat est, selon lui, valable pour tous nos pays où l’autorité chargée de gérer ce domaine ne le fait pas dans l’intérêt général. Amadou Maïga estime que l’Autorité malienne de régulation des télécommunications, des Tics et des postes (AMRTP) et les associations de consommateurs ne jouent pas pleinement leur rôle alors qu’ils «sont au courant de la cherté du coût d’accès à l’Internet».
Dr Madiba Sissoko abonde dans le même sens. Le pharmacien dit ne pas comprendre le fait que le coût de l’internet est plus élevé au Mali qu’au Sénégal alors que c’est le même opérateur Orange. «Pour télécharger un fichier audio, regarder en format vidéo ou partager des données, on dépense pas moins de 2.000 Fcfa. C’est insupportable pour un pays comme le Mali dont le pouvoir d’achat est très faible. Par mois, je peux dépenser jusqu’à 10.000 Fcfa dans le forfait internet», évalue-t-il.
Moussa Keita, étudiant en lettres, partage cet avis. «Aujourd’hui, avec l’évolution des réseaux sociaux, tout le monde veut se connecter : instruits comme analphabètes. Selon lui, les histoires de pass jour, pass nuit, pass semaine ou pass mois d’Orange Mali sont pires. Quant on prend un montant dans un pass, cela doit continuer jusqu’au délai indiqué, pensent l’apprenant, estimant que tel n’est pas le cas au Mali. L’étudiant en lettres dénonce également ce qu’il appelle la différence tarifaire avec les autres pays de la sous-région.
DES COÛTS RAISONNABLES-Interrogé à cet effet, Cheikh Abdoul Kader Fofana, membre de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma), estime que l’internet n’est pas cher au Mali. À son avis, beaucoup d’internautes ne savent pas utiliser leur consommation internet. Il justifie ses propos par la mise à jour des applications en arrière plan. «Si la mise à jour a été stoppée à cause de l’épuisement de votre forfait internet, le processus reprend dès que vous approvisionnez votre compte. Il est alors nécessaire de désactiver des options comme la mise à jour automatique le mode consommation en arrière-plan dans les réglages des applications, conseille celui qui est censé défendre les consommateurs.
«Il faut que l’on apprenne à utiliser le peu qu’on a en faisant l’effort de dépenser peu», préconise le consommateur.
Bakary Kouyaté est le président de l’association «Chapitre malien de l’Internet Society», représentée dans environ 130 pays. Ces représentations sont appelées Chapitre. L’organisation a réalisé une étude sur l’état de l’internet au Mali. Plus de 6.500 utilisateurs y ont participé. Selon cet expert des travaux de développement de l’internet en Afrique, ce chiffre reflète le ressenti des utilisateurs lambda qui paient leur connexion. Il estime que le coût de l’internet au Mali est cher pour le Malien moyen. Malgré la présence de trois opérateurs de téléphonie, les coûts restent excessifs.
Il est, selon lui, important de donner une explication à ce niveau car «tout est une question de niveau de vie». Si l’on évalue de façon poussée en comparant les différentes offres, on a tendance à penser que le Mali est «dans une fourchette acceptable» en termes de coût de l’internet comparé aux pays de la sous-région.
Mais, si on évalue ce coût par rapport au revenu du Malien moyen on se rend compte que c’est trop cher», explique le spécialiste, rappelant que le Mali est un pays continental.
Ce qui constitue un handicap, à croire l’expert des travaux de développement de l’internet en Afrique. Selon lui, notre pays n’a pas accès aux câbles sous-marins qui connectent le Mali au reste du monde. «Nous sommes desservis en câbles sous-marins par le Sénégal et la Côte d’Ivoire», ajoute-t-il. Bakary Kouyaté trouve que cet aspect est l’une des raisons probables de la cherté de l’internet dans notre pays.
Le chercheur pense que ce système de «transit» de la connexion fait que nos opérateurs télécoms passent par le Sénégal ou la Côte d’Ivoire pour accéder aux câbles sous-marins.
À ce titre, avertit-il, la comparaison du coût à internet au Mali à celui du Sénégal ou de la Cote d’Ivoire serait une analyse biaisée. «Nous sommes dans les mêmes conditions que le Burkina Faso ou le Niger qui sont aussi des pays continentaux. Si comparaison il y a, elle doit se faire en fonction des coûts en vigueur dans ces pays-là», conclut-il.
Le directeur réseaux et infrastructures à l’AMRTP abonde dans le même sens. «Nous avons généralement accès à l’internet à travers un câble à fibre optique qui nous parviennent à partir de la mer, c’est ce qu’on appelle les câbles sous-marins. Les stations d’atterrissement sont au niveau de ces pays là ayant accès à l’océan. Nous payons le tarif de fourniture de ce service et les droits de passage jusqu’à Bamako», explique Issoufi Kouma Maïga. Le technicien reconnaît que les opérateurs font des efforts. «Ils offrent des giga aux usagers, en plus ils leur accordent souvent des bonus», souligne-t-il.
Toutefois, il assure que le régulateur est en train de travailler pour pouvoir améliorer la situation afin que les consommateurs aient accès à internet à un coût tenant compte du pouvoir du consommateur. «Le pouvoir d’achat est faible. Il faut des coûts raisonnables», concède-t-il. C’est pourquoi, révèle-t-il, des négociations sont en cours pour que le Mali puisse disposer comme c’est le cas dans d’autres pays de ce qu’on appelle un point d’atterrissement virtuel (PAV), c’est comme un câble sous-marin virtuel, c’est-à-dire que nous allons prendre la transmission soit à partir de la Côte d’Ivoire ou à partir du Sénégal pour le ramener jusqu’à Bamako.
C’est comme un port sec. Le but est de faire en sorte que le Mali bénéficie et donne le giga byte à des coûts moindres aux utilisateurs, détaille-t-il.
Amadou GUÉGUÉRÉ