La semaine prochaine, Emmanuel Macron devrait préciser si la France quitte militairement le Mali. Sa décision sera lourde de conséquences. L’armée française planifie déjà son retrait.
Ce n’est pas prendre un gros risque que d’affirmer qu’un retrait du Mali semble inéluctable. Indiscutablement, la France a finalement atteint ce moment délicat où il faudra admettre ce qui suffit et se retirer, comme l’écrivait l’historien militaire Michel Goya dès 2013.
Emmanuel Macron avait déjà annoncé en novembre 2019 qu’il serait appelé prochainement à repréciser le rôle de Barkhane, la force française au Sahel, et à confirmer et conforter l’engagement dans la région.
Puis le 10 juin 2021, il avait déclaré que à l’issue de consultations […] nous amorcerons une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel, et même annoncé lors d’une conférence de presse la « fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure ».
Cette transformation s’était concrétisée par le retrait des forces françaises des emprises de Tessalit, Kidal et Tombouctou, et par l’annonce d’une réduction des effectifs qui devraient se situer sous la barre des 3 000 militaires à l’été 2023.
La troisième étape approche.
Pêle-mêle, la dégradation des relations entre Paris et Bamako, l’expulsion de notre ambassadeur, l’intrusion des Russes (quel que soit leur statut) et une situation sécuritaire toujours précaire font que le fameux retrait du Mali va s’accélérer. Emmanuel Macron pourrait l’annoncer lors du sommet réunissant les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine qui se tiendra les 17 et 18 février 2022. En tout cas, à défaut de coup de grâce, le chef de l’État sonnera le glas à la fois de l’opération Barkhane et de la Task Force Takuba que le nouveau régime malien ne cesse de critiquer et d’accuser de visées néocolonialistes.
Ces départs ne font pas les affaires de tout le monde.
Ainsi à Bamako, dans les couloirs onusiens, l’effroi a succédé à la perplexité. La mission des Casques bleus effectivement ne va pas s’en trouver facilitée si la France retire son dispositif. En outre, la force onusienne risque de devenir le nouveau bouc émissaire des Maliens en quête de responsables à tous leurs malheurs.
Dans les popotes tricolores, les motifs de questionnement, d’inquiétude et de contrariété ne vont pas manquer. Et puisqu’il faut tout planifier, même le pire et l’inimaginable, on devine bien que le temps des casse-tête est arrivé.
L’heure des questions
Effectivement, les questions sont multiples et il n’est pas certain que le Président y répondra lors du sommet des 17 et 18. En voici trois avec des éléments de réponse.
Quitter le Mali, est-ce y cesser toutes les opérations ?
A priori, non, car la France a encore un rôle à jouer dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel, avec l’accord des autres pays de la région et en soutien des pays du golfe de Guinée, a récemment assuré le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian.
Mais la dimension partenariat de combat et l’accompagnement de nos alliés maliens dans leurs opérations de lutte contre le terrorisme ne seront pas possibles sans une présence effective. Idem pour la formation au profit des FAMA, à moins qu’elle ne soit délocalisée et se poursuive dans un pays limitrophe.
En revanche, les opérations de combat pourraient continuer en se limitant à des opérations aériennes : ISR, soutien et ravitaillement et frappes air-sol (au moins 75 % des pertes des Groupes Armés Terroristes sont provoquées par ce type de frappes françaises). Les opérations de réassurance pourraient également se poursuivre puisque majoritairement effectuées par des aéronefs basés à Niamey, au Niger.
Relocaliser, pourquoi pas, mais où ?
Le futur/éventuel dispositif français au Sahel va devoir trouver un (des ?) nouveau(x) centre(s) de gravité.
La Mauritanie ? Trop lointaine, même Néma (sud-est) étant largement excentré du périmètre le plus disputé (la zone des Trois frontières). Idem pour le Tchad qu’une partie des moyens français a d’ailleurs quitté. Reste le Burkina Faso mais les récents déboires d’un convoi français ont témoigné d’une animosité populaire à ne pas négliger.
Et le Niger ? Nos alliés américains y sont bien implantés (à Niamey et Agadez, avec des drones en particulier) et leur contribution à la lutte contre les GAT est essentielle. La France aussi y est présente avec une base à Niamey et un groupement tactique Désert (GTD) qui nomadise au sud de la frontière malienne.
Florence Parly s’est rendue la semaine dernière à Niamey. Là aussi la fronde antifrançaise gronde, encore marginale mais suffisamment inquiétante pour nécessiter des négociations avec le pouvoir sur deux points : l’installation d’unités françaises et alliées (Takuba créé pour diviser le Mali selon le Premier ministre malien qui n’en est plus à une exagération près) et le transit routier des convois qui quitteront les dernières bases françaises de Mali (Gao, Gossi, Ménéka) vers la mer pour un retour vers la métropole.
Et si rien ne va plus au Sahel, peut-être faudra-t-il imaginer un dispositif triangulaire N’Djamena/Dakar/Abidjan, avec des points d’appui et des moyens de soutien des armées régionales ?
Comment quitter le théâtre avec armes et bagages ?
Quitter le Mali et rester au Sahel impliquera malgré tout une autre hyper-opération logistique qui verra le rapatriement vers la métropole du matériel devenu redondant ou obsolète. Certes, comme le précise l’État-Major des Armées, un pont aérien massif (d’où des affrètements d’avions civils tout aussi massifs) permettra de faire sortir du théâtre un certain volume d’équipement. Mais on ne fera pas l’économie d’un transit maritime.
Pour le retrait des bases du nord du Mali et l’envoi du matériel vers le hub de Gao avant son retour en France, trois ports étaient disponibles : Abidjan, Cotonou et Douala.
Ces trois ports sont toujours disponibles. Mais, le futur désengagement stratégique ne sera pas facilité par l’animosité populaire au Sahel, le trajet via le Burkina Faso en particulier risquant d’être mouvementé. D’où l’hypothèse sérieuse d’un transit via le Niger puis le Bénin vers le port de Cotonou (1474 km) avec un franchissement du fleuve Niger à Malanville.
Patience, planification et persévérance sont désormais de mise. Dans l’immédiat ce ne sont pas les votes des parlementaires et des sénateurs français (les 22 et 23 février) sur la présence française au Sahel qui méritent de l’impatience mais bien l’annonce du président français qui confirmera la fin de Barkhane mais sans détailler la future discrète empreinte tricolore en Afrique de l’Ouest.