Lundi 31 janvier, la junte militaire au pouvoir au Mali depuis le coup d’État de 2020 exigeait le départ sous trois jours de l’ambassadeur français. Le 5 février, c’était chose faite, l’État français se voyant forcé d’obtempérer. Fin janvier, le contingent danois de Takuba, l’opération militaire européenne en appui de l’opération française Barkhane, était renvoyé du Mali. Plusieurs survols par des avions militaires ont également été refusés à la France ou à l’Allemagne.
Ce ne sont que les derniers épisodes dans une série de tentatives de la part de la junte malienne de s’émanciper quelque peu de la tutelle de l’ancienne puissance coloniale. Déjà, en 2020, le coup d’État renversait Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, l’homme de la France, affaibli par des mobilisations populaires. Pour protester et se poser en maître, la France annonçait le retrait de la moitié des forces de l’opération Barkhane et la fermeture de trois bases sur six. De quoi menacer le nouveau pouvoir de le laisser seul face aux groupes djihadistes qui occupent le nord du pays – et que la présence de la France depuis huit ans n’a jamais supprimés. La menace a fait long feu : le Mali prenait acte, et appelait « d’autres partenaires » à lui prêter main forte.
Ces derniers mois, c’est la milice privée Wagner, proche de Poutine, qui était signalée dans la région. Et Jean-Yves Le Drian de s’indigner : « C’est une milice qui se sert directement sur les ressources propres du Mali, qui se paie. Elle assure la sécurité en se payant ! » L’indignation n’est pas feinte, puisque Wagner remplace en partie une milice publique : l’armée française, dont le rôle est d’assurer la sécurité (des entreprises) pour laisser les bourgeoisies française et européenne se servir et se payer sur les ressources du Mali et des pays voisins. Le directeur de l’observatoire du nucléaire, Stéphane Lhomme, le déclare d’ailleurs explicitement : « la France a besoin de protéger ses mines d’uranium au Niger. » Difficile de faire plus clair.
Un intérêt compris par tous les candidats en posture de présidentiable. Valérie Pécresse et Marine Le Pen, dans un réflexe démagogique, appelaient à expulser en retour l’ambassadeur du Mali. Sauf que Macron l’avait déjà fait deux ans plus tôt, simplement parce qu’il avait osé critiquer les légionnaires français dans son pays. Mélenchon, lui, ne trouve rien d’autre à dire qu’« une guerre sans projet politique est vouée à la défaite ». Comme si la victoire excusait les crimes de guerre. Pas un mot sur les vues prédatrices de la France sur place. Derrière les déclarations creuses ou crasses de la gauche institutionnelle ou de la droite, chacun est d’accord pour se désengager du bourbier, et maquiller la débandade en grande stratégie : il faut « nous transformer pour nous rendre plus efficaces », affirme une source diplomatique au Monde. Pour les travailleurs en France, qui n’ont aucun intérêt en commun avec la bourgeoisie française ou ses politiciens, il n’y a rien à transformer : l’armée française doit quitter l’Afrique !
En s’émancipant de la tutelle exclusive de la France et en durcissant les relations avec l’ancienne puissance coloniale, la junte militaire s’est taillé une certaine popularité auprès de la population malienne et de tous ceux qui aspirent à une Afrique libérée de l’impérialisme. Ainsi, lorsque la France tentait d’augmenter la pression à travers la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) par des sanctions économiques, les mesures d’embargo n’ont pas eu l’effet escompté, puisqu’elles ont occasionné des manifestations de soutien à la junte dans le pays. Mais le projet des militaires au pouvoir est bien moins de libérer leur pays de l’exploitation que de se tailler dedans leur propre part. Les peuples de la région, eux, ne pourront compter que sur eux-mêmes et sur la solidarité internationale du prolétariat pour se libérer de l’impérialisme.