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Maître Kassoum Tapo sur RFI : «…la peur du gendarme et de la justice»
Publié le lundi 14 fevrier 2022  |  Le challenger
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© aBamako.com par AS
Réunion du Conseil Supérieur de la Magistrature à Koulouba
Bamako, le 31 Juillet 2020 s`est tenue à Koulouba une réunion du Conseil Supérieur de la Magistrature. Photo: Me Kassoum TAPO.
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Ne plus reconnaître les actuelles autorités de Transition à partir du 25 mars prochain, changer de Premier ministre, prolonger la transition de neuf mois maximum : le Cadre des partis pour une transition réussie rassemble plusieurs dizaines de mouvements politiques comme l’EPM, l’ARP, Yelema, Jigiya Kura, ADRP, Morema, Asma, Icap, CNDR. Alors que la fin de la période initialement prévue pour la transition approche et que le Mali est engagé dans un bras de fer avec la CEDEAO sur le sujet, ce cadre a formulé mercredi soir ses propositions pour sortir de la crise actuelle. Maître Kassoum Tapo, ancien ministre, est le président du parti Morema et l’un des porte-parole du Cadre. Invité d’Afrique matin, il répond aux questions de David Baché.




RFI : Le Cadre des partis que vous représentez propose de ne plus reconnaître les autorités de transition actuelles à partir du 25 mars (18 mois après la prestation de serment du premier président de Transition, comme prévu initialement par la Charte de transition.) À compter de cette date, que se passe-t-il ?

Kassoum Tapo : À compter de cette date, nous exigeons la mise en place d’un nouveau Conseil national de transition, qui va servir d’organe législatif, d’un nouveau gouvernement avec un Premier ministre neutre et d’un nouveau président civil.

Un Premier ministre « neutre », ça veut dire quoi ?

Cela veut dire un Premier ministre qui n’appartient pas aux partis politiques. Vous ne pouvez pas faire organiser les élections par un Premier ministre politique, c’est l’évidence. Le directoire du Cadre va se réunir pour prendre les décisions, mais vraisemblablement nous n’allons plus reconnaître les autorités de cette Transition et nous exigerons donc une nouvelle Transition.

Pourtant, les autorités actuelles ont montré qu’elles bénéficiaient d’un fort soutien populaire. Notamment lors des manifestations du 14 janvier…

Oui, mais cela ne veut rien dire ! Qui est-ce qui vous a dit que c’était un soutien à ces autorités-là ? Les Maliens sont sortis pour protester contre les sanctions de la CEDEAO ! Mais ils n’ont jamais demandé à donner carte blanche à ces autorités pour rester au-delà du mandat que les forces vives de la nation leur avaient donné.

Ne craignez-vous pas de vous exclure, de vous-même, de la transition en cours ?

Mais pourquoi ? De toute façon, pour l’instant, nous sommes exclus ! Nous avons tout fait pour accompagner cette Transition, mais nous sommes exclus de fait.

Un projet de loi a été annoncé pour réviser la Charte de Transition (suppression du poste de vice-président, de la limite de 25 ministres, prolongation de la transition de six mois à cinq ans…). Vous en pensez quoi ?

Tout ce qu’il y a derrière, c’est pour maintenir les autorités de la Transition. C’est tout ! Ce n’est pas autre chose ! Tout le reste, à mon avis, c’est de la poudre aux yeux ! Augmenter le nombre de membres du CNT, alors que le pays est en difficulté financière… Augmenter le nombre de membres du gouvernement, c’est un partage de gâteau. Mais le gâteau, il n’existe plus ! On n’a pas besoin de ça aujourd’hui.

Un mécanisme de concertation vient d’être créé par les autorités de transition pour définir « un chronogramme électoral consensuel ». Est-ce que cela ne démontre pas la bonne volonté des autorités ?

Mais nous ne savons pas avec qui ce mécanisme a été défini. Nous n’avons pas été consultés, nous n’avons pas été associés. Vous ne pouvez quand même pas faire un chronogramme électoral sans les partis politiques !

Mais tout de même, l’Union africaine, la CEDEAO, les Nations Unies y participent…

J’ai vu un communiqué du gouvernement disant que la commission est mise en place, mais je n’ai pas entendu une réaction de la CEDEAO, ni de l’Union africaine (l’entretien a été enregistré avant la diffusion du communiqué de la CEDEAO « prenant note » du communiqué malien sur la création de ce mécanisme, ndlr).

Les sanctions imposées par la CEDEAO : elles sont justifiées, ou est-ce qu’elles pèsent trop sur les Maliens ?

Je ne peux pas dire qu’elles sont justifiées, mais on les a cherchées ! Qu’elles fassent souffrir les populations, c’est une évidence. Tous les prix des denrées alimentaires, que ce soit le riz, le mil, le sucre, l’huile… Tout a augmenté ! On a entendu le gouvernement dire : « on va prendre des mesures », on a même pris les mesures pour les quinze années à venir, mais j’attends de voir lesquelles ! Quelles mesures ? On ne nous a pas dit une seule mesure ! Évidemment, le peuple souffre de ces sanctions, c’est une évidence ! Bientôt, si les sanctions financières de la BCEAO continuent, l’État ne pourra pas payer les salaires et ce sera encore plus grave ! La dette du Mali à l’international n’est plus honorée, c’est le ministre des Finances qui a fait un communiqué dans ce sens. Donc ce sont des sanctions qui frappent le peuple malien. Nous, nous demandons de dialoguer avec la CEDEAO, pour pouvoir les lever. Mais on ne peut pas les lever dans n’importe quelles conditions, parce qu’encore une fois, ce sont des principes et des valeurs qui sont en jeu. La démocratie c’est une valeur absolue. Le président Macky Sall (le président sénégalais est président en exercice de l’UA, ndlr) a été clair : on ne peut pas accepter l’intrusion de l’armée dans la vie politique. Quand ça a été fait, on a pris acte, on a essayé de trouver des solutions, il faut avancer… Mais on ne peut pas accepter de (voir les militaires, ndlr) prendre le pouvoir par les armes et s’incruster ! Ça, ce n’est pas admissible !

Le Cadre suggère une prolongation de la transition de neuf mois. Les autorités proposent quatre ans, l’Union africaine seize mois, maximum. Neuf mois, pourquoi ?

Neuf mois, parce que nous avons mis une commission technique, qui a « computé » les délais nécessaires pour tenir des élections : neuf mois, c’est suffisant. On peut faire des élections présidentielle et législatives en neuf mois.

De nombreux partis membres du Cadre que vous représentez dénoncent la restriction des libertés individuelles au Mali. Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Vous avez bien vu le Premier ministre Boubèye Maïga, qui est toujours détenu, qui est entre la vie et mort et on refuse de l’évacuer. D’autres, qui avaient été arrêtés, et vous le savez, j’ai eu moi-même à intervenir combien de fois ?

En tant qu’avocat…

En tant qu’avocat, bien sûr. Quand vous voyez les médias publics au Mali, ce sont des soliloques du gouvernement ! Plus personne n’a droit à la parole ! C’est ça qui est inquiétant ! Ça s’est ralenti un peu, mais vous avez bien vu les interpellations qui ont eu lieu. Au-delà même, je pense, de la peur du gendarme et de la justice, il y a un climat de terreur qui a été créé, ce qui fait que les gens ont peur de s’exprimer. Parce que toute personne qui prend la parole, aujourd’hui, pour dire que ce sont les autorités de la Transition qui ont suscité les sanctions de la CEDEAO, elle est taxée d’apatride. Toute personne qui va dire : « faites attention, la France n’est pas l’ennemi du Mali » est, ipso facto, classée parmi les ennemis du Mali ! C’est cette terreur-là, cette ambiance, qui ne n’est pas saine pour un dialogue.

Justement, les autorités de Transition accusent la CEDEAO, l’Union européenne et plus généralement la plupart de ceux qui affichent leur opposition à leur projet de « refondation », d’être instrumentalisés par la France. Selon vous, c’est le cas ? Et c’est le cas du Cadre des partis que vous représentez ?

Pas du tout ! Moi je pense que tout cela c’est du divertissement. C’est une insulte à la communauté internationale. Comment voulez-vous que la France manipule les États-Unis ? Je veux bien l’Union européenne, c’est elle (la France, ndlr) qui la préside aujourd’hui. Mais manipuler la CEDEAO, un pays comme le Nigeria ou comme le Ghana… non ! Je pense qu’il faut être un peu plus sérieux que ça. Ce n’est pas la France qui nous a mis dans la CEDEAO. Nous sommes membres de la CEDEAO, nous avons pris des engagements, nous avons souscrit à des règles, il faut les respecter. Si on ne les respecte pas et que la CEDEAO réagit, il ne faut pas s’en étonner ! Et parler d’instrumentalisation, c’est noyer le poisson.

Sur l’expulsion de l’ambassadeur de France, du contingent danois de Takuba, quelle est votre position ?

On n’aurait pas dû arriver à ces incidents-là, qui sont très graves sur le plan diplomatique. Mais ça participe du même esprit, c’est-à-dire fausser le débat. Est-ce qu’on avait besoin d’une mesure spectaculaire comme ça, qui a focalisé tous les débats ? Pendant trois-quatre jours, on n’a parlé que de ça. Et pendant ce temps, évidemment, on oublie tout le reste, qui est le plus important !

Le Président russe Vladimir Poutine, lundi, n’a pas démenti la présence de mercenaires russes au Mali. Il a en revanche démenti leur lien avec l’État russe, sans exclure qu’il y ait dans le même temps une coopération d’État à État. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ah, mais moi, ce que je retiens encore, ce sont ces mensonges d’État ! D’abord, on a commencé par nier. Les autorités ont dit qu’elles avaient appris dans les journaux que les Russes étaient au Mali… Ensuite, on a dit : « non c’est la coopération russe. » Eh bien voilà : aujourd’hui le président russe lui-même – et on ne peut trouver personne de plus qualifiée que lui – dit : l’État russe n’a rien à voir avec ça.

Vous attendez des clarifications de la part des autorités ?

Mais je n’attends plus rien du tout. On est à la fin de cette transition, je pense qu’il faut qu’on en finisse et puis c’est tout.

Source : RFI Avec Le Challenger
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