Après neuf ans de lutte antidjihadiste, la France devrait annoncer d’ici 24 heures une redéfinition de l’opération Barkhane au Sahel. La force européenne Takuba devrait suivre.
Sous pression de la junte au pouvoir à Bamako, Paris et ses partenaires européens s’apprêtent à annoncer leur retrait du Mali, tout en préparant les contours du futur dispositif militaire régional français, alors que les groupes djihadistes conservent leur pouvoir de nuisance au Sahel et menacent les pays du golfe de Guinée.
Selon plusieurs sources concordantes auprès de l’AFP, le président Emmanuel Macron doit annoncer ce mercredi 16 février au soir ou jeudi un retrait du Mali des forces françaises de l’opération Barkhane en marge d’un sommet Union européenne-Union africaine prévu à Bruxelles. Symbole d’une Europe de la défense chère au président français, le groupement européen de forces spéciales Takuba, initié par Paris en 2020 pour partager le fardeau sécuritaire, devrait également quitter le pays et se dissoudra.
L’avenir de l’opération Barkhane
Un mini-sommet à Paris avec les chefs d’Etat de pays sahéliens (Niger, Tchad, Mauritanie) et de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest doit avoir lieu avant des annonces, a souligné mardi le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal. Le statu quo n’est « pas possible dans un contexte très dégradé au Mali, avec la prise de pouvoir par une junte, le refus d’appliquer un calendrier de retour à l’ordre démocratique qui avait pourtant été annoncé et le recours à une milice privée russe », Wagner, réputée proche du Kremlin, a-t-il fait valoir.
« C’est impossible de continuer dans ces conditions, tous les autres alliés pensent la même chose », confiait dès samedi à la presse le ministre estonien de la Défense, Kalle Laanet. Quelque 25 000 hommes sont actuellement déployés au Sahel, dont environ 4 300 Français (2 400 au Mali dans le cadre de l’opération antidjihadiste Barkhane), selon l’Elysée.
Entravée et vilipendée depuis plusieurs semaines par la junte de Bamako arrivée au pouvoir au terme de deux coups d’Etat, la France a intensément consulté ses alliés pour trancher sur l’avenir de leur action au Mali, après neuf ans de lutte antidjihadiste ininterrompue à laquelle elle avait fini par réussir à associer des partenaires européens.
Un front uni
Aujourd’hui, les Européens de Takuba comme les partenaires britanniques et américains, qui contribuent à l’effort au Mali, semblent avoir surmonté certains désaccords, en particulier sur le risque de laisser le champ libre à l’influence russe au Mali, selon plusieurs sources proches du dossier interrogées par l’AFP.
La suite après la publicité
Ce front uni constituait un impératif politique pour l’Elysée, dans un double souci : atténuer l’exposition de la France, ex-puissance coloniale, sur fond de sentiment anti-français croissant au Sahel, et éviter une comparaison peu flatteuse avec le départ unilatéral et chaotique des Américains en Afghanistan en août.
Oumou Sangaré : « La France et le Mali sont liés par le sang et par l’histoire »
Selon une source française proche de l’Elysée, la France a promis de coordonner son retrait avec la mission de l’ONU au Mali et la Mission de Formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui continueront de bénéficier d’un soutien aérien et médical français sur place, avant le transfert ultérieur de ces moyens.
L’avenir des casques bleus
Des discussions entre membres du Conseil de Sécurité de l’ONU ont débuté récemment à New York sur l’avenir de la mission de casques bleus de l’ONU déployée au Mali, qui bénéficie jusqu’à présent d’un important soutien militaire des opérations françaises Barkhane et Takuba.
La force Minusma, créée en 2013 pour soutenir le processus politique malien, est l’une des missions de paix les plus importantes de l’ONU dans le monde et la plus meurtrière pour ses casques bleus (environ 150 morts dans des actes hostiles). Composée de quelque 15 000 militaires et policiers, elle est dotée d’un budget annuel de plus d’1,2 milliard de dollars.
La suite après la publicité
Le Mali au ban de la communauté internationale
L’annonce donnée comme imminente d’un départ du Mali de Barkhane et Takuba, sous la pression de la junte qui veut privilégier une coopération avec la Russie, pourrait entraîner des départs à moyen terme de contingents européens – Angleterre, Allemagne… – qui contribuent jusqu’à présent à la Minusma, selon des diplomates.
« L’arrivée du groupe (paramilitaire russe) Wagner couplée à un retrait de Barkhane mettra probablement nos troupes en danger », estime un diplomate occidental dont le pays fournit des militaires à la Minusma. « La sécurité de nos troupes et, par conséquent, leur capacité à opérer, sont essentielles », ajoute cette source sous couvert de l’anonymat, en confirmant le lancement de discussions à New York.
« Le retrait de Barkhane va avoir un impact sur la Minusma et sur la force G5 Sahel », abonde un ambassadeur africain à l’ONU, en demandant aussi à ne pas être identifié. Selon lui, « il y a des missions conjointes entre Barkhane et Minusma ». Pour l’Allemagne, un retrait ou un maintien de ses 1 100 casques bleus au Mali passe par une décision du Parlement attendue en mai.
Une migration vers l’Afrique de l’Ouest
En pleine présidence française de l’Union européenne et à trois mois de l’élection présidentielle française, à laquelle Emmanuel Macron va sans doute se représenter, un retrait forcé du Mali où 48 soldats français ont été tués (53 au Sahel) constitue un douloureux revers.
« La mauvaise image de l’armée française au Sahel favorise le recrutement des djihadistes »
Paris compte toutefois poursuivre la lutte antidjihadiste dans la région, où les mouvements affiliés à Al-Qaida ou au groupe Etat islamique ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs. « Nous avons besoin de réinventer notre partenariat militaire avec ces pays, selon la présidence française. Il ne s’agit pas de déplacer ce qui se fait au Mali ailleurs, mais de renforcer ce qu’on fait au Niger et de soutenir davantage le flanc sud. »
La ministre des Armées Florence Parly s’est rendue à Niamey début février pour s’entretenir avec le président nigérien Mohamed Bazoum, alors que le Niger héberge déjà une base aérienne française. Paris ambitionne par ailleurs de proposer ses services à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin…) pour les aider à contrer la propagation du djihadisme vers le golfe de Guinée.
Trois attaques à la bombe artisanale la semaine dernière ont fait au moins 9 morts, dont un Français, dans le nord du Bénin. Samedi, la France a annoncé avoir éliminé au Burkina Faso voisin 40 djihadistes impliqués dans ces attentats. L’enjeu des mois à venir sera de rendre moins visible la présence française au travers de « coopérations » renforcées, sans se substituer aux forces locales.
L’heure de vérité pour la France au Sahel
Paris devra également tirer les conséquences de ses ambitions stratégiques déçues au Mali, malgré d’indéniables victoires tactiques contre les groupes armés. Le pouvoir politique malien n’a jamais véritablement déployé les moyens nécessaires pour étendre son autorité et des services dans les zones semi-désertiques ratissées par les militaires de la force Barkhane. Et l’armée locale reste très fragile, malgré les efforts fournis pendant des années pour la former et l’aguerrir.
Dans les pays du Golfe, « il serait important d’apprendre des erreurs du Sahel, où des solutions contre-productives ont abouti à un désaveu des politiques sécuritaires des Etats et de l’intervention de leurs partenaires internationaux », estime ainsi Bakary Sambé, directeur régional du Timbuktu Institute.