La France a officialisé, ce jeudi, le retrait du Mali de ses militaires français de l’opération « Barkhane », sur fond de crise entre les deux pays. Malgré d’indéniables succès tactiques, le bilan reste globalement négatif au regard des objectifs affichés lors du lancement de Barkhane en juillet 2014.
Ce n’est pas un échec, a répété ce jeudi 17 février Emmanuel Macron lors de l’annonce officielle du retrait des militaires français du Mali. En paraphrasant le président français, on peut dire que le bilan de neuf ans de présence militaire française au Sahel n’est pas non plus un succès.
Si l’objectif affiché en juillet 2014 au lancement de Barkhane (qui a suivi l’opération Serval de janvier 2013) était d’empêcher une renaissance, voire d’éradiquer la menace djihadiste, il n’a pas été atteint. En juillet 2014, les djihadistes étaient aux abois, traqués dans quelques réduits autour de Kidal, dans le nord du Mali. En février 2021, ils opèrent dans une bonne partie du nord et du centre du pays. Le cancer djihadiste a métastasé jusque dans les États voisins, au Burkina Faso où les militaires se sont révoltés contre le pouvoir, mais aussi au Niger, et même dans le nord du Bénin et de la Côte d’Ivoire.
Les trois bases française au Mali déjà évacuées et les trois qui vont l'être d'ici à six mois: Gossi, Gao, Ménaka.
Les trois bases française au Mali déjà évacuées et les trois qui vont l'être d'ici à six mois: Gossi, Gao, Ménaka. | OUEST-FRANCE
Pire, en tout cas d’un point de vue symbolique, alors que Bamako était lié depuis longtemps par des accords de défense avec Paris, le Mali a ouvert son territoire à la Russie. Plus d’un millier de militaires russes, dont une partie sont des mercenaires du groupe Wagner, se sont installés dans les régions déjà évacuées par les Français, notamment autour de Tombouctou.
Plus inquiétant peut-être pour l’avenir, le sentiment antifrançais s’est accentué au Mali et dans les pays voisins. On a pu le mesurer lors des mobilisations populaires au Niger et au Burkina, où le sang a coulé, pour empêcher le passage de convois de ravitaillement de la force Barkhane.
Fallait-il y aller ?
Lorsque le président François Hollande donne son feu vert, le 11 janvier 2013, à l’opération Serval, il y a urgence. Des colonnes de combattants djihadistes, venus de Libye et du nord du Mali, menaçaient, sinon de prendre Bamako et tout le sud, ou moins de faire exploser l’État malien.
Serval a répondu à une bonne stratégie, avec des objectifs clairs et des moyens adéquats. La grande erreur a été de rester, résume l’historien militaire Michel Goya, en écho à de nombreux experts de la région. On a voulu jouer les gendarmes au lieu de rester des pompiers. Mais il existait trop de problèmes structurels ingérables.
Barkhane, opération militaire, est avant tout un échec politique et diplomatique.
Quels succès peut-on mettre au crédit de Barkhane ?
Il y en a, et pas des moindres. L’engagement très important des armées françaises (au prix de 53 morts au combat) a permis d’éliminer un nombre important de cadres des deux groupes djihadistes actifs au Sahel : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), agrégé autour de la filiale locale d’Al-Qaida, mais aussi l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), la franchise sahélienne de l’EI. Ce sont des frappes françaises qui ont tué le 4 juin 2019 Abdelmalek Droudkel, vétéran algérien du djihad et chef d’al-Qaida, ou encore le 17 août 2021 Adnane Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’EIGS.
En maintenant la pression toutes ces années, la force Barkhane a aussi empêché les chefs djihadistes de disposer d’un sanctuaire confortable, où ils auraient pu possiblement préparer des attentats en Europe. Ce n’est pas un aspect négligeable avec l’irruption, à partir de mai 2015, au Sahel, de l’EIGS, dont la maison-mère est à l’origine des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Selon des décomptes de l’ONG spécialisée dans les conflits Acled et Mediapart (à partir des briefings de l’état-major français), près de 2800 djihadistes présumés auraient été tués en neuf ans. À près de 80 %, ils l’ont été par des frappes aériennes, de l’aveu même, en 2020, de l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air, Philippe Lavigne.
Ces pertes très importantes infligées aux djihadistes soulignent a contrario leur capacité à se régénérer au fil des ans, sur un terreau purement local. Elles illustrent aussi le caractère démesuré de l’ambition de Paris de vouloir contrôler un territoire grand comme l’Europe avec seulement 5 200 soldats (au maximum du déploiement en 2019-2020), même aidés par ses partenaires européens de la force Takuba ou le G5 Sahel, les forces armées des cinq pays de la zone.
Le départ de Barkhane est-il la faute de la junte militaire ?
C’est la version défendue par le gouvernement français. Elle ne tient qu’en partie. Il est vrai que, depuis leur double coup d’État d’août 2020 et mai 2021, les militaires maliens qui ont pris le pouvoir jouent un double jeu en attisant la colère des Maliens contre la France pour mieux asseoir leur popularité et se dédouaner de tous les maux du pays. En accusant faussement la France d’abandon face aux djihadistes et en ouvrant la porte à Moscou.
Mais Paris a sa part de responsabilité. Le gouvernement français a longtemps et inconditionnellement soutenu Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, président de 2013 à 2020, malgré la corruption du régime et son incapacité apporter dans les zones libérées par Barkhane justice, éducation, santé… Quand les militaires ont renversé IBK, puis le gouvernement de transition, Paris a donné une impression de deux poids, deux mesures au gré de ses intérêts, en leur faisant un procès en illégitimité… au moment même où il soutenait la prise du pouvoir par le colonel Deby fils au Tchad.
En fait, les ressentiments et incompréhensions s’accumulent depuis longtemps. La reconquête par l’armée française de Kidal en 2013, ville du Nord toujours tenue par les anciens rebelles touaregs, n’a jamais permis à l’armée du Mali d’y remettre les pieds. La faute aux Français pour beaucoup de Maliens qui ont aussi vécu comme une humiliation la convocation à Pau en janvier 2020 par Emmanuel Macron des chefs d’État des cinq pays du G5 Sahel, sommés d’en faire davantage après la mort de treize militaires français.