ÉconomieL’expert économiste Modibo Mao Makalou en exclusivité à Aujourd-hui-Mali “La création d’une monnaie nationale doit répondre à des impératifs techniques…”
Le Mali doit-il sortir du CFA pour battre sa propre monnaie ? Quelles sont, pour le Mali, les conséquences des sanctions économiques et financières imposées par la Cédéao et l’Uémoa ? Quels enseignements le Mali doit-il tirer de ce régime de sanctions pour mieux envisager l’avenir ? Quels sont les grands axes de propositions pour le développement économique du Mali ? A ces questions qui constituent le cœur de l’actualité, l’expert économiste Modibo Mao Makalou, dont l’expertise est reconnue sur le continent africain et même au-delà, a bien voulu apporter des réponses, dans le cadre d’un entretien exclusif qu’il nous a accordé.
Aujourd’hui-Mali : L’Uémoa et la Cédéao ont décidé de sanctionner le Mali. Pouvez-vous nous faire le point de ces sanctions ?
Modibo Mao Macalou : En effet, suite à sa session extraordinaire du Conseil de Médiation et de Sécurité au niveau des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à Accra au Ghana, le 7 novembre 2021, selon la Décision CMS A/DEC.02/11/2021 portant imposition de sanctions ciblées contre les autorités de la Transition et toutes autres personnes empêchant le retour à l’ordre constitutionnel au Mali, les sanctions suivantes ont été annoncées :
D’abord des sanctions ciblées, c’est-à-dire des sanctions qui sont imposées contre les individus et les groupes qui ont été identifiés, y compris les membres des Autorités de Transition et des autres institutions de la Transition. Ces sanctions seront également étendues aux membres de leurs familles. Elles comprennent le gel des avoirs financiers, l’interdiction de voyage (ndlr : voir liste des personnes sanctionnées en encadré).
Ensuite, des sanctions économiques et financières ont été imposées à l’encontre du Mali et des autorités de Transition par la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), conformément aux délibérations de sa 60è session ordinaire, tenue le 12 décembre 2021 à Abuja, en République fédérale du Nigeria. Il s’agit notamment du rappel pour consultations par les Etats membres de la Cédéao de leurs ambassadeurs accrédités auprès de la République du Mali ; de la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Cédéao et le Mali ; de la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la Cédéao et le Mali, à l’exception des produits alimentaires de grande consommation, des produits pharmaceutiques, des matériels et équipements médicaux y compris ceux pour la lutte contre la Covid 19, des produits pétroliers et de l’électricité. A ces sanctions économiques que je viens d’énumérer, il faut ajouter les sanctions financières que sont le gel des avoirs de la République du Mali dans les Banques centrales de la Cédéao ; le gel des avoirs de l’Etat malien et des entreprises publiques et parapubliques dans les banques commerciales des pays de la Cédéao ; la suspension de toute assistance et transaction financières en faveur du Mali par les Institutions de financement de la Cédéao, particulièrement la Banque d’investissement et de développement de la Cédéao (Bidc) et la Banque ouest africaine de développement (Boad).
Quelles sont les conséquences éventuelles de ces sanctions sur l’économie malienne ?
Les mesures prises par la Cédéao et l’Uémoa à l’encontre du Mali auront des impacts économiques, financiers et sociaux conséquents sur les populations déjà éprouvées par une crise multidimensionnelle (politico-sécuritaire, sociale, économique, humanitaire, alimentaire, et sanitaire) qui perdure depuis 2012. Notons que, selon plusieurs organisations non-gouvernementales, 1,2 million de Maliens sont en insécurité alimentaire grave et plus de 7 millions de Maliens ont besoin d’assistance alimentaire. Aussi, le gel des avoirs de l’Etat malien aura pour effet de paralyser le fonctionnement quotidien de l’Etat malien. Déjà, le 12 janvier 2022, le Mali a été non seulement empêché de lever 30 milliards Fcfa sur le marché monétaire de l’Uémoa, mais aussi de procéder au règlement des intérêts sur des emprunts le 28 janvier 2022, suite aux sanctions financières de l’Uémoa. Ce qui affectera négativement les ressources budgétaires et financières de l’Etat malien à court, moyen et long terme.
Le Mali est assez dépendant du commerce international (les importations et les exportations) qui constitue 60% de sa production nationale de ses biens et services et de son activité économique. L’économie malienne est peu diversifiée car sa production est spécialisée et peu transformée pour les produits agricoles et pastoraux (moins de 2%). Il est donc nécessaire de subventionner pour le moment les produits de grande consommation afin d’équilibrer l’offre et la demande de produits de grande consommation, afin aussi d’éviter les pénuries sur les marchés et en même temps limiter les augmentations de prix des denrées de première nécessité qui seront engendrées à court terme par les fermetures des frontières et l’interdiction de faire des échanges commerciaux avec les 14 pays de la Cédéao.
Des observateurs disent que d’autres pays de l’Uémoa et de la Cédéao souffrent des sanctions autant que le Mali. Que veulent-ils dire exactement ?
Ces sanctions qui sont politiques, diplomatiques, économiques, financières et commerciales, visent à paralyser le fonctionnement de l’Etat au quotidien en le privant de ressources financières, mais aussi à restreindre toutes les activités diplomatiques, économiques, financières et commerciales du Mali avec les 14 autres Etats-membres de la Cédéao. Ces diverses sanctions pourraient avoir des conséquences désastreuses à moyen terme sur les conditions de vie non seulement des populations maliennes, mais aussi sur les populations des pays membres de la Cédéao alors que l’un des principes fondateurs de la Cédéao et de l’Uémoa est la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et des facteurs de production.
Par ailleurs, nos trois plus importants fournisseurs pour les importations sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso au sein de l’Uémoa et de la Cédéao. Le Mali a acheté avec ses partenaires économiques et commerciaux au sein de l’Uémoa pour 1276 milliards de biens et services en 2020. Aussi, le Mali avait emprunté 897,5 milliards Fcfa sur le marché financier et monétaire de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uémoa) en 2021 dont le reliquat à rembourser se chiffre à environ 300 milliards.
En tant qu’économiste, quels enseignements le Mali doit-il tirer de ce régime de sanctions dans ses programmes, à l’avenir ?
Il y a lieu de rappeler les principaux objectifs de la Cédéao et de l’Uémoa. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se propose dans ses objectifs de “promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroire la stabilité économique, de renforcer les relations entre les Etats membres et de contribuer au progrès et au développement du continent”.
Pour ce qui concerne l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uémoa) qui a été créée le 10 janvier 1994 et regroupe 8 Etats ayant en partage la monnaie Fcfa en Afrique de l’Ouest, l’un de ses objectifs est de créer entre les Etats membres un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale.
Il apparait donc clairement que les sanctions prises par l’Uémoa et la Cédéao sont antinomiques avec les objectifs d’intégration économique et politique de ces 2 organisations sous-régionales.
On parle beaucoup du Fcfa dont le système est remis en cause. Êtes-vous d’avis qu’il faille sortir du Cfa pour augmenter les chances de développement du Mali ou faut-il seulement rester dans le CFA et revoir son système ?
Pour prendre une telle décision, il faut effectuer une analyse par rapport aux bénéfices et coûts de la monnaie Fcfa. La monnaie joue un rôle très important pour ce qui concerne les objectifs de la politique économique non seulement pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens, mais aussi pour les transactions économiques d’un pays avec les autres pays. Les 3 principaux partenaires économiques du Mali au sein de la Cédéao et de l’Uémoa pour les importations sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Rappelons que la solidité d’une monnaie est établie, selon les normes internationales, lorsque les avoirs extérieurs nets de la Banque centrale peuvent couvrir 3 mois d’importations.
En examinant les comptes macroéconomiques du Mali en général et la balance des paiements (qui enregistre l’ensemble des transactions économiques avec l’extérieur) en particulier, il ressort clairement que le Mali est assez dépendant du commerce international qui constitue 60% de sa production nationale de biens et de services. La balance des paiements du Mali qui enregistre les flux économiques avec les autres pays est déficitaire chaque année depuis l’indépendance en 1960. De même, la balance commerciale est constamment déficitaire, les importations (achats provenant de l’extérieur) sont plus importantes que les exportations (ventes à l’extérieur). Aussi, le taux de couverture du pays, qui correspond au rapport entre ses exportations et ses importations, est relativement faible. Ce qui est un facteur défavorable pour obtenir une monnaie fiable et solide.
Si le Mali envisageait de sortir du CFA, quelles en seraient les conditions vis à vis de l’Umoa ?
Battre monnaie, c’est l’action de créer physiquement de la monnaie. La monnaie remplit trois fonctions essentielles qui sont aussi différentes. C’est un moyen d’échange, à savoir un moyen de paiement ayant une valeur, fiable aux yeux de tous. La monnaie est également une unité de compte permettant d’établir le prix des biens et des services. Et elle constitue aussi une réserve de valeur. La création d’une monnaie nationale est une décision politique qui doit répondre à des impératifs techniques de fixation du taux de change (quantité de monnaie nationale pour une unité de monnaie étrangère) pour faciliter les échanges avec les principaux partenaires commerciaux, tout en assurant la stabilité des prix donc du pouvoir d’achat des citoyens.
La création d’une monnaie nationale implique la création d’un institut d’émission qui servira de banque centrale nationale. Il s’agira au préalable d’activer la clause de retrait des membres de l’Umoa. La banque centrale nationale agira comme une banque pour les banques commerciales, en contrôlant les flux de monnaie et de crédits dans l’économie de manière à assurer son premier objectif, en l’occurrence, la stabilité des prix. Les banques commerciales pourront alors solliciter des prêts auprès de la Banque centrale (des réserves de banque centrale), qui leur servira en grande partie à couvrir des besoins de liquidités à très court terme. Le principal instrument dont dispose la Banque centrale pour réguler le crédit dans l’économie et pour contrôler la quantité de monnaie en circulation et, par conséquent, la demande de réserves de banque centrale émanant des banques commerciales, consiste à fixer les taux d’intérêt (le coût du crédit).
Si vous aviez des propositions à faire pour le développement économique du Mali, quels en seraient les grands axes?
En réalité, un changement profond de paradigme s’impose au Mali en matière d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques qui, non seulement soutiennent la croissance, mais s’attaquent aussi aux sources et causes de la pauvreté et des inégalités. Il s’agit essentiellement donc d’élaborer des plans stratégiques nationaux et sous-régionaux de développement durable intégrant la gestion axée sur les résultats pour stimuler la croissance, la création d’emplois, et l’éradication de la pauvreté et des inégalités. Les plans doivent contenir des objectifs clairs, des indicateurs de résultats simples, des délais raisonnables et être adossés à des plans de financement. Aussi, les dépenses publiques devraient cibler les secteurs clés et les services de base essentiels , comme l’agriculture, l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau potable, l’industrie, les logements, le développement urbain et l’assainissement, de même que des infrastructures de base de qualité qui ont une forte incidence sur la réduction des inégalités, surtout parmi les couches les plus vulnérables, notamment le secteur informel, les femmes, les filles et les jeunes.
Aussi, la stratégie de croissance de l’Afrique devrait se fonder également sur le renforcement de l’innovation et la recherche pour développer l’économie numérique et l’agro-industrie, qui stimuleraient la productivité du pays. Les investissements publics doivent impérativement servir de levier pour la croissance et le développement.
Votre mot de la fin?
Les périodes de crise sont des moments cruciaux dans la vie des nations qui peuvent être transformées en opportunités à travers des réformes conjoncturelles et/ou structurelles pour améliorer le bien-être et les conditions de vie des populations. Aussi, la paix et la sécurité constituent des préalables à tout développement économique.