Face au tourbillon géopolitique du Sahel, le sentiment dominant reste l’exaspération des populations à l’égard du système démocratique, et la montée du nationalisme. Des mots comme apatride, blanc, colon, noir, etc., sont servis à volonté. Drôle de temps où les extrémismes fleurissent partout.
Pauvre Sahel, que tu subis ! Certes, il y a eu la marginalisation des citoyens par les élites économiques, militaires, politiques, etc. Certes, face au narcoterrorisme (Amara : 2019), il y a eu l’abandon des populations par les exécutifs. Certes, il y a eu l’érection des militaires au sommet des Etats burkinabé, guinéen et malien. Mais, tout cela compte moins à côté d’un fait majeur : le lien incestueux des élites avec le système démocratique. Lequel lien est caractérisé par l’attrait de l’argent facile, la gestion « clanique » du pouvoir, la déshérence de la jeunesse, la corruption, la manipulation, l’humiliation, le favoritisme. Ce lien incestueux est à l’origine de la désappropriation des principes démocratiques par les citoyens. Or, historiquement, s’il y a bien un processus politique, ayant un sens égalitaire, c’est bien celui de la démocratie. Empruntée du grec dêmokratie, de dêmos, « peuple », et kratos, « puissance, autorité », la démocratie est une création universelle. Elle nous vient d’Athènes, de Dakadjalan, de Gao, du Macina, du Mandé, de Ouagadougou, de Ségou, de Sikasso, etc.
Le cruel et l’injuste
Bien entendu, le système démocratique n’a cessé d’évoluer. Le contexte des siècles précédents est bien différent de celui du 21eme siècle. Néanmoins, parler de démocratie, aujourd’hui, c’est nommer un système d’organisation culturel, économique, politique et social dans lequel le peuple, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, peut exercer sa souveraineté. « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de referendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice », article 26 de la Constitution malienne.
Par le vote majoritaire, le peuple délègue le pouvoir à ses représentants. Pourtant, la critique envers le système démocratique continue de s’accentuer. Tout ceci est vrai, mais ne supprime pas ce fait têtu, l’incapacité des dirigeants à transformer la société grandit. Implacablement. Au lieu de pointer la responsabilité de la classe dirigeante, malade de sa mauvaise gestion, on accuse à tort la démocratie représentative. En fait, la réalité, c’est la responsabilité des dirigeants, toutes époques confondues, certes à des niveaux différents, qui doit être questionnée pour éviter de tomber dans le pouvoir absolu, caractérisé par le cruel et l’injuste.
La farandole du nationalisme
On le sait bien, au Mali et au Burkina-Faso, après les indépendances, trente ans de lutte, tout au moins, ont été nécessaires pour créer dans la société les conditions d’incubation et d’éclosion de la démocratie : mars 1991 au Mali, octobre 2014 au Burkina-Faso. Mais visiblement, les parenthèses démocratiques n’ont pas satisfait les désirs de changement, et surtout de renouvellement générationnel. Depuis plus d’un an, les vagues de putschs militaires se succèdent, balayant les élus. On parodie la démocratie. On y croit de moins en moins. Mais au fond, tout cela est inexact, et n’incite pas les hommes et les femmes à s’engager sur le front démocratique social. Au point que tenir un discours sur la démocratie est devenu synonyme de purgatoire. Dans un contexte où les régimes militaires font légion : 18 août 2020, putsch du colonel Assimi Goïta contre Ibrahim Boubacar Keïta ; 24 janvier 2022, putsch du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba contre Roch Marc Kaboré. On enfouit les pouvoirs civils et démocratiques dans les profondeurs du fleuve Niger. On infuse les pouvoirs militaires dans les théières de Bamako. Incontestablement, la crise sécuritaire accélère le retour des militaires au pouvoir. Fatiguées et divisées par la crise, les populations défient les exécutifs. La colère s’exprime. Les réseaux sociaux accélèrent la cadence. Les pouvoirs se fragilisent et chutent. C’est la farandole du nationalisme. À divers endroits, on brandit le nationalisme, ce « sentiment de vif attachement à la nation, exaltation de l’idée nationale… » dont l’effet immédiat, dans bien des cas, est l’étroitesse d’esprit, l’exclusion des autres, le repli sur soi, la recherche permanente de bouc émissaire. Ce n’est jamais moi, ce sont les autres. Troublant.
Manipuler le citoyen par la ruse
Chemin faisant, on constate bien que les forces anti-démocratie essaiment et se renforcent. Les réseaux sociaux sont devenus des espaces par excellence de propagation de ces forces, mélange de populisme et de rejet de son semblable. N’oublions pas que plus de la moitié des Maliens et des Burkinabés ont accès à Internet grâce à sa démocratisation. On manifeste, on dénonce, on accuse, mais sans proposer d’autres projets de sociétés viables, d’autres solutions concrètes. Tout reste à démontrer. Ces forces savent ce qu’elles n’aiment pas, mais ont du mal à définir ce qu’elles aiment, le Mali ou le Burkina-Faso dans les cinquante ans à venir. Enfin, on s’aperçoit qu’œuvrer à la participation citoyenne sans manipulation est quasi inexistant des logiciels de changement. Rappelons que la manipulation reste un des comportements incestueux avec la démocratie par lequel l’élite prend le contrôle sur les citoyens. Et, en général, on domine par la ruse. Toxique. Il est temps de favoriser l’expression des citoyens sans courir le risque de se faire emprisonner ou d’être traité d’apatride. On ne peut que le souhaiter. Par exemple, le Malien de Banikane et le Burkinabé de Gorom-Gorom sont en droit de voir que leurs problèmes sont reconnus et mis sur la table. Une façon de donner un corps, un langage, une reconnaissance à ce qu’ils vivent. N’est-il pas temps de nous réinscrire dans des formes nouvelles d’expression et de dialogue ? Démocratiquement.
En attendant, la construction d’un front démocratique social s’inscrit dans une temporalité, celle d’un travail à long terme, porté par l’égalité et la justice, l’initiative et l’anticipation, le concret et le réalisable. Elle ne se fera pas en tentant de vider le fleuve Niger à la petite cuillère, mais en essayant de nous parler, nous écouter, nous entendre, nous soutenir, nous accepter en vue d’un projet de société pour faire l’éloge de la démocratie. Et comme l’écrivait Hampaté Bâ (1972), « Pour se comprendre mutuellement, il est bon d’oublier un moment qui l’on est et ce qu’on sait, afin d’être ouvert, disponible et mieux écouter son interlocuteur… ».
Peut-on soumettre les actions d’un pouvoir non démocratique à la critique ?