« Vigoureusement défiée dans ce qui était autrefois son pré-carré en Afrique, la France doit aussi composer avec le désamour de plus en plus grand d’une partie de l’opinion. Si Paris veut éviter une perte irréversible d’influence dans ses anciennes colonies, il lui faudra gérer avec doigté la fronde actuelle », conseille Jean Baptiste Placca, dans sa chronique de ce 19 février 2022, suite à la décision française de retirer la force Barkhane du Mali. Et le ton martial des autorités maliennes à la France, de décamper plus vite que ça, pas moins que l’aurait fait le Gouverneur de Bamako Ami Kane aux commerçants détaillants de Dabanani et de Malitel da.
A cet instant, il est à craindre que ce conseiller n’apparaisse comme un oiseau crépusculaire, arrivant après la messe. Si elle s’est opposée, il y a neuf ans à l’entrée des FAMa à Kidal, la France vit sans doute les soubresauts diplomatiques actuels, le ping-pong et autre guerre des communiqués entre autorités françaises et maliennes, comme des faits qui traduisent cette perte d’influence dans ses anciennes colonies, tant redoutée par le chroniqueur.
La recommandation faite de « gérer avec doigté la fronde actuelle » n’arrive pas à point nommé, le mal est déjà fait et les faits sont patents. Car après une fausse manœuvre et l’accident irréversible, aucune dextérité ne peut plus servir qu’à administrer des gestes qui sauvent, à coller les morceaux. La France a perdu de son lustre dans ses anciennes colonies comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger et ailleurs, même si les autorités de certains pays, loin d’être en phase avec leurs peuples, et qui ne représentent que l’ombre d’elles-mêmes, font croire à la France qu’elles ont la situation en main, avant d’être contraintes un jour d’abandonner le palais à la faveur de soulèvements populaires ou de mutineries dans les camps.
N’est-il pas temps que la France arrête de caporaliser le peuple malien à travers quelques leaders fainéants, qui vivent de l’exploitation de la misère de la jeunesse et de la gent féminine, qu’ils infantilisent et transforment en bétail électoral pour arriver au pouvoir et se servir au détriment de l’intérêt général. A cause de cette gestion patrimoniale, au Mali prolifèrent dans cette classe politique, des usagers de l’Etat, qui ne sont pas des hommes d’Etat.
C’est se faire des illusions ou vouloir embobiner, que d’inviter à un quelconque doigté dans « la fronde actuelle ». La France n’est pas à mesure de gérer avec doigté, car cette Afrique s’est déjà mise à l’évidence, que c’est une gestion patrimoniale qui arrange l’ancienne puissance coloniale, et que c’est ce type de gestion qu’elle souhaite voir les autorités en Afrique, imposer à leurs peuples. Cet apartheid a la vie dure, qui voit les autorités françaises faire imposer aux peuples africains par les dirigeants africains, ce qu’elles mêmes n’oseraient pas faire subir au peuple français.
Nous sommes témoins de l’encouragement du président Emmanuel Macron, de ses ministres Jean Ives Le Drian des Affaires étrangères et de Florence Parly de la Défense à l’endroit des chefs d’Etat de la CEDEAO et de l’UEMOA à sanctionner et à maintenir les sanctions contre le Mali sachant bien que les autorités et le peuple maliens embouchent la même flûte. La légitimité populaire des militaires au pouvoir appelés par mépris « junte au pouvoir », est proportionnelle au rejet de la classe politique dans l’estime du peuple malien, qui n’adhère plus à ce jeu de dupe.
La France entraine l’Europe
Le temps n’est plus à sauver l’influence de la France dans ses anciennes colonies, mais plutôt à éviter que dans ce que le chroniqueur appelle « la fronde actuelle », la France n’entraine les Etats européens, dont certains agissent par esprit de cohésion et de solidarité. N’est-ce pas certain, qu’il y a des pays européens qui n’apprécieraient pas avoir des relations peu diplomatiques avec le Mali, parce que son plus grand mal est d’assumer sa souveraineté en tant qu’Etat membre des Nations-Unies d’abord ?
Les arguments avancés comme « des militaires au pouvoir » ou le « refus d’organiser les élections » sont peu convaincants, rien qu’à regarder la situation similaire au Tchad, les troisièmes mandants en Afrique. Que nous dit-on ?
« Ce refus d’organier les élections » a une explication que Paris et ses conseillers refusent de voir. A quoi bon s’installer dans le déni démocratique par des élections qui n’en sont pas ? A qui profitent les élections tripatouillées, pour retomber dans le cycle infini des contestations postélectorales, des violences et des violations des droits de l’homme, puis le coup d’Etat crime imprescriptible ? Et encore, et encore ? Qui tirent les ficelles au Mali ?
Un immense échec
C’est cette reconquête de la souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire malien, ce désir d’instaurer un régime démocratique après des échecs électoraux répétés depuis la chute du président Moussa Traoré en 1991, ce devoir d’instaurer une justice sociale et de lutter contre l’impunité, qui expliquent ce refus de plier aux injonctions extérieures d’organiser les élections alors que le peuple malien adhère majoritairement à cette vision des autorités et veut que celle-ci soit conduite à bon port. Et c’est l’insistance à faire porter la camisole de force, qui explique le sentiment de défiance vis-à-vis de la France dont on a l’impression que les forces permettent la progression des terroristes au Mali.
Les Maliens qui vivent en paria depuis de longues années sont réduits à raser le mur dans le concert des Nations, du fait d’une gouvernance anti démocratique, d’une sécurité croissante, d’un système corrompu et népotiste. Face à ces pratiques, ni la CEDEAO, ni la France ne s’est si offusquée. C’est resté une question intérieure quand des élections chaotiques n’ont pu être contenues par la cour constitutionnelle, ont conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale, au remembrement de la cour constitutionnelle, à une absence de gouvernement…
Décrivant la situation actuelle, le chroniqueur Jean Baptiste Placca écrit : « C’est un immense échec, dont chaque partie devrait prendre sa part, d’autant que les conséquences sont devant nous, et pas derrière. La France, défiée dans son pré-carré, y laisse une part de son prestige, car cette histoire est l’illustration de ce que Dominique de Villepin, dans une de ses fulgurances, a, ces derniers temps, qualifié de « désinfluence ».
De fait, dans la plupart des ex-colonies françaises d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale, les banques françaises qui tenaient le haut du pavé sont à la traîne, lorsqu’elles n’ont pas tout simplement disparu. Les milieux d’affaires, dans ces pays, vont s’équiper, s’approvisionner en Chine, en Turquie, à Dubaï, et presque plus à Paris. Le cœur n’y est plus. Ils vont même, pour se soigner, en Turquie, ou en Tunisie.
La France perd pied dans cette Afrique qui lui a longtemps permis de tenir son rang dans le monde. S’il est exagéré de parler de sentiment anti-français, laisser croire que l’opinion africaine, aujourd’hui, déborde d’amour pour la France peut difficilement s’entendre. La France a vécu avec l’Afrique des relations monopolistiques.
En économie comme en amour, les monopoles, à force de durer, finissent par créer un confort de peu d’effort chez celui qui en bénéficie, et une forme plus ou moins ouverte de défiance, chez celui qui les subit. Voilà pourquoi toutes les tentatives d’Emmanuel Macron pour conquérir les nouvelles générations se heurtent si souvent au plafond de verre qu’est le passif accumulé, et dont quelques survivances viennent encore, de temps à autre, polluer toute avancée ». Ce qui est bien dit. Mais à qui la faute ?