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Mohamed Amara, Sociologue : « Le nœud, c’est Kidal…»
Publié le mercredi 23 fevrier 2022  |  Mali Tribune
Kidal,
© Autre presse par Dr
Kidal, troisième grande ville du Nord du Mali
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Une semaine après l’officialisation du retrait de la force Barkhane et Takuba du Mali. Mohamed Amara, sociologue à l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako et auteur de plusieurs livres (dont Marchands d’angoisses, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, éditions Grandvaux) fait une analyse sur ce retrait. Entretien.


Mali-Tribune : La France et ses partenaires européens ont officialisé la semaine dernière leur retrait militaire du Mali. Comment vous justifiez ce retrait ?

Mohamed Amara : deux explications principalement. La première, il y a d’abord l’héritage colonial qui ne passe pas. C’est-à-dire que la France et le Mali malgré les différentes formes de coopération n’ont pas soldé le passé colonial. Cela est devenu une source tensions dans leurs relations bilatérales entre les deux pays. La deuxième explication, c’est l’échec de forme de gouvernance depuis l’opération serval, puis Barkhane. Donc, il y a cet échec de forme de gouvernance à travers les différents exécutifs malien et français qui s’est aggravé avec les influences étrangères qui essaient de tirer leur épingle du jeu des contradictions en cours. Des contradictions qui sont à la fois locale au sens des difficultés de compréhension entre le Mali et la Cédéao mais aussi des contradictions territoriales au sens où on voit qu’au Mali il y a des régions où la question du vivre ensemble n’est pas tout à fait résolue.

Mali-Tribune : Malgré les bisbilles diplomatiques entre les deux nations, les autorités de Bamako n’ont pas exigé ouvertement le départ de Barkhane et Takuba. Selon vous est-ce que ce départ brutal a pris de court les autorités de Transition ?

M A.: je ne suis pas sûr que les autorités de Transition soient prises de court par l’annonce du retrait de Barkhane du Mali pour se réarticuler dans le reste du Sahel et du golfe de Guinée. Je pense sincèrement que ni les autorités maliennes ni françaises ne voulaient prendre la décision du départ de Barkhane du Mali pour la simple raison que ni l’un ni l’autre ne voulaient assumer les conséquences du départ de Barkhane en terme sécuritaire surtout. Les autorités maliennes ont communiqué pour ne pas perdre la face pour dire que nous existons après ça s’enchaîner avec la prise de parole de Macron qui était très clair sur le fait que Barkhane partira en ordre et qu’il ne transigera pas sur la question. Le départ de Barkhane qu’est-ce que ça implique d’un point de vue sécuritaire pour que la zone des trois frontières, qui est l’épicentre de cette crise aujourd’hui ne devient pas le futur bourbier et surtout la zone qui risque de faire perdre le pouvoir à la junte. Il ne faut pas oublier parce que pour l’instant, il y a une montée en puissance des FAMa dans le centre. Mais rien n’est prédisposé que demain à Ménaka, à Kidal, à Gao qu’il n’y ait pas d’affrontement sérieux entre les forces armées maliennes et certains groupes radicaux notamment AQMI et l’EIGS. On n’est pas sûr de qui va gagner la bataille ou la guerre.

Mali-Tribune : Iyad Ag Agaly n’a cessé de demander le départ des militaires français au Mali. Est ce qu’on peut dire que les ambitions du chef djihadiste commencent à voir le jour ?

M. A.: je pense qu’Iyad, est un fin stratège. Il attend tout simplement le bon moment. Il ne faut pas oublier que son groupe Aqmi est en crise avec l’Etat islamique dans le grand Sahara qu’il est en train de se battre sur ce front-là pour asseoir son autorité sur l’ensemble des territoires qui peuvent être sous son contrôle pour se préparer à une éventuelle lutte contre les forces armées régulières. C’est ça sa préoccupation actuelle. En plus de cela c’est quelqu’un qui a quand même pris de l’âge. Il commence à mettre de l’eau dans son bissape pour ne pas dire son gnyamakoudji.

Mali-Tribune : neuf ans de présence, 53 militaires tués et plus de 8 milliards d’euros dépensés. Peut-on dire que l’intervention militaire française au Mali est un échec ?

M A.: ce qui est sûr, la situation actuelle du Sahel plus particulièrement du Mali nécessite pour moi de comprendre les dynamiques qui sont à l’œuvre dans la société malienne ou dans les sociétés sahéliennes. Je pense actuellement que se sont ces dynamiques-là que Barkhane et l’ensemble des partenaires n’ont pas été capables d’analyser, pour éviter la situation de désamour actuel entre le Mali et la France. La situation du Sahel c’est un contexte où il y a une sorte d’affrontement entre des grandes puissances : la Russie, la France, les États-Unis… Certes, le seul affrontement ne suffit pas pour expliquer l’échec de Barkhane mais permettrait déjà d’asseoir une analyse sur la nécessité et pour la France qui ne sera plus au Mali dans quelques mois et pour le Mali de regarder en face ce renouvellement de la citoyenneté, de la société civile qui n’acceptent plus les façons de faire de société. Il est nécessaire de repenser un mode d’intervention, quelque soit le pays, qui ne soit pas trop marquée par un passé colonial.

Mali-Tribune : En 2013, les Maliens ont accueilli cette intervention militaire avec sympathie. Comment cette sympathie s’est transformée en hostilité ardente ?

M A.: le nœud de la rivalité entre le Mali et la France, c’est Kidal. Le fait que l’armée malienne n’est pas rentée à Kidal en 2013 avec l’armée française a été le point de rupture des relations sympathiques entre l’exécutif français et malien. Aujourd’hui, cette hostilité est liée au fait que les Maliens ont eu l’impression d’être floués sur la question de Kidal. Cela n’est jamais passé et c’est ça qui est à l’origine de toutes les tensions qu’on a connues après qu’il s’agit du premier coup d’Etat et du deuxième coup d’Etat, c’est simple ça. Je pense sincèrement que les autorités maliennes actuelles, si elles ne font pas attention par rapport à Kidal seront aussi heurtées à certains obstacles… Kidal reste pour les Maliens une partie du Mali qui n’est toujours pas revenue dans le giron malien. Comment le faire ? Le Mali a-t-il les moyens aujourd’hui ? Est-ce qu’il faut négocier pour le faire ? La question est ouverte aux acteurs en place de trouver la bonne solution sans tomber dans une sorte de nouvelle guerre qui n’apporte rien au Mali et la région et qui risque davantage de déstabiliser le Mali et le Sahel.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

Source: Mali Tribune
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