Etat enclavé, le Mali n’a pas de débouchés sur la mer et son territoire est occupé en bonne partie par le désert. Le pays fait aujourd’hui l’objet de sanctions économiques sévères de la part de la Cédéao. Face à cette situation, l’idée de la création d’une monnaie nationale et la sortie de la Cedeao reste toujours une option sur la table. Mais le Mali peut-il vraiment battre monnaie?
Qu’en est-il aujourd’hui? Difficile actuellement pour le Mali de créer sa monnaie. Pourquoi? Il n’est pas si facile de créer une monnaie contrairement à ce que pensent certaines personnes. Une monnaie est avant tout fiduciaire afin d’être viable. En d’autres termes, c’est la confiance que les agents économiques auront de la monnaie qui lui conférera sa valeur. Par exemple, pour un commerçant au Mali, il refusera par exemple de vendre sa marchandise à une personne qui a de nouveau billets de franc guinéen, pourquoi? Parce qu’il n’a pas confiance en la valeur des billets, par contre il acceptera un billet en franc C.F.A même si celui-ci est déchiré, parce qu’il a confiance. Le principe de la monnaie repose donc sur la confiance que les personnes confèrent à cette monnaie. Donc tout comme le franc guinéen, si le Mali crée sa monnaie, elle n’aura de valeur qu’au Mali, car avec les sanctions de la Cedeao, aucun pays de la Cedeao n’acceptera de soutenir cette monnaie.
La viabilité de la monnaie nécessite impérativement une économie réelle de production. C’est l’économie de production qui défend la valeur interne et externe d’une monnaie. La viabilité de la future monnaie malienne dépendra donc du dynamisme du système économique. Or cette économie se retrouve sous asphyxie actuellement. En effet, avec ces sanctions, les échanges économiques du Mali sont extrêmement réduits. Les principaux produits d’exportation du Mali sont destinés à l’Europe ou à ses voisins directs, hormis l’or malien dont plus de 70% de la production est destiné au pays arabes. L’UE compte suivre les décisions de l’Uemoa et de la Cedeao, et va elle-même entreprendre des sanctions contre le Mali. On voit donc très mal le système malien démarrer avec ces sanctions.
Soutien Russe, Chine ou Turque
Mais comme on le dit souvent, à l’impossible nul n’est tenu. Contrairement aux années 1960, la Russie est une puissance beaucoup plus stable aujourd’hui et le Mali pourrait s’appuyer sur la Chine et la Turquie. Si ces trois puissances décident de soutenir le Mali, il n’est pas impossible que le Mali puisse créer sa monnaie, comment?
La valeur d’une monnaie réside dans la confiance que l’on place en elle. Si l’une de ces trois puissances décide de se porter garante de la monnaie malienne comme la France le fait pour le franc C.F.A, et en assure la convertibilité, c’est sûr que petit à petit, la monnaie aura la confiance de plusieurs pays. Pour le système économique malien, il s’agira de rechercher de nouveaux partenaires d’affaires. L’URSS pour soutenir le Cuba, achetait le Sucre cubain. Dans le cas du Mali, il s’agira de trouver des pays capables d’absorber les produits d’exportation maliens. Même si cela paraît extrêmement compliqué, il existe une chance pour le Mali de battre monnaie, mais pour cela, il lui faudra que ses partenaires soient vraiment prêts à soutenir le pays, autrement, le pays ne pourra pas gagner le bras de fer engagé avec la Cedeao.
Le Mali est le premier Etat membre de la Communauté franco-africaine à demander l’indépendance. Avec l’indépendance, face à la décision d’appartenir ou non à la zone franc, et de garder ou non une monnaie commune, le franc CFA, la Guinée fait le choix d’une indépendance économique et monétaire totale. Le 1er mars 1960, elle crée sa propre monnaie et abandonne la zone franc.
Dans un premier temps, le Mali continue avec le C.F.A. Mais le pays qui se proclame socialiste, veut la maîtrise complète de la politique du crédit.
Le 22 septembre 1960, l’Assemblée législative soudanaise proclame la naissance de la République du Mali. Le nouvel État ne reconnaît pas les accords signés avec la France en avril 1960 et il refuse de faire partie de la Communauté rénovée. La proclamation de l’indépendance de la République du Mali s’accompagne de la création d’un Trésor malien, d’un Comité monétaire auprès de l’agence de la Banque centrale et d’un office des changes, qui est chargé de contrôler et d’autoriser tous les règlements financiers effectués entre la République du Mali et les autres États, membres ou non de la zone franc. Le gouvernement malien installe dans l’immeuble de la BCEAO un représentant du Comité monétaire qui suit quotidiennement la comptabilité de la caisse, fait une reconnaissance des fonds et assiste aux séances de destruction des billets en mauvais état.
Le Mali qui dispose d’un conseiller économique d’origine israélienne, prépare cependant la création de sa propre monnaie. Le pays est soutenu dans cette initiative par deux pays qui ont réussi à créer leur monnaie, le Ghana avec à sa tête Kwamé N’Krumah et la Guinée avec Sékou Touré.
Le 24 décembre 1960, à Conakry, les trois leaders ont annoncé officiellement la naissance de l’Union Ghana-Guinée-Mali. Début janvier 1961, après une réunion entre Kwamé N’Krumah, l’arrivée à Bamako d’une quarantaine de caisses d’un gros volume laisse présager une réforme monétaire imminente, qui doit se réaliser dans le cadre de la nouvelle union. En effet, ce sont pas moins de 3 milliards de franc C.F.A, octroyés au Mali pour sa réforme monétaire. Le climat devient très tendu entre la France et le Mali par la même occasion. Le 20 janvier 1962, Bamako demande l’évacuation des bases militaires françaises. Début mars, une mission malienne se rend en Union soviétique pour négocier et signer une série d’accords en matière de coopération technique, d’échanges commerciaux et d’aide culturelle. Elle obtient un prêt de 40 millions de dollars à des conditions très avantageuses. Le 30 juin 1962, Bamako prévient Paris qu’à partir du lendemain le franc CFA cessera d’avoir pouvoir légal sur son territoire. Il sera remplacé par un franc malien qui aura une valeur égale à celle du franc CFA.
Dans un discours au Parlement, Modibo Keita présente la réforme comme l’aboutissement normal de l’indépendance politique et économique du Mali. Dans le cas Guinéen, l’histoire ne s’était pas bien déroulée. La France a complètement abandonné le pays. Tous les crédits ont été annulés et le personnel technique rapatrié. L’aide française a été remplacée par celle des pays communistes, qui a été loin d’apporter tous les résultats escomptés. Les autorités guinéennes, considérant que les réserves monétaires gardées à l’agence locale de la BCEAO leur revenaient, les ont séquestrées, malgré cela, en 1962, l’état économique de la Guinée, qui en 1958 figurait parmi les pays de l’Afrique francophone potentiellement les plus riches, avait complètement dégringolé.
Réforme monétaire
Cette réforme monétaire du Mali, est accueillie par la population dans le calme. En revanche, elle inquiète beaucoup les milieux d’affaires. Les entreprises étrangères envisagent d’abandonner le pays. Quant aux commerçants maliens, conscients des dégâts que la réforme monétaire a causés en Guinée, ils protestent et organisent des manifestations contre le gouvernement. Le gouvernement malien reste toutefois inquiet, car la collaboration de Paris lui est nécessaire pour ne pas être obligé d’affronter tout de suite les conséquences économiques de son acte. C’est pourquoi, dès le début, Modibo Keita s’empresse de déclarer que la réforme, entraînant le départ du Mali de l’union monétaire ouest-africaine, a été prise dans le respect des accords franco-maliens du 9 mars 1962. Il tente de rassurer la population et les partenaires que “la réforme monétaire « ne saurait être interprétée comme un geste de défiance, et moins encore d’hostilité à l’égard de quiconque. (…). Mais, tout en reconnaissant la nécessité d’un réaménagement indispensable de nos rapports avec l’ensemble de la zone franc pour les adapter à la situation nouvelle ainsi créée, il reste évident que notre départ de l’union monétaire ne saurait remettre en cause le principe même de notre appartenance à ladite zone franc”. Le Mali a un moyen de pression énorme sur la France et la Bceao. Tout comme les autorités guinéennes, les réserves monétaires gardées à l’agence locale de la BCEAO au Mali, sont beaucoup plus importantes et le pays peut à tout moment, conserver cette réserve.
La fin du franc malien
Mais en fin diplomate, la France finie par renverser le jeu. En effet, Bamako reçoit déjà au titre de l’aide française 4 milliards et demi de francs français. En cas de difficulté, la France annonce une assistance monétaire. Le Mali fini par reverser la réserve qu’elle détenait. Finalement, le franc malien ne résistera pas longtemps. Au début de l’année 1964, Modibo Keita, dans une lettre adressée au Premier ministre français, envisage la possibilité d’une association à la zone monétaire ouest-africaine. Après un premier moment d’euphorie, les contraintes économiques ont repris le dessus au Mali. En effet, à la suite de la réforme monétaire, Bamako se retrouve dans une position très affaiblie. Non seulement la situation économique intérieure ne s’est pas améliorée, l’aide soviétique n’était pas de taille. A partir de la fin de l’année 1962, l’aide communiste révèle un peu partout ses faiblesses. En Guinée, à la même époque, l’ambassadeur soviétique est expulsé. Le Mali considère que l’aide des pays communistes est chère et peu adaptée aux conditions et besoins du pays. Dans sa chute monétaire, Bamako met fin à l’aide tchécoslovaque et bulgare en 1963 et demande à la France d’intervenir à leur place. Félix Houphouët-Boigny, le président de la Côte-d’Ivoire, au nom de son amitié avec le Mali et surtout Fily Dabo Sissoko, s’emploie à rétablir les relations entre l’internationale et le Mali.
Rappelons que le Mali avait dans les premières heures de l’indépendance, battu monnaie avant de se raviser. Un retour dans le temps nous permettra de savoir pourquoi.