Le colonel Stéphan Cognon, chef de corps du premier régiment de chasseurs parachutistes, basé à Pamiers, s’apprête à intégrer le poste de commandement opérationnel de la mission Barkhane pour piloter, notamment, le retrait des troupes au Mali.
D’ici peu, c’est le grand départ pour le colonel Stéphan Cognon. Comme des centaines de parachutistes du quartier Beaumont, le chef de corps du 1er RCP va rejoindre l’Afrique centrale pour plusieurs mois dans le cadre de l’opération Barkhane, vouée à être stoppée au Mali. L’Ariégeois de cœur occupera une fonction centrale dans ces opérations de désengagement et de redéploiement des troupes françaises et de leurs alliés. Une « marque de confiance » dont il nous explique les enjeux.
Quelle va être votre mission au Tchad ?
Je serai affecté au poste de commandement opérationnel dans le cadre de Barkhane. J’aurai un œil global sur toutes les opérations de désengagement puisque comme l’a annoncé le Président, le 17 février, la France va quitter le Mali. Je vais donc contribuer à tout planifier pour qu’on tienne les délais dans le redéploiement des troupes vers des pays limitrophes, comme le Niger ou le Tchad. Il s’agit de trouver des positions intermédiaires pour replier les moyens aéroportés, notamment. Le gouvernement malien ayant décidé que notre présence n’était plus utile.
Est-ce que cela signifie que les parachutistes engagés depuis janvier vont rentrer plus tôt ?
Il y a en effet un certain paradoxe. Une fermeture de théâtre ne signifie pas une baisse des effectifs. C’est même le contraire puisque l’on doit honorer une mission supplémentaire de manœuvres logistiques dans des conditions évidentes de sécurité et de prudence. Il y a beaucoup d’éléments à gérer sur place, comme nos partenaires. Et l’armée malienne est aux ordres donc il faut aussi l’expliquer à la population.
Même si la décision n’est pas de votre fait, n’y a-t-il pas un sentiment d’échec après tant d’années d’engagement là-bas ?
On ne peut pas dire cela. Quand on regarde ce qu’a réalisé le régiment, avec d’importants succès tactiques au Mali, on sait que l’on a contribué à la stabilité du pays. Je pense notamment à l’intervention de 2013. Mais bien sûr, nous sommes déçus que la situation politique au Mali ne parvienne pas à proposer une solution crédible pour la population. Nous avions été mandatés pour apporter de la sécurité et cela a été bien fait. Maintenant, il faut se concentrer sur le gros Sahel et se redéployer dans les pays limitrophes.
N’y a-t-il pas un peu d’appréhension à l’idée d’occuper un tel poste clé ?
Il est vrai que c’est un poste de niveau supérieur qui témoigne d’une marque de confiance. Je n’ai pas d’appréhension car j’ai été entraîné pour cela. J’ai participé à une séance de conseils et de retours d’expérience à Mourmelon avec ceux qui en revenaient. Les procédures, les opérations tactiques : tout a été revu. Je dirais même qu’il y a un peu d’excitation car c’est une opération très importante. Désormais, on va se tourner vers l’est de l’Afrique. Sur le plan tactique, sécuritaire et politique, les enjeux sont énormes et il faut emmener nos partenaires européens. La pression viendra sûrement au fil de l’eau mais sous mes ordres, j’aurai les meilleures unités de l’armée de l’Air, de Terre et du renseignement. Ce réseau met la force de notre côté.
L’annonce du retrait du Mali place-t-elle les soldats français et donc, les paras ariégeois, dans une position de vulnérabilité ?
L’attention est toujours élevée. Mais rares sont les confrontations directes. On est plus sur du harcèlement, des tirs d’obus sur des bases. Comme le soldat décédé à Gao, en début d’année. Il s’agit d’actions fuyantes, ce qui était déjà le cas auparavant. Mais il n’y a pas de regain de violence suite à ces annonces.
En votre absence, comment cela va se passer à Pamiers ?
Le régiment ne va pas tourner à moindre régime, même si ça sera plus calme en termes de progression de missions. Il y a un commandant en second qui connaît très bien toutes mes priorités. Et avec les moyens modernes, je garderai un œil même à distance.
Qu’est-ce qui va vous manquer le plus ?
Le suivi des dossiers et l’environnement de Pamiers. Nos partenaires, les représentants des institutions, des associations, les scolaires. Il est important de valoriser les différentes actions des paras et rien de mieux que le contact physique. Et le chalet d’Ax, notre beau poste de montagne. Là, je pars au Tchad à une période où il va faire 40 degrés. Alors qu’ici, le printemps ariégeois signe le retour de la vie.
Laisser votre famille plusieurs mois, c’est forcément un déchirement.
Évidemment, d’autant que mes enfants sont petits et qu’ils changent très vite. Mettre cette partie de sa vie entre parenthèses, c’est le plus difficile. Mais c’est expliqué et intégré. Mon épouse a d’ailleurs fondé une association, Les Ailes du premier, pour garder ce lien au quotidien avec les familles. On s’aide, on s’épaule : c’est très important de savoir que l’on peut compter les uns sur les autres. Ça change les codes en donnant aux proches de soldats une place au sein du régiment. Chaque dernier dimanche, on propose des activités de cohésion mais aussi des bons plans sur la formation ou l’emploi.
Impossible de ne pas évoquer l’Ukraine ici. On sait désormais qu’il existe un système de veille dans les régiments français. Juste au cas où. Mais si le 1er RCP est déjà engagé sur Barkhane, est-ce que cela signifie que vous ne pouvez pas être sollicités dans le cadre de ce conflit ?
Le régiment comporte des ressources importantes et des compagnies peuvent encore être engagées. C’est le principe même du système d’alerte Guépard : nous sommes capables de réarmer deux compagnies quasi complètes en très peu de temps. La quatrième compagnie sera bientôt de retour de Nouvelle Calédonie et il existe la compagnie d’appui. Sans oublier les réservistes. Donc il reste des ressources même si nous ne faisons pas partie du vivier principal de cette alerte pour l’Ukraine. Nous appartenons à la deuxième phase d’intervention, prêts à renforcer au premier coup de sifflet. Mais l’hypothèse de l’Ukraine n’est pas vraiment réalisable. Nous sommes plutôt susceptibles d’être appelés sur le territoire national dans le cadre de Sentinelle.
Quel est votre ressenti vis-à-vis de la situation en Ukraine ? N’avez-vous pas le sentiment d’un regain d’intérêt pour le monde militaire ?
Ce n’est pas nouveau. En novembre, j’ai rédigé un plan d’actions qui laissait entrevoir une issue très incertaine en raison du regain de l’imposition de sa volonté [celle de Vladimir Poutine] par la force brute. Cela fait presque deux ans que l’on se prépare à un choc rude. Cette crise est l’exemple parfait du retour de la guerre en Europe. Donc bien sûr que cela nous heurte. Avant, c’était conceptuel mais depuis 24 mois, on verse vers quelque chose de plus dur. On ne peut pas être insensible au déplacement de populations, à leur souffrance. On ne peut pas dire que l’on est blindé. J’avais déjà analysé qu’on allait être confronté à des surprises stratégiques. Tout ceci change notre regard sur la conflictualité. Maintenant, il faut réfléchir à comment encaisser ce choc. En tout cas, je perçois tous les jours qu’il y a un regain d’intérêt pour les armées. Le régiment reçoit beaucoup de demandes de stages et le meilleur baromètre, c’est la cellule recrutement qui est régulièrement dévalisée en termes de brochures. Depuis trois semaines, sur les réseaux, il y a beaucoup plus de messages d’encouragements. C’est particulièrement touchant. Nombreux sont ceux à vouloir s’engager pour servir. Le retour de la guerre est bien là mais il est certain que l’on n’a aucun problème de recrutement.