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Alousséni Sanou : «Grâce à l’anticipation et à l’engagement des maliens, les perspectives sont bonnes»
Publié le mardi 29 mars 2022  |  L’Essor
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© aBamako.com par AS
Le nouveau gouvernement tient son premier conseil de cabinet à la primature
Bamako, le 6 Octobre 2020. Le nouveau gouvernement de la transition a tenu son premier conseil de cabinet à la primature
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Dans cette interview exclusive, le ministre de l’Économie et des Finances dresse un tableau édifiant sur la situation économique et financière dans le contexte des sanctions de la Cedeao et de l’Uemao. Certes, les restrictions financières et commerciales affectent l’économie mais le pays dispose de ressorts sur lesquels il peut s’appuyer pour continuer d’avancer



L’Essor : Monsieur le ministre, depuis le 9 janvier 2022, le Mali est placé sous les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa jugées illégales, illégitimes et inhumaines par nos autorités. Au nombre de ces sanctions, l’Uemoa a annoncé le gel des ressources de notre pays au niveau de la BCEAO. Pouvez-vous expliquer ce que signifie ce gel. Financièrement, quels sont les effets induits par cette décision ?



Alousséni Sanou : Avant de répondre à la question liée au gel des ressources de notre pays au niveau de la BCEAO, permettez-moi d’insister sur le caractère illégal et illégitime des sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa. Ces sanctions ne sont prévues par aucun texte communautaire comme le disait, d’ailleurs, le président du Niger lors d’une conférence de presse à Paris. Ces sanctions et leur application par les organes communautaires violent plusieurs textes internationaux et communautaires : les textes de la Cedeao, la Convention sur le commerce mondial, la Convention de Vienne, les Statuts de la BCEAO, le Règlement n°006/2013-CM-Uemoa relatif aux bons et obligations du Trésor émis par voie d’adjudication ou de syndication avec le concours de l’agence UMOA-Titres. 

Pour revenir à votre question, le gel des ressources de notre pays au niveau de la BCEAO signifie que le Trésor public et les autres entités publiques ou parapubliques qui disposent d’avoirs financiers au niveau de la BCEAO ne peuvent plus y accéder jusqu’à la levée des sanctions.

En plus, il faut ajouter comme autres sanctions la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la Cedeao et le Mali et la suspension de toutes assistances et transactions financières en faveur du Mali par les institutions de financement de la Cedeao, particulièrement la BIDC et la BOAD.  

Les effets induits d’une telle décision sont l’indisponibilité des ressources de l’État déposées en compte à la BCEAO. Ainsi, l’État du Mali ne peut pas utiliser ses ressources créditées en compte. Par exemple, l’État du Mali n’a pas pu honorer ses engagements vis-à-vis des bailleurs de fonds et des autres créanciers. À cet égard, le cumul des échéances à payer non honorées avec les différents créanciers extérieurs du Mali atteindront le 31 mars un peu moins de 30 milliards de Fcfa et 175 milliards de Fcfa pour les investisseurs dans les titres publics, soit un total de 205 milliards de Fcfa.

Les opérations d’injection de liquidité de la BCEAO permettent aux banques de financer substantiellement le déficit budgétaire de l’État attendu à hauteur de 1.000 milliards de Fcfa. La limitation du refinancement des banques dans le respect strict de la réglementation bancaire interdit le financement du déficit par ce canal privilégié. Le blocage des transactions financières liées à l’approvisionnement du pays en produits vitaux concernés par les sanctions notamment les matériaux de construction, les engrais, …. fragilise les banques et ralentit la relance économique. L’impact de ces sanctions sur la notation du Mali auprès des agences internationales déteint négativement sur les notes des banques et dérangent leurs activités à l’international. 



L’Essor : Face à cette situation, le Mali a déposé une plainte au niveau de la Cour de justice de l’Uemoa. Parallèlement, on apprend à travers les médias et les réseaux sociaux que la Banque centrale injecte de l’argent dans les banques primaires de notre pays. De quoi s’agit-il ?



Alousséni Sanou : Le Mali a effectivement déposé une plainte et demandé la suspension de l’application des sanctions en attendant la décision sur le fond. La BCEAO poursuit sa politique d’injection de liquidités qui concerne les banques, donc, a priori non concernées par les sanctions financières qui visent l’État et les entreprises publiques et parapubliques. Les banques relèvent du domaine privé.

L’injection de liquidité est un instrument de la politique monétaire des banques centrales appelé « politique d’open-market ». L’opération consiste à injecter de la liquidité dans l’économie pendant les périodes de grandes activités des différents secteurs institutionnels. La monnaie centrale est ainsi mise à disposition des banques pour assurer le financement des activités. Dans la zone Uemoa, traditionnellement, la BCEAO injecte la liquidité dans les économies entre octobre et avril pour assurer le financement des campagnes agricoles coton, riz, café, cacao, hévéa, … et l’approvisionnement en intrants agricoles. Entre mai et octobre, la BCEAO retire la liquidité pour éviter l’inflation. 

Ce mécanisme de refinancement des banques fonctionne encore aujourd’hui, mais reste perturbé par les sanctions actuelles et annihile les effets des efforts de relance de l’économie. En effet, quoique les banques relèvent du secteur privé, la BCEAO a adopté des mesures plus restrictives en la matière, et ce, en dépit des graves risques de déstabilisation de tout le système bancaire. Toute chose qui est contraire à l’une des missions essentielles de la BCEAO à savoir promouvoir et maintenir un système bancaire stable et résilient

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L’Essor : Quelle est la substance de la plainte de nos autorités ? La Cour de justice de l’Uemoa a tranché en faveur du Mali. Quelle conséquence en résultera ?


Alousséni Sanou : La substance de la plainte du Mali repose essentiellement sur le caractère illégal et illégitime des sanctions en ce sens qu’elles ne sont pas conformes aux textes propres de la Cedeao, de l’Uemoa, de l’Umoa et ceux d’autres organisations internationales. En plus, le Mali a réclamé la suspension de l’application des sanctions en vertu des termes du paragraphe 3 de l’article 72 du Règlement n°01/96/CM/UEMOA portant règlement des procédures de la Cour de justice de l’Uemoa. La Cour a réservé une suite favorable à cette dernière requête et ordonné la suspension des sanctions le 24 mars 2022. Les conséquences de la mise en œuvre de cette décision seraient un retour du Mali dans les activités normales avec la BCEAO. Les autres conséquences seront tirées au moment opportun. 



L’Essor : Quels sont les effets des sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa sur le Mali et sur les pays voisins ?


Alousséni Sanou : Les effets des sanctions sur le Mali sont multiples. Ils sont d’ordre économique, financier, humanitaire et de réputation. En matière économique, les sanctions impactent négativement les activités et la relance à travers le ralentissement des activités commerciale, industrielle et les services connexes comme le transport, le transit, … etc. En matière financière et au niveau de l’État, les manques à gagner et les pertes sont énormes. La mobilisation des recettes fiscales et douanières enregistre des manques à gagner de quelques centaines de milliards de Fcfa au 1er trimestre 2022. 


La mobilisation au titre de la dette intérieure devrait atteindre 300 milliards de Fcfa au cours du 1er trimestre. En plus, les bailleurs de fonds ont suspendu les décaissements et la signature de nouvelles conventions. Les échéances des dettes non honorées atteignent 200 milliards de Fcfa.  Au niveau du secteur privé (banques, commerce, transport et transit, …), les pertes et les manques à gagner sont en cours d’évaluation et se chiffrent en centaines de milliards de Fcfa. Les impayés sur les remboursements des titres publics des autres pays de l’Uemoa pour le compte des banques maliennes frôlent la dizaine de milliards de Fcfa et les intérêts de retard sont dus. 

En matière humanitaire, les difficultés liées à l’approvisionnement des marchés quoique maîtrisées, peuvent entraîner des conséquences néfastes sur la sécurité alimentaire et l’inflation au regard surtout de la situation de crise multidimensionnelle qui sévit. 

En termes de réputation, la dégradation de la notation financière du Mali par l’agence de notation Moody’s passant de Caa1 à Caa2 influence négativement les perspectives d’investissement, surtout étranger, au Mali. Cette dégradation de la notation détériore les relations d’affaires des banques maliennes auprès de leurs correspondants de même que les courants d’affaires du secteur privé avec l’extérieur. Rappelons qu’en règle générale, la note maximale d’une entreprise est celle de son pays. Le risque d’investissement au Mali auprès des investisseurs régionaux et internationaux entraîne des préjudices importants.

En outre, les retards de paiement bien qu’indépendants de la capacité financière du Mali altèrent la qualité de la signature du pays auprès de ses partenaires financiers qui ont d’ailleurs suspendu tout décaissement sur les projets en cours d’exécution. La signature de nouvelles conventions reste suspendue.


En dépit de tout ce qui précède, ces sanctions illégales et illégitimes ont renforcé le sentiment de patriotisme et d’unité nationale et ont ouvert ou réveillé de nouvelles opportunités pour le pays.  


L’Essor : L’embargo se traduit par la fermeture des frontières avec certains pays voisins. Mais notre pays n’est pas seul. De manière générale, comment se porte l’économie malienne ? Quelles sont les ressources qui font tourner notre économie ?



Alousséni Sanou : Evidemment, le Mali est sous embargo, mais poursuit ses efforts sur le chemin de la croissance et du développement en interaction avec beaucoup de partenaires bilatéraux et multilatéraux et sous diverses formes. On peut dire, sans se tromper, que l’économe malienne est demeurée résiliente au regard des résultats et des conséquences néfastes des crises multidimensionnelles que le pays traverse. L’anticipation par le gouvernement et l’engagement des Maliens permettent d’envisager de bonnes perspectives.



En effet, la crise institutionnelle a amené les bailleurs de fonds à réduire fortement leur intervention au Mali notamment en matière d’appui budgétaire. L’embargo de la Cedeao et de l’Uemoa les a amenés récemment à suspendre les décaissements sur les projets à cause des impayés injustement créés par la BCEAO en dépit de la disponibilité des fonds au niveau des comptes du Trésor.



La crise sécuritaire à quatre dimensions (terrorisme, grand banditisme et narcotrafic, rébellion armée et conflit intercommunautaire) pèse sur les dépenses et les recettes budgétaires : accroissement des dépenses militaires au détriment des autres secteurs et perte de recettes fiscales à hauteur de plus de 3% de PIB à cause de l’absence des services fiscaux sur certaines frontières et certaines parties du pays. 

La crise sanitaire, au-delà des aspects de pure santé, pèse sur les dépenses publiques parce qu’elle rend nécessaire un soutien de l’État aux ménages pour amortir les impacts du renchérissement des opérations du commerce mondial (prix du transport, des containers et de toute la logistique) et du prix de certaines denrées alimentaires (chute de production de sucre et d’huile au Brésil, en Inde et en Malaisie). 


La crise sociale, gérée de façon concertée avec les syndicats dont il faut saluer, ici, l’esprit de dialogue et de patriotisme, a nécessité des dépenses budgétaires importantes. À ces crises viennent s’ajouter en 2022, l’embargo et la crise ukrainienne dont les conséquences peuvent être négatives sur l’élan de croissance amorcée (plus de 3,5 %) en 2021 contre -1,2% en 2020.

Malgré tous ces défis, l’économie malienne est ressortie en 2021 avec une croissance à plus de 3,5 % et un déficit budgétaire maîtrisé à 4,7% pour une prévision de 5,5%.  C’est vous dire que des ressorts existent et sur lesquels le Mali pourra s’appuyer pour continuer d’avancer même si le rythme peut être ça et là affecté. Il est prévu un taux de croissance moyen corrigé d’environ 4% en 2022 contre 5 initialement prévu. Les premières ressources sont les forces vives qui restent engagées, mobilisées et conscientes de l’ampleur des défis à relever.

Qu’elles en soient remerciées.

En matière budgétaire, l’État continue ses efforts dans l’amélioration de l’efficacité des dépenses et des recettes publiques et la recherche de nouvelles niches. La relance par les investissements en capital et des investissements dans la demande des agents économiques sera maintenue.

Dans le cadre de l’action publique, l’amélioration du climat des affaires « doing-business » à travers les réformes engagées et la mise en confiance du secteur privé, les efforts de maîtrise des prix par des subventions ciblées, les effets positifs des efforts d’augmentation des salaires et de paiement des arriérés de la dette intérieure et le maintien du dialogue social augurent de bonnes perspectives de relance dans un climat social apaisé.
La recherche et l’ouverture de nouveaux débouchés maritimes comme les ports de Guinée, de Mauritanie et plus tard de l’Algérie relanceront les activités commerciales et les services qui représentent un bon tiers du PIB.

L’Essor : Concrètement, aujourd’hui, quels sont les pays partenaires qui nous   accompagnent ?



Alousséni Sanou : Ils sont nombreux et les domaines de partenariat sont divers et variés. Nous avons tous les partenaires traditionnels du Mali qui nous accompagnent dans le domaine militaire, socio-économique et humanitaire. Avec l’embargo, certains pays voisins ont soutenu le Mali afin de lui éviter une crise socio-économique et humanitaire. Il s’agit particulièrement dans la sous-région de la Guinée et de la Mauritanie dont nous remercions les Autorités et les populations pour leur esprit panafricaniste et d’entraide.



L’Essor : Quelles sont les perspectives de croissance de notre économie ?



Alousséni Sanou : À la suite de la reprise en 2021, les perspectives de croissance de l’économie malienne, quoique affectées par les séries de crises (institutionnelle, sécuritaire, sanitaire et mondiale) et l’embargo, restent bonnes. En effet, il est prévu un taux de croissance moyen d’environ 4% contre 5% initialement prévu. Cette estimation de l’évolution de l’activité économique est bâtie sur des hypothèses suivantes :

l’application prolongée des sanctions de la Cedeao (fermeture des frontières avec les pays de la Cedeao et suspension des transactions financières internationales) ;

un apaisement du climat sociopolitique (intérieur) ;

le renforcement de la sécurisation des personnes et de leurs biens et le retour de l’État (services sociaux de base) sur toute l’étendue du territoire ;

les fluctuations des cours mondiaux des principales matières premières, en particulier le pétrole, le blé, l’or et le coton et le renchérissement du coût du commerce mondial ;

une bonne et une meilleure répartition de la pluviométrie sur le territoire national ;

la poursuite de la politique de soutien au secteur rural notamment à travers la subvention des intrants et la mécanisation de l’agriculture ;
la poursuite des réformes du secteur de l’énergie afin d’améliorer l’offre d’énergie ; 

la valorisation des principales productions brutes de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche à travers la relance et l’appui aux industries de transformation, la mise en œuvre de la politique d’industrialisation ;

la poursuite des réformes dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires (code des douanes, des impôts, des investissements, relecture des textes liés au foncier, l’adoption de textes visant l’amélioration de la distribution des services de la justice) ;

le renforcement de la lutte contre la corruption (relecture et renforcement des textes organisant la justice, de la CENTIF, ….) ;

la poursuite de réalisation des grands chantiers d’infrastructures routières, de transport, de télécommunication, d’aménagements hydro-agricoles, de construction de ponts et d’infrastructures socio-sanitaires relançant l’activité économique et créant un cadre de promotion des investissements privés ;

la reconstruction des régions du nord et du centre et le retour progressif de l’administration ;

la poursuite des réformes des finances publiques notamment celles visant l’élargissement de l’assiette fiscale et la rationalisation des exonérations et des dettes fiscales ;

L’Essor : Nous sommes à la veille du mois de Ramadan. Les dispositions sont-elles prises en vue d’un approvisionnement correct de la population en denrées de première nécessité ?



Alousséni Sanou : Le gouvernement de Transition, sur instruction du président de la Transition, ne ménage aucun effort pour soulager la population à travers, entre autres, la stabilité des marchés. À cet égard, toutes les dispositions sont prises en rapport avec les opérateurs économiques pour assurer l’approvisionnement normal des marchés à un prix correct : riz, sucre, huile alimentaire, viande et gaz. 

Pour terminer, je voudrais dire que nous devons travailler à mettre en œuvre les réformes structurantes afin de permettre d’assurer l’indépendance économique du Mali pour le bonheur de toutes et de tous.

La solidarité et l’union sacrée des Maliennes et des Maliens autour des questions essentielles de sécurité, de production et de répartition des richesses créées, de développement durable renforceront notre résilience et notre bien-être.

Je remercie toute la population pour son appui et son soutien constants qui ont permis d’atteindre les résultats positifs actuels. Je remercie également tous les partenaires bilatéraux et multilatéraux pour leur accompagnement. Je voudrais, enfin, remercier la rédaction de L’Essor de m’avoir donné l’opportunité d’édifier nos compatriotes sur la situation qui prévaut, et les appeler à rester confiants et sereins. Le Mali a les ressources pour surmonter les difficultés actuelles.

Propos recueillis par 
Fatoumata MAïGA

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