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26 Mars : À la mémoire des héros de la démocratie, au nom de la liberté d’expression
Publié le mercredi 30 mars 2022  |  Mali Tribune
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Le 26 mars est consacré à la célébration des martyrs de la démocratie. Cette date mémorielle est consacrée aux Maliennes et Maliens tombés sous les coups d’un régime autoritaire qui a voulu se maintenir au prix du sang de son propre peuple, mais qui a fini par s’effondrer sous le poids d’une volonté inébranlable pour la conquête de la Liberté et de la Démocratie.

Trois décennies après leur sacrifice ultime, nous devons nous interroger sur ce que nous avons fait de leur legs de valeurs de liberté et de démocratie.

Tentons d’analyser cette question sous le prisme de la liberté d’expression.

Ils se sont sacrifiés pour la liberté d’expression, la gestion transparente des affaires publiques par la voix du peuple et à son profit, l’égalité et l’équipe dans l’accès aux services publics, une justice indépendante, une armée au service du peuple et dont le chef suprême serait un civil, une économie vertueuse lavée des aspérités de la corruption, bref pour la démocratie et l’état de droit.

La liberté d’expression est un droit fondamental pour toute société démocratique constituée et reconnue comme telle. L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à laquelle le Mali a adhéré, stipule que “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.”

Force est de constater un recul général dans le monde du respect de ce droit élémentaire. Le vote des lois menaçant les journalistes en Russie et la suspension de la diffusion de chaînes russes dans des pays occidentaux sur fond de guerre en Ukraine. La prise en otage, voire l’assassinat des journalistes par des groupes considérés comme terroristes.

Dans le contexte spécifique du Mali, nous sommes préoccupés par la restriction des espaces de liberté. Ces espaces qui permettent la co-construction et qui permettent d’avancer dans la réalisation de l’idéal démocratique et de l’idéal du développement du pays, se trouvent restreint.

Le 29 janvier 2016, Birama Touré, journaliste disparaissait dans des circonstances à ce jour non élucidées. Hamadoun Nialibouly, journaliste à la radio Dande Douentza, a été enlevé le 27 septembre 2020 à Mandjo, dans la région de Mopti par de présumés chasseurs traditionnels.

Le journaliste français Olivier Dubois a été enlevé à Gao le 8 avril 2021 puis retenu en otage par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM), la principale coalition de groupes armés affiliée à Al Qaïda dans la région.

Moussa M’Bana Dicko, journaliste malien à la radio Dande Haire, a été enlevé chez lui à Boni le 18 avril 2021 par des présumés djihadistes qui estiment qu’il a été critique envers eux.

Depuis le début de l’année 2022, la liberté de la presse et plus généralement la liberté d’expression se détériore de manière inquiétante. Le 7 février 2022, le journaliste de Jeune Afrique Benjamin Roger a été expulsé du Mali au motif qu’il ne détenait pas une accréditation quand bien même qu’il avait un visa valide. Le nouveau processus pour obtenir une accréditation n’a été mis en place qu’après son expulsion. Ces nouvelles méthodes sont aussi particulièrement intrusives et ne sont pas propices au secret des sources. Pour être certifiés, les journalistes doivent détailler les sujets qu’ils couvrent et les personnes qu’ils rencontreront.

Les correspondants des médias internationaux ont été interpellés et rappelés à l’ordre. La presse nationale s’autocensure et ne traite pas suffisamment les sujets sensibles d’intérêt public.

Un communiqué d’un groupe qui se nomme “Collectif pour la défense des militaires” (CDM), a accusé les correspondants de RFI et de France 24 d’intoxication et de désinformation et demandé le retrait de leur accréditation sur un ton assimilable à une mise en demeure de l’Etat à travers deux communiqués publiés en janvier.

RFI et France24 ont été suspendues au Mali et la presse nationale interdite de relayer leur contenu suite à la diffusion d’une enquête d’investigation publiée les 14 et 15 mars sur des exécutions sommaires et pillages présumés commis par les Forces armées maliennes et les forces paramilitaires russes qui les accompagnent dans leurs efforts de lutte contre les groupes terroristes. Cette enquête journalistique rejoint les conclusions du rapport de l’ONG Human Rights Watch publié dans la même période et faisant lui aussi état d’exécutions de civils par l’Armée malienne. Ces deux médias ont été assimilés, dans le communiqué qui annonce l’engagement de leur procédure de suspension, à la radio Mille collines qui diffusait des messages incitant à la haine et au génocidaire au Rwanda en 1994.

RFI est de loin le média le plus écouté au Mali dans le domaine de l’accès à l’information nationale et internationale, mais aussi en termes de prise de parole par la population. Sans démagogie, les démarches de RFI dans cette pratique répondent à des standards qui n’ont rien avoir avec cette radio génocidaire.

Le gouvernement a choisi de les suspendre alors qu’il avait l’opportunité à la suite de ces accusations, que nous estimons suffisamment graves, de démontrer l’innocence ou la culpabilité de notre Armée. Nous avons une grande armée. Quelques médias ne seraient pas en mesure de saper le moral de nos vaillants soldats. Notre armée défend la sécurité, la liberté, la démocratie et la république.

Quand de telles exactions présumées sont mises en avant par les médias ou par des organismes de défense des droits humains, il est de la responsabilité de l’Etat de faire la lumière, d’engager les actions passionnées et d’exiger une réponse.



Réaction décevante des faîtières

La réaction des faîtières des médias, y compris le syndicat des journalistes, a été pour le moins décevante pour les défenseurs de la liberté de la presse. Elle questionne leur volonté de soutenir la liberté d’expression. La Maison de la Presse a, dans un communiqué, dit ‘’prendre acte de la décision de suspension de la diffusion de RFI et de France 24 par le gouvernement de transition’’. Aucune protestation, même principe.

Les organisations de la société civile ont aussi du mal à s’exprimer. Pendant ce temps, plusieurs acteurs bien connus attisent la haine et la violence au sein de la population. Des leaders d’opinion dans un langage quasiment haineux et diffamatoire appellent par exemple à la suspension de Mikado FM, mise en place par la Minusma dans le but d’informer, sensibiliser et renforcer la cohésion et l’entente entre les communautés maliennes. Mikado FM répond au standard de qualité professionnelle d’un média et donne la parole à des Maliennes et Maliennes dans 6 langues nationales. Malheureusement, ces acteurs ne sont jamais interpellés ni inquiétés, bien au contraire ce sont eux qui sont qualifiés de patriotes sans aucune considération sur leur caractère de pyromane. Pendant ce temps, des organes médiatiques professionnels sont interpellés et parfois censurés parce qu’ils font leur travail.

La liberté d’expression ne doit en aucun cas être à géométrie variable. On a une liberté d’expression et la liberté tout court. Cela doit se faire de manière légale et républicaine. Nous devons être en phase avec nous-mêmes et avec les autres.

Censurer des médias de qualité crée plus de suspicions qu’ils ne construisent. Bien évidemment, nombreux sont ceux qui disent que la suspension de RFI et de France 24 au Mali est similaire à celle de Russia Today et Sputnik par l’Union européenne et des pays occidentaux. Encore faut-il comparer de manière objective le contexte qui prévaut.

La suspension de ces deux médias en Europe est bien un signe de cette restriction effroyable de la liberté de la presse générale dans le monde.

Nous ne devons en aucun cas justifier nos mauvaises actions par celles des autres. Bien au contraire, nous devons montrer le bon exemple et le clamer haut et fort.

Rares sont les Maliens qui connaissent, les programmes de nos médias d’Etat incapables de faire une offre de qualité, pendant qu’ils sont des centaines de milliers à connaître le contenu de RFI. Cela ne signifie point que ces radios sont propagandistes, mais plus tôt par le fait qu’elles ont conquis la confiance de la population en leur donnant la parole et en partageant avec elle les informations nationales et internationales souvent tenues sous silence par la chaîne nationale qui donne le sentiment d’être ou service de l’Etat et non de l’Intérêt publique.

Le silence assourdissant des acteurs politiques, de la société civile et même des leaders religieux et coutumiers en dit long sur le climat sulfureux pour la liberté d’expression qui n’honore pas les autorités de la transition.

Il est urgent d’agir en toute responsabilité et de sortir des logiques d’exception pour s’arroger des droits. L’État de droit ne devrait en aucun cas être obstrué par l’État d’exception.

Le non-respect des principes et l’interprétation opportuniste des textes laissent libre court à certaines personnes d’agir à la limite de l’acceptable légal.

Il est fondamental que notre pays aille de l’avant. L’argument de saper le moral de l’armée peut tout à fait se comprendre, mais il ne doit pas être instrumentalisé. La présence de ces hommes et femmes qui sont au front et qui défendent le pays au prix de leur vie ne doit en aucun cas et d’aucune façon faire l’objet de manipulation politique. Tout sujet qui se rapporte à l’armée et aux institutions étatiques doit être traité de manière hautement professionnelle et rigoureuse dans le strict respect de la loi en vigueur. Aucun préjugé, aucune analyse arbitraire ne devrait être fait.

L’Etat ne devrait pas être dans la mêlée, particulièrement pendant ces périodes de transition. Voilà pourquoi, il devrait tirer profit de chaque critique, de chaque opinion pour l’essor du Mali au lieu de qualifier toute idée contraire de déstabilisatrice de la transition.



Sortir des schémas manichéens

Le climat délétère et manichéen qui s’installe progressivement n’augure pas de belles perspectives pour notre pays. C’est pourquoi, les autorités doivent s’investir à rassembler les Maliens, condition sine qua non pour sortir de manière durable de la crise.

Rassembler suppose la liberté de se parler sans filtre dans le respect; de s’entendre, de se comprendre et de s’accepter malgré nos différences. Nos différences doivent nous rendre plus forts, ne pas nous diviser. On ne peut entendre la raison de celui qui nous sauve quand on l’a réduit au silence.

Aujourd’hui il y a des urgences, celles de sauver la liberté, de préserver les acquis, de laisser les acteurs de médias informer librement. C’est ce qui va permettre à long terme de sortir de ce gouffre dans lequel nous sommes enfoncés. Plus que jamais les autorités maliennes doivent tout mettre en œuvre pour préserver la liberté d’expression, la liberté de presse. Le Mali doit consacrer son énergie à son développement et non la dilapider dans des querelles dont elle peut se passer.

Chacun doit s’investir à préserver les acquis démocratiques, républicains et surtout à préserver la liberté. Nous ne sommes pas au temps de la colonisation, nous n’avons pas une guerre de libération coloniale à mener. Nous devons accepter que les pères de l’indépendance ont mis fin à la colonisation. Nous ne devons plus perdre de temps avec des narratifs soutenant toute perspective différente comme celle d’une aliénation. Nous ne devons plus vivre dans le passé. Le combat de notre génération est celle du développement durable, du changement climatique, de la compétitivité, de la lutte contre le terrorisme et la maitrise de l’information au profit de notre peuple interconnecté.

Le Mali constitue un grand État, héritier de grands empires et doit être dirigé et fonctionner comme tel ! Cette grandeur n’est possible que dans le respect de la liberté d’expression, que dans l’acceptation de nos différences, la capacité de se mettre en symphonie avec les autres pays du monde tout en faisant évoluer notre identité sans la sacrifier ou la détériorer.

Nous ne saurons réfléchir à la place des héros du 26 mars 1991, nous leur devons de sauvegarder les acquis issus de leur combat pour être digne d’eux et célébrer leur mémoire avec fierté la tête haute.

Hier nous étions un grand empire, aujourd’hui nous devons être une grande démocratie, un État de droit de référence et une économie flamboyante. Mais pour cela, il faut une vision plus large et de l’audace pour s’ouvrir et faire valoir les droits humains simplement.



Tidiani Togola

CEO Tuwindi

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