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Hommage au martyr Soumeylou Boubeye Maiga : Un grand combattant pour la démocratie, figure marquante de la vie politique…
Publié le jeudi 31 mars 2022  |  Le DEMOCRATE
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« Nul ne sait où il va, s’il ne sait d’où il vient ». Tel est l’enjeu de l’histoire : apprendre à observer le passé pour mieux comprendre le présent et tenter d’anticiper l’avenir. Une tâche rendue possible parce que l’histoire se répète – au moins deux fois, sinon plus. « La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce », précisait Karl Marx.
Vous pouvez en rire, mais la farce perd de son mordant s’il s’agit de vivre à nouveau les moments les plus sombres de notre histoire. Qui aurait pu imaginer que la mort de Soumeylou Boubèye Maïga, un acteur majeur de la chute du régime autocratique du général Moussa Traoré, allait coïncider avec la célébration du 31ème anniversaire de la journée des Martyrs dénommée »Vendredi Noir »? Les héritiers du général Moussa Traoré qui sont à la commande du pouvoir aujourd’hui veulent-ils restaurer les pratiques d’une autre époque que l’on croyait à jamais révolues au bord du fleuve Djoliba après les évènements sanglants de mars 91 ? Les acteurs majeurs du mouvement démocratique de mars 91 vont-ils être complices d’un pouvoir militaire qui n’a d’autre ambition que d’enterrer la démocratie en nous imposant à nouveau un régime autocratique sanguinaire ?

Au fait, que s’est-il passé au Mali le vendredi 22 mars 1991 et les jours suivants ?

Le 19 mars 1991, lors d’une réunion tenue à l’ENA de 17h à minuit et regroupant plus de 400 délégués des établissements de Bamako et de l’intérieur, 81 comités scolaires sur 83 se prononcent pour une marche violente avec « casses techniques », la prise en otages des enfants de dignitaires du régime et le boycott du congrès de l’Udpm, prévu pour les 28-29-30 et 31 mars 1991. Mais en comité restreint, le Bureau de coordination de l’Aeem décide plutôt une grève de 72 heures pour mieux informer la base et une marche avec barricades. La méthode consistait à ériger des barricades, à se replier dès l’apparition des forces de répression et une fois que celles-ci s’éloignaient, à reconstituer les barricades.

Le 20 mars, les forces de l’ordre répriment durement une manifestation d’élèves à Dioïla, bilan : 4 blessés graves transportés à Bamako à l’hôpital Gabriel Touré. Le 21 mars, lors d’un meeting organisé par le Club Nelson Mandela à l’Institut islamique d’Hamdallaye pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance namibienne, le mouvement démocratique en appelle à l’unité d’action dans la lutte contre le régime et pour la tenue d’une conférence nationale. Lors d’une rencontre intervenue le soir, l’Aeem informe les autres composantes du mouvement démocratique qu’elle entend organiser une marche le lendemain, vendredi 22 mars 1991. Il s’agit pour elle de dénoncer la duplicité du ministre de l’Education nationale dans les négociations et de réussir une marche pacifique unitaire, c’est-à-dire sans l’appui d’autres associations, ceci pour ne pas paraître manipulée. Mais elle promet de rencontrer le reste du mouvement démocratique le Samedi 23 mars pour lui faire le point de ces revendications après la marche. C’est au cours de cette marche pacifique de l’Aeem, dans la matinée du vendredi 22 mars 1991 baptisée depuis vendredi noir que tout bascule dans l’horreur, dans un vacarme ponctué d’explosions de grenades (lacrymogènes, défensives et offensives) et de crépitements d’armes automatiques.

La soldatesque du général dictateur tire à l’aveuglette sur des manifestants désarmés, particulièrement sur les groupes d’élèves et sur les femmes mobilisées, sorties en masse pour protéger leur progéniture contre un pouvoir sanguinaire. Les femmes de la Sema I, décidées à marcher sur la ville pour en découdre avec un pouvoir qui abat sans pitié leurs enfants, vont payer un lourd tribut à cette répression sauvage tant au niveau de leur quartier que sur l’ancien pont de Bamako qui sera baptisé sous la Transition, Pont des martyrs. Le soir du 22 mars, au seul hôpital Gabriel Touré on enregistrait 27 morts. Mais personne ne connaîtra le nombre exact de cadavres disparus dans le fleuve et les incendies, ensevelis à la sauvette par les militaires dans des fosses communes ou récupérés dans l’anonymat pour être enterrés par des proches.

En réponse à ce carnage, la violence populaire s’abat sur des dignitaires du régime et leurs biens. Pour l’Aeem, dont les actions auront servi de détonateur à l’explosion populaire, c’est une situation révolutionnaire où la violence du Peuple est la réponse légitime à la violence d’Etat. Face à cette escalade, Cheick Oumar Sissoko, cinéaste célèbre et vice-président du Cnid, décide, à 11h 30, de convoquer à la Bourse du Travail les associations démocratiques, pour mieux diriger la lutte. Il reçoit l’accord du bâtonnier Drissa Traoré et de Me Mamadou Danté de l’Amdh venus à l’hôpital pour les recours et constats. Ensuite sont jointes les associations de jeunes (Ajdp et JLD), l’Adema et l’Untm. Rendez-vous est pris à la Bourse du travail pour 12h 30. Il faut faire vite car les femmes ont décidé de marcher sur le palais présidentiel de Koulouba à 16h. Ainsi, les représentants des Bureaux, de l’Amdh, de l’Adide, de l’Untm, de la JLD, de l’Ajdp, de l’Adéma, du Cnid et de l’Aeem retranchés à la Bourse du travail, transformée depuis janvier 1991 en quartier général du mouvement démocratique, fondent à travers une déclaration commune, une Coordination « pour renforcer leur unité d’action en vue de l’avènement d’une société démocratique et pluraliste dans notre pays ». Durant les journées d’émeute des 22, 23, 24 et 25 mars 1991, la Bourse du Travail est le théâtre d’intenses activités. C’est le lieu de convergence des curieux, des journalistes et des militants qui viennent s’informer de l’évolution de la situation et prendre les derniers mots d’ordre. La Coordination continue à alerter l’opinion nationale et internationale sur le drame que vit notre peuple. Elle présente ses condoléances aux familles des victimes et organise l’aide aux blessés. Les images qu’elle envoie aux grands groupes audiovisuels émeuvent le monde entier. La crédibilité extérieure du régime est entamée. Des secours s’organisent.

À Bamako, l’ampleur des tueries du 22 mars ne laisse personne indifférent. Dans la matinée du samedi 23, un chef religieux monte au palais présidentiel de Koulouba pour supplier le chef de l’Etat d’accepter l’ouverture politique. Il se heurte à un refus catégorique. Le Secrétaire général de l’Udpm se dit légaliste et attend que le Congrès de son parti, prévu pour fin mars, se prononce sur la question. Au même moment, à la Bourse du travail Cheick Oumar Sissoko propose une grève illimitée qu’il faut transformer en grève politique. Le Professeur Ali Nouhoun Diallo de l’Adema l’appuie en ajoutant « grève illimitée jusqu’à la chute de Moussa Traoré ».

Dehors, la foule s’impatiente et Abdrahmane Baba Touré le Président de l’Adema propose que la marche de la coordination démarre. Le dimanche 24 mars, à la demande de la Coordination, l’Untm accepte de transformer sa grève prévue pour les 25 et 26 mars en une grève illimitée jusqu’à la démission de Moussa Traoré et de son gouvernement, la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place d’un Comité de salut du peuple, chargé d’organiser des élections démocratiques.

Une délégation, comprenant BakariKarambé (Untm), Amidou Diabaté (Cnid), Me Demba Diallo (Amdh), Me Drissa Traoré (Barreau) et Abdrahmane Baba Touré (Adema), est constituée pour porter l’ultimatum de la Coordination à la connaissance du dictateur. Dans l’après-midi, des obsèques populaires sont organisées par la Coordination aux victimes déposées à la morgue de l’hôpital Gabriel Touré. Elles reposeront ensemble dans un endroit réserve au nord-ouest du cimetière de Niaréla, endroit désormais baptisé ‘’Carré des Martyrs’’.

À 18 heures, le Général-Président parle à la télévision nationale. Il écarte sa propre démission et celle de son gouvernement. Il donne l’image d’un homme qui n’a plus de prise sur les événements, celle d’un homme qui a cessé d’être un chef, celle d’un homme désormais seul. L’ultimatum du 24 mars 1991 achève politiquement le personnage orgueilleux qui ne s’est jamais remis de l’échec de son test de popularité, la contremarche du 6 janvier 1991. Pendant ce temps, ces émissaires continuent à négocier avec la Coordination. Ils pensent pouvoir apaiser la situation par une levée du couvre-feu.

Le 25 mars 1991 trois meetings successifs se tiennent à la Bourse du travail. L’affluence est extraordinaire. Les militants, survoltés par la poursuite de répression mais surtout indignés par les assassinats perpétrés le 24 mars contre des fossoyeurs au « Carrédes Martyrs », rejettent tout compromis avec le pouvoir. Ils exigent le départ de toute l’équipe de Moussa Traoré.

La tension qui règne dans le pays est devenue très forte depuis les tueries du 22 mars 1991 et le déclenchement d’une grève illimitée par l’Untm. L’armée ne peut plus tergiverser, elle se doit désormais de choisir entre le général Moussa Traoré et le peuple malien. Il y va de son honneur. Sa raison d’être et sa survie, en tant qu’institution, le commandent.

Dans la nuit du 25 au 26 mars 1991, un lieutenant-colonel des parachutistes, âgé de 42 ans, à la tête d’un Comité de réconciliation nationale (CRN), prend la décision historique d’arrêter en son palais le général Moussa Traoré.

Sambou Sissoko

Source: Le Démocrate
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