Ce matériau intervient pour une grande part dans la stabilité des bâtiments. Mais, la qualité est mise en cause
Chaque hivernage, la ville de Bamako enregistre des cas d’effondrement de bâtiments causant souvent des morts d’hommes et des pertes matérielles énormes. En 2021, près de quatre cas d’effondrement de maisons ont été enregistrés dans le District de Bamako qui ont coûté des pertes en vies humaines. Les constats des experts ont révélé que ces accidents sont dus en grande partie à la mauvaise qualité des fers à béton utilisés et dans une moindre mesure au non respect des dosages notamment la teneur en ciment, du gravier et de sa qualité.
En effet, le fer à béton est l’un des matériaux essentiels pour renforcer la résistance d’un logement. De la qualité du fer à béton utilisé dépend en partie donc la capacité d’un édifice à supporter le poids du bâtiment. De même le non respect des mesures édictées en la matière peut avoir des conséquences non négligeables. En témoigne cet imposant bâtiment appartenant à un grand opérateur économique de la place. Implanté au quartier Hippodrome, cet immeuble qui a coûté certainement des dizaines de millions de Fcfa à son propriétaire est exécuté à hauteur de 60%. Les ouvriers ont été obligés d’abandonner les travaux parce qu’il commençait à s’effondrer à cause de la mauvaise qualité des matériaux utilisés. Il faut préciser que les fers à béton sont dimensionnés de 6 à 50 mm de diamètre par exemple des fers n° 6, 8, 10, 12, 14, 16...
Le ferrailleur Abdoulaye Dara habite à Kalaban-coura, en Commune V. Il a appris ce métier aux côtés de son défunt père. Ce trentenaire à la corpulence imposante qui traîne près de 20 années d’expérience confirme une dégradation progressive et inquiétante de la qualité et des dimensions des fers à béton. «Avant, les fers étaient plus résistants et les dimensions étaient correctes. De nos jours, le volume des fers a considérablement diminué. Les normes ne sont plus respectées», déplore le ferrailleur. La longueur normale du fer à béton était par exemple de 12 mètres, se rappelle-t-il. Elle ne dépasse plus 10 à 11,80 mètres au maximum. Mais les commerçants continuent de les vendre au prix de 12 mètres de longueur, déplore le ferrailleur, précisant que le fer n°12 vendu actuellement sur le marché dans les quincailleries correspondent en réalité au fer n°10 et ainsi de suite. Il ajoute que cette pratique a commencé en 2011.
Les quincaillers sont conscients de la situation. Aux abords de la route menant à l’Aéroport international Président Modibo Keïta-Sénou, Alassane Cissé est propriétaire d’un magasin de vente de matériels de construction. Il explique : «En réalité, le fer s’affaiblit de jour en jour.
Je pense que ce problème relève des unités de fabrique de fer qui doivent faire des efforts pour améliorer la qualité de ces matériaux. Nous, à notre niveau, nous nous contentons de revendre le fer tel que nous l’achetons. Nous n’avons aucune connaissance des conditions de fabrication au niveau des usines».
En la matière, l’Industrie malienne du fer (Imafer S.A) est une fonderie spécialisée dans la fabrication locale du fer à béton. «Ici, nous fabriquons la qualité FE 500 de fer noir. Nous sommes certifiés par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) par rapport à la norme et quasiment certifiés par l’École nationale d’ingénieurs (ENI) Abderhamane Baba Touré», explique son directeur commercial. Rencontré à son bureau, Mohamed Hachim trouve que le respect des normes de fabrication du fer à béton est un véritable problème au Mali.
Fléau contre lequel son entreprise se battrait depuis 2013. «Nous, producteurs locaux de fer, faisons face à une concurrence déloyale liée à l’importation. Près de 50 à 60% du fer sur le marché est importé de Chine et de l’Ukraine à bon prix. Personne ne sait exactement la provenance des aciers qui entrent dans la fabrication de ces fers, même les importateurs ne disposent d’aucun certificat d’origine», croit savoir Mohamed Hachim.
Imafer, selon son directeur commercial, produit deux types de fer à béton : le fer normalisé qui respecte les normes internationales et le fer commercial généralement fourni aux quincailleries. «Le fer normalisé mesure 12 mètres de longueur. Le poids des barres est normal», insiste le commercial. La production du fer commercial a commencé à la demande des commerçants qui jugeaient nos tarifs trop chers pour les Maliens. «Nous avons suivi leurs consignes en produisant des fers adaptés à leurs exigences, c’est-à-dire bon marché», ajoute-t-il. Par contre, souligne-t-il, la plupart des grandes entreprises de construction au Mali achètent le fer normalisé.
70 À 80% DES MAISONS EFFONDRÉES- Le non respect des normes favorise la flexion des poutres, les flambements des poteaux et l’effondrement total de l’ouvrage, explique Mahamadou Doumbia, entrepreneur en bâtiment travaux publics (BTP). Selon lui, 70 à 80 % des effondrements sont liés en grande partie à la qualité du fer à béton utilisé, car nos sols sont bons, explique le technicien. En effet, insiste-t-il, le béton est une pierre artificielle ayant les capacités de supporter mieux la compression que la traction c’est pourquoi, on loge le fer dans sa formulation pour maintenir l’équilibre entre la compression et la traction.
«Le problème de la maison est essentiellement lié à la descente de charge. Le poids se trouvant à l’étage pèse sur les poteaux et les chaînages en béton armé jusqu’au niveau de la semelle.
Si les normes en fer ne sont pas respectées, la maison ne pourra plus supporter les charges transmises et risque de s’effondrer. D’où, la nécessité d’utiliser des fers à béton appropriés dans la construction des bâtiments», détaille le spécialiste.
La mission de vérification de la dimension des fers à béton au niveau des unités industrielles est confiée à l’Agence malienne de la métrologie. L’Amam contrôle chaque année les unités de fabrique de fer à béton pour s’assurer qu’elles respectent les mesures exigées notamment la longueur et le diamètre, explique son directeur général. «Nous constatons que certains fers n’atteignent pas souvent les 12 m de longueur.
Bientôt, nous allons engager un contrôle au niveau de toutes les unités de fabrique de fer à béton. En cas de non-respect des dimensions, nous appliquerons les dispositions normales», prévient Lansina Togola.
En la matière, explique-t-il, les agents vérificateurs rédigent un rapport de constatation. Le fabricant est verbalisé et sanctionné conformément aux dispositions de la loi, précise Lansina Togola. Les normes régissant la fabrication du fer à béton au Mali, doivent être d’application obligatoire, plaide-t-il.
Interrogé sur la question, le directeur général de l’Agence malienne de normalisation et de promotion de la qualité (Amanorm) assure que des démarches sont en cours pour les rendre obligatoires. Selon Dr Younoussa Maïga, les normes concernant les fers à béton sont, à priori, des normes d’application volontaires, c’est-à-dire destinées aux marchés.
«Quand on initie un projet d’élaboration de norme, on part de l’hypothèse que son application est volontaire. Pour être plus compétitif, faire certifier son produit et garantir sa qualité au regard des consommateurs et des échanges commerciaux internationaux, le producteur le fait de façon volontaire», explique le spécialiste.
En toute souveraineté, l’État peut décider de rendre leur application obligatoire en prenant un arrêté. «Objectifs : protéger les consommateurs, préserver leur santé…», confirme-t-il.
Dr Younoussa Maïga ajoute que dans certains pays comme le Nigéria, une fois qu’une norme est adoptée, son application est obligatoire. Au Mali, la loi portant Système national de normalisation qui date de 1992 est fondamentalement axée sur les directives de l’ISO. Elles disent que les normes sont volontaires, que seuls les règlements sont d’application obligatoire. «Dès que l’État décide de rendre une norme d’application obligatoire, elle devient alors un règlement technique», conclu Dr Younoussa Maïga.