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Daouda Kinda, consultant en sécurité internationale : « Eviter de faire du Mali un territoire de guerre entre les puissances »
Publié le mercredi 27 avril 2022  |  Mali Tribune
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Daouda Kinda détenteur d’un master en diplomatie et spécialiste en sécurité internationale et consultant fait le tour de la crise politique et sécuritaire dans cette interview. Il anticipe et prévient sur les potentiels dangers d’une guerre par procuration au Mali comme cela s’est passé en Syrie et se passe aujourd’hui en Ukraine. Lisez…





Mali Tribune : En tant que spécialiste de la sécurité, quelle est votre appréciation de ce slogan national aujourd’hui, ‘’l’armée monte en puissance’’ ? Qu’en dites-vous ?

Daouda Kinda : Je pense qu’il y a certaines améliorations, il ne faut se le cacher. Il faut d’abord situer le mot ‘’montée en puissance’’. La montée en puissance, on ne peut pas seulement la mettre au compte de l’achat des armements. Dans une armée, ce n’est pas seulement des armements, c’est surtout des hommes et l’état d’esprit des hommes. En terme de guerre non conventionnelle, c’est surtout la collaboration, la participation des populations locales, des populations qui sont touchées par le phénomène, du terrorisme aux opérations militaires en terme d’aide, en terme de renseignement. Et qui peut signifier réellement la montée d’une armée en puissance.

C’est difficile de le dire, il va falloir prendre de diagnostiquer, de mettre l’armée à l’épreuve. C’est vrai nous avons vu beaucoup d’achats d’armements, c’est une bonne chose, mais ces armements, ils qu’ils soient bien acquis. Que ça soit acquis dans les normes procédurales en termes de finances publiques. Il va falloir que ces matériels soient bien utilisés. Il ne servira à rien d’aller acheter des matériels à coup de milliards de F CFA et qu’il ait des disfonctionnements ou que ça soit mal utilisé à la fin. Nous avons vu beaucoup de pays qui ont des armements de pointe, mais qui n’arrivent pas à juguler le phénomène terroriste.

Ce n’est pas évident que vous ayez tous les matériels du monde et que vous soyez en mesure d’aller au bout du terrorisme. Il va falloir qu’on mette un peu d’eau dans notre jugement dans ce sens. Quand il y a une certaine détermination des plus hautes autorités dans la transition, une certaine détermination de lutte contre le terrorisme, mais cela coupe un peu avec la politique ambivalente qui existe au temps d’IBK. Cette politique qui faisait en sorte que d’une main, on veut discuter avec les terroristes et d’une autre main, on dit à la population, qu’on est en train de se préparer à la guerre. Donc c’est une dichotomie, une sorte de double information qui est mauvaise pour le soldat. Le soldat ne sait plus à quel saint se vouer. Tantôt le politique lui dit qu’on est en train de négocier avec les chefs djihadistes tantôt, on dit à la population qu’on est en train de se préparer pour la guerre. Avec les autorités de la transition, cela a été un peu efficace.

On est en train de prendre des initiatives d’opération sur le terrain. Aller chercher les terroristes et les détruire là où ils sont. ‘’Montée en puissance’’, cette expression, il faut la mettre un peu entre parenthèse. Il ne faut pas trop s’enorgueillir. La lutte contre le terrorisme n’est pas un combat de vitesse, mais de fond. Il faut que l’Etat puisse pacifier tout ce périmètre qui commence depuis Ségou jusqu’à Kidal.

Ce n’est pas une mince affaire. Il faut que les populations puissent retourner sur place et que les activités commerciales et administratives qui sont arrêtées puissent recommencer. Que l’Etat retourne dans ces endroits. Donc à quoi servirait la ‘’montée en puissance de l’armée, sans le retour effectif de l’Etat. Sans le retour des activités quotidiennes des citoyens sur place sachant les personnes et leur bien soit sécurisés. Il va falloir que l’on soit honnête. Qu’on situe dans son contexte exact cette montée en puissance. Beaucoup de gens sont en train de l’utiliser comme slogan politique sauf qu’en sécurité, il n’y a pas de slogan politique. C’est la réalité du terrain qui domine.

Mali Tribune : Il y a une grande amélioration aujourd’hui en matière d’équipement chez les FAMa, cette amélioration, est elle aussi un signe de victoire contre l’insécurité au centre ?

D. K. : C’est loin d’être un signe de victoire. On parlera de victoire quand le terrorisme finira au Mali. Quand tout reviendra dans l’ordre. Quand les populations seront sécurisées. Quand l’éleveur pourra vaquer à ses occupations sans problème. Quand le cultivateur pourra semer et récolter sans problème. Quand l’administration retournera. Quand il y aura plus d’engins explosifs minés sur les routes. Quand les villages au fin fond du Mali qui sont subjugués au dictat des Djihadistes ne le seront plus. Sans tout cela, on ne saurait parler de victoire. Il faut que les gens sachent que le travail d’une armée n’est pas facile. Ce n’est pas un match de football. C’est quand même un espoir. Ça montre que le Mali peut à lui seul subvenir à ses besoins les plus élémentaires, notamment la sécurité.

Mali Tribune : Si le Mali arrive à vaincre le terrorisme territorial, l’occupation de certaines partie du pays par les forces du mal, est ce, une victoire sur le terrorisme en général, tout pour tout ?

D. K. : Ce serait très difficile parce que le terrorisme pousse sur des racines. Vous pouvez vaincre les symptômes du terrorisme, mais ne pas vaincre les maux qui sont à la base du terrorisme. Les maux qui sont à la base du terrorisme selon les expertises diverses, sont connus. La pauvreté, l’injustice, le manque de service de base étatique, manque de soins, bref, c’est la pauvreté qui engendre le fait que ce phénomène est sur place et que des jeunes sont tentés d’aller vers ces groupes terroristes. Beaucoup sont dans ces mouvements terroristes pas par conviction religieuse, mais parce que ça permet de se protéger et de protéger une partie de leur groupe social. C’est pourquoi il faudrait qu’il ait des initiatives politiques au Mali pour appuyer l’armée. L’armée à elle seule, ne peut pas viabiliser un pays. Il faut des décisions politiques. Sans la présence de l’Etat, ce sont les groupes terroristes qui continueront à contrôler.

Mali Tribune : La coopération militaire entre la France et le Mali est née à la suite de nombreux attentats à Bamako et en France. Est-ce que la coopération russe pourrait garantir contre des attaques pareilles ?

D. K. : Il n’y a pas eu d’attaques Kamikazes à Bamako, c’est dû à deux choses majeures. Il y a deux groupements terroristes au Mali. L’Etat islamique et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans dans le Sahara(GSIM) d’Iyad et de Kouffa, avec le retrait de la France, le GINIM de Kouffa est dans une autre logique qui n’est pas celle des attentats Kamikazes, attentats suicides ou des attaques dans les capitales.

Au moment où les attentats de Radisson, Terrasse arrivaient au Mali, ils étaient dans une autre logique en terme de projection et de politique du terrorisme dans la Sous-région. C’était pour marquer leur emprunt, ils ont cette empreinte-là déjà. Ils ont changé cette politique de venir tuer des gens à Bamako. S’ils font ça, ils vont perdre le peu de crédibilité auprès de ce public. Cette sorte de ‘’narro-mouvance’’ qui les soutient. Pour le moment, ils veulent garder cette sorte d’image positive. Ce qui n’est pas le cas en France ou dans les pays occidentaux.

Même demain s’ils trouvent des candidats kamikazes, ils vont attaquer. Ils n’ont pas besoin de ça, ici à Bamako. Pour le moment, ils sont juste occupés par la conquête des régions éloignées de Bamako. Ils sont intéressés par une sorte d’installation à long terme et peut-être entamer une conquête après comme ils ont voulu faire en 2013. La Russie n’a pas autant d’intérêt à aider le Mali à éteindre le terrorisme. La Russie est seulement au Mali dans une logique de géopolitique.

Aucun terroriste ne va remonter le Mali pour aller faire des attaques en Russie. C’est loin. S’il y a des attaques en Russie, c’est surement les terroristes en Iraq ou en Syrie. La Russie n’a pas d’intérêt stratégique en termes de sécurité au Mali. La Russie peut saisir des opportunités économiques ou financières (achat de matériels et autres). Elle peut mettre le bâton dans la roue des grandes puissances qui sont opposées à elle comme la France et les Etats unis. Il faut que les Maliens sachent ça. Alors qu’en de sécurité, le Mali a le destin plus rapproché avec la France.

Des candidats à l’immigration clandestine peuvent aller atteindre la France. Il y a une sorte de communauté d’intérêt en termes de sécurité entre le Sahara et les pays occidentaux. Des attentats terroristes peuvent partir du Mali pour ces pays occidentaux par l’immigration clandestine. C’est pourquoi ils ont beaucoup d’intérêt à être au Mali. La Russie n’a non seulement pas le moyen de nous aider à vaincre le terrorisme, mais aussi la volonté stratégique pour le faire.

Les puissances réfléchissent en termes d’intérêt. Surtout avec la guerre en Ukraine et les sanctions infligées contre elle. Il va falloir que l’on réfléchisse deux fois avant que l’on ne se jette dans une aventure inconnue.

Mali Tribune : Dernière question sur l’insécurité. La France quitte le Mali militairement. En 2013, elle est intervenue contre le terrorisme international. Après son départ, faut-il craindre, un retour au point de départ. C’est-à-dire à une réouverture de couloir de terrorisme international au Mali ?

D. K. : Ce couloir n’a jamais été fermé. Il a toujours existé. Avec l’inexistence de l’Etat dans beaucoup de zones notamment dans les zones des trois frontières, c’est surtout ce fléau d’internationalisation du terrorisme qui a continué. Dans les girons de l’Etat islamique et du GSIM d’Iyad et kouffa, il y a beaucoup d’autres nationalités. Cette vague d’internationalisation n’a jamais cessé avec le transfert de ressources humaines et aussi de logistique et de matériels. Les engins explosifs et autres. Les Maliens ne connaissaient pas ces technologies.

Elles sont venues des pays du Moyen-Orient. Les terroristes internationaux ont transité au Mali et continuent. Et il faut tout faire pour une jonction entre certains groupes tels que les Boko-Haram et les terroristes au Mali. S’il y a une jonction entre eux, ils vont s’entraider et il va avoir une certaine perméabilité qui va envenimer le terrorisme dans le Sahel. Ils peuvent même aller à poser des bombes dans les mosquées et les lieux publics. Le Niger est une zone tampon par rapport à ça.

Aujourd’hui, le gouvernement nigérien a compris cela. C’est qu’ils sont en train d’accepter de se faire aider par la France. Le Sahara est une zone de trafic de tout genre. Ce n’est pas seulement, le nord qui est vulnérable, il y a aussi le Sud. La zone qui fait frontière avec le Sénégal, le Mali et la Guinée. Ces zones ne sont pas contrôlées à cause de pénurie d’agents. Or cette zone est très fréquentée par des trafiquants d’armes et autres. Ces zones servent d’interconnexion entre plusieurs pays (Guinée Bissau, Nigeria, voire même des continents (Amérique). Les terroristes se financent ave ces choses. Ces paramètres doivent être pris en compte pas par l’armée, mais les décideurs politiques.

Mali Tribune : Le Premier ministre a parlé d’une réunion de haut de niveau sur l’Accord issu du processus d’Alger probablement une relecture. Il dit : « Avant cette réunion, aucun acte ne sera posé qui entravera à la paix ». Si cela échoue, faut-il craindre une reprise des hostilités entre le Mali et les ex-rebelles ?

D. K. : Je pense que les hostilités n’ont jamais cessé. Certes il n’y a pas de crépitement de balle ni de bote, mais les hostilités n’ont jamais cessé entre le gouvernement et les groupes signataires. L’Accord par son modus operandi a été mal signé. C’était un accord de haut sommet, qui a oublié un peu les préoccupations du Malien lambda de la population.

Or pour que ces genres d’accord puissent fonctionner, il faut une certaine appropriation de la population. Malgré qu’il y ait eu des efforts, les autorités de l’époque ont péché de bonne foi. Mais faire une relecture avec un haut panel, nous risquerons de retomber dans les mêmes pièges. Sur la question, il faut une sorte de fora publique, une sorte de convention. Une sorte de réunion entre les acteurs, les citoyens.

Il faut une sorte de convention nationale pas genre texte seulement. Il faut que les gens débattent de cette question. Que les Maliens soient appelés, la société civile. Qu’ils débattent. Parce qu’aujourd’hui, rares sont les Maliens qui sont à Bamako et qui savent réellement ce qui se passe à Kidal. C’est quoi leur problème ? Il y a eu beaucoup de fora, des rencontres d’entente nationale mais la question de Kidal a été omise à chaque fois. A défaut qu’il ait une légitimité pour les autorités pour des accords qui seront acceptés par la base, il faut mettre cette base là, en phase avec cette réconciliation. Il faut une vraie réconciliation entre les Maliens du Sud et ceux du Nord. Il y a des fossés sociologiques et idéologiques. Tant qu’il n’y a pas cette distribution, ça marchera difficilement. Il va falloir qu’ils se désarment. Quand on prend les normes sécuritaires, il va falloir que les groupes soient désarmés.

C’est le préalable. Sinon tout ce que l’on fera n’aura pas de sens. Pour ce faire, l’Etat doit donner beaucoup de gage de confiance à nos frères du Nord. Sinon la paix n’existe que sur papier, sur l’Accord. Si jamais la relecture se fait dans ces conditions, et que ça échoue, d’ailleurs on a peu de chance que ça aboutisse, vu qu’ils sont toujours armés. Ils vont encore faire une énième rébellion. Donc même sans relecture, si on continue dans cette tendance, ces gens finiront à faire une guerre ouverte. Ils sont peut-être aujourd’hui dans la recherche des partenaires extérieurs, des puissances. Il suffit qu’ils aient une puissance extérieure qui les supportent un peu, il y aura encore une énième rébellion. Ça c’est sur et certain.

Mali Tribune : En 2018, Jean Bernard Pinetal ancien général de l’armée française fait un tweet qui parle d’une rébellion Peulh et Touareg au Mali. En cas d’une nouvelle rébellion, faut-il craindre une alliance entre les Peulhs et les Touaregs contre l’Etat ?

D. K. : Ça c’est une question béton. Elle relève plus de la sociologie que de la sécurité. Bon enfin, bref, la sociologie fait partie essentielle de la sécurité internationale. Tout est question d’intérêt et de dynamique des forces sur le terrain. Avec tout ce qui se passe à Dioura, le charnier de Gossi, tout ce qui se passe, il fait craindre que cette guerre ne se transforme en une guerre Etat malien contre les Peulhs.

Si jamais on continue dans cette lancée et que la majeure partie des Peulhs dans ces régions, se sentent visés par le Mali et son partenaire russe, je pense que rien n’est à exclure. Ça va non seulement envenimer la situation, ça va aussi amener les Peulhs à se liguer, mais avec qui ? Les Touaregs ? Ce n’est pas à exclure parce qu’ils seront dans la même idée, voire les mêmes intérêts. Il y a un petit bémol, c’est les groupements terroristes. Il y a des affrontements entre l’Etat islamique et les Touaregs.

Mais si jamais ces groupes terroristes arrivent à mettre les Touarges et les Peulhs ensemble, ça peut se faire. Ce sont eux qui contrôlent. Si cela les désavantages, ça sera très difficile de le faire.



Mali Tribune : Les guerres se passent sur des territoires mais entre des puissances. Faut-il craindre une guerre par procuration entre la Russie et l’Occident au Mali comme ça se passe en Ukraine, ou en Syrie ?

D. K. : La Russie n’a pas les mêmes intérêts au Mali qu’en Syrie non seulement en terme énergétique, en géostratégie, la Syrie est une porte d’entrée sur la Méditerranée, sur le Bosphore. C’est aussi un important gisement de gaz. La Russie, elle cherche juste à faire obstruction à la présence française et américaine. Elle n’aide pas le Mali. Le Mali achète ses armements avec elle et on paie ces gens qui sont ici. La Russie ne donne pas, elle vend. Elle peut faire des dégâts et c’est nous qui allons payer les pots cassés. Il ne faut pas transformer notre pays en territoire de guerre géopolitique entre les puissances. C’est nous qui allons payer les pots cassés.

Mali Tribune : Quelles solutions proposez-vous aujourd’hui, en votre qualité de spécialiste en question sécuritaire ?

D. K. : Moi au lieu de solution, je dirais le préalable à la sortie de crise. Je ne pense si la solution viendra d’un gouvernement de transition. Elle viendra d’un régime démocratiquement et librement élu. C’est le rôle majeure de la transition, faire le tout possible pour organiser les élections comme il faut enfin élire un président de la République. Qui aura la légitimité nécessaire pour pouvoir faire certaines actions qui demandent beaucoup de courage politique. Avant cela, les autorités doivent renouer le dialogue avec la Cédeao et l’Uemoa.

Sortir de cette sanction. Avec cette sanction rien ne pourra se réaliser même pas des élections. Nous continuerons dans cette marasme, c’est très fâcheux à la longue. Il va falloir qu’on discute avec la Cédeao, qu’on renoue un peu avec la communauté internationale. Le Mali a toujours été un pays qui a pu tirer son épingle du jeu. Il ne faut pas se mettre à dos avec tout le monde. Avec un président élu, réformer l’armée, la renforcer par cette logique d’achat d’armes, mettre le soldat dans les conditions, moderniser le secteur de la sécurité (la police, la sécurité).

Et créer une unité de veille frontalière. Une unité spécialement mise en place pour surveiller les frontières. Tous nos problèmes viennent de là. Nous ne maitrisons pas nos frontières. Tout cela doit être fait par un président démocratiquement élu.

Propos recueillis par

Koureichy Cissé

Source : Mali Tribune
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