Entre les chauffeurs, les apprentis et les passagers des sotramas, les relations ne sont pas des plus cordiales au point que l’on se demande les raisons de cet état de fait. Pour en savoir davantage sur le sujet, le journal hebdomadaire ‘’L’Alerte’’ a procédé à une journée de sotrama sur le tronçon Kanadjiguila-Vox.
« Entre les apprentis et les passagers, qui a raison ? », a chanté le reggae man Koko Dembélé dans son album. Nous ajouterons les chauffeurs puisque les apprentis ne sauraient travailler sans leurs patrons. Pour faire la lumière sur la surchauffe entre ces indispensables du transport, nous sommes allés vers les acteurs principaux.
Ils sont considérés comme les dépositaires de propos salaces, ces apprentis, des énergumènes, des impolis par la grande partie de la société. Or ces ouvriers des transports viennent des familles. Ce sont des frères, des amis et fils des passagers qui les traitent très souvent de tous les maux d’Israël. Qu’est-ce qui explique ce pourrissement du comportement ?
Dans l’objectif de mieux saisir le fonds du sujet, il a été nécessaire, ce dimanche 17 avril 2022, d’emprunter une sotrama partant de Kanadjiguila pour la place Vox. A bord de cet engin de 22 places, l’apprenti répondant au nom de Chacka Diarra faisait appel aux passagers pour les installer coûte que coûte même s’il fallait les joncher les uns sur les autres comme des sardines. Une telle attitude qui provoquait l’ire des passagers qui disaient n’être pas des animaux. Donc ils méritent le minimum de respect parce qu’ils payent pour le déplacement.
Les apprentis des sotramas désignés par le sobriquet « dala rido » (rideau de la porte) utilisent les termes d’un jargon qui leur est propre. En appelant les passagers, en ce qui concerne les vieilles qui marchent difficilement, ils emploient le terme « korokara » (la tortue), les jeunes filles, selon sa grosse corpulence, « go baraba » (La grosse go), « go denni » (la petite go). Pour demander aux passagers d’entrer ou de sortir vite, « i walawala » (soit chaud, rapide) est le mot convenable du jargon des apprentis. En outre, il faut retenir « Tchè kounbaba » (l’homme grand), « tchè fitini » (l’homme petit). Ils n’hésitent pas à demander aux motocyclistes s’ils partent. Cela relève de l’extraordinaire chez les apprentis. Il s’agit de vouloir embarquer le motocycliste et son engin ! Cette attitude donne l’occasion à certains passagers de les traiter de « drogués », même s’ils rejettent ce qualificatif.
Ils communiquent bien avec les chauffeurs. A la demande d’un passager pour descendre, ils tapent avec force. Aussi à la demande d’un autre pour monter, ils se livrent au même exercice. Ce sont eux qui, courbant les billets entre les doigts, frappent la sotrama pour tout arrêt et se faufilent entre les engins à une vitesse déconcertante dont eux-mêmes détiennent le secret. La concurrence pour le client l’exige. Sans complexe, dans les culottes ou pantalons « blessés », ils font le boulot.
Les raisons des altercations
Nos « rideaux de la porte » n’hésitent pas d’utiliser les termes plus violents lorsqu’un passager, selon eux, dépasse les bornes. Le trajet nous a permis d’interroger certains apprentis pour savoir les raisons de la violence entre eux et les passagers. Nouhoum Konaré est apprenti sur le tronçon Kanadjiguila-Vox il y a environ six mois. Selon ses explications, c’est le problème de monnaie qui est très souvent à la base des problèmes entre les apprentis et les passagers. De son point de vue, certains passagers entrent dans l’engin avec 2000 FCFA et même 5000 FCFA.
« Après avoir donné ces billets, ils exigent à la minute de leur rendre la monnaie. Si nous tardons un peu seulement, ils basculent dans l’injure. Or nous devons descendre pour chercher la monnaie. Ce qui nous pousse aussi à riposter. Et les gens nous prennent comme des enfants mal éduqués sans être au courant du fond du problème. Les clients aussi font des insultes », a expliqué cet interlocuteur.
S’exprimant sur les insultes de part des apprentis, il dira qu’il y en a qui sont aigris naturellement. A l’entendre, ceux-ci insultent à volonté. A souligner qu’après juste cette interview avec l’apprenti, un autre, allant en courant rejoindre sa sotrama, s’est livré à une injure considérable de l’histoire des trivialités. Pour notre interlocuteur, le fait de rater les points de descente des clients n’est pas un souhait et cela ne dépend pas d’eux. Car, dit-il, l’apprenti tape et le chauffeur peut oublier. De ce fait, c’est un fait lié à l’esprit.
De son côté, l’apprenti Tamba Kéita, avec ses six années d’expériences, a confié que certains passagers n’aiment pas se pousser pour que d’autres s’asseyent. Si l’on en croit à ses propos, la recette se paye, le chauffeur et l’apprenti en vivent aussi. « C’est pour cette raison que les sotramas s’arrêtent pour prendre les clients. Et des clients qui sont déjà dans l’engin se mettent en colère de la pire des manières », déplore l’apprenti Tamba.
Il n’a pas manqué de s’exprimer sur les difficultés qu’ils vivent. Pour lui, actuellement, ils souffrent énormément. Pour cause, les postes de contrôle les dérangent et la flambée du prix du carburant en a augmenté. « Aujourd’hui, 40 litres de gasoil coûte plus de 30000 FCFA. Nous ne gagnons plus rien. Nous trouvons à peine à manger ». De ce fait, il lance l’appel aux autorités compétentes pour une solution dans les plus brefs délais.
Pour l’apprenti Adama Camara à la Place Vox, c’est la remise de la monnaie qui est la base des problèmes entre eux et les passagers. « Certains passagers entrent dans la sotrama avec le billet de 2000 FCFA et bousculent l’apprenti, or il faut faire la monnaie ». En ce qui concerne les injures, il martèle que ce ne sont pas seulement les apprentis qui les font. Selon lui, certains clients s’y adonnent aussi. Car, dit-il, chacun sort de sa maison avec son éducation.
L’apprenti Sékouba Camara trouve que certains passagers provoquent les apprentis de toutes les manières. A l’entendre, il y a deux jours de cela, il a chamaillé avec un client qui lui a remis le gros billet et demandé sur-le-champ la monnaie. Il se dit qu’il n’est pas une machine pour accomplir un tel exploit.
Les passagers ne voient pas le problème de la même manière. Pour le passager Oumar Camara, ce qui se passe entre les apprentis et les passagers est une responsabilité partagée. Selon lui, certes beaucoup d’apprentis ne respectent pas les gens, mais la situation est provoquée souvent par les passagers eux-mêmes. Il rejoint les deux premiers interlocuteurs sur les raisons de la dégradation du comportement des apprentis. De son point de vue, même un apprenti bien éduqué ne peut travailler sans être à l’image de certains passagers qui viennent avec des comportements différents.
Pour le passager Modibo Doumbia, enseignant de son Etat, la sotrama est le moyen de transport le moins cher dans notre pays. « Je paye moins cher entre Mamaribougou et Hamdallaye. Il est difficile de s’en passer à moins d’avoir ses propres moyens », estime-t-il, avant de déplorer l’impertinence des apprentis et des chauffeurs de sotrama.
Le chauffeur N’Fa Coulibaly rencontré à la Place Vox pense que la responsabilité est partagée. Selon lui, il y a certains passagers qui sont bons et d’autres mauvais. De même, dit-il, il y a des clients bons et des clients mauvais. « Il y a des passagers qui entrent dans la sotrama et donnent à l’apprenti 1000 FCFA ou 2000 FCFA et lui demandent de soustraire 150 FCFA. Ce qui est plus grave dans tout cela, ils se montrent pressés d’avoir la monnaie. Ce sont les passagers qui provoquent, manquent le respect aux apprentis. Ainsi l’altercation s’engage », regrette-t-il. En revanche, le chauffeur Coulibaly reconnaît qu’il y a des apprentis et des chauffeurs qui ne sont pas du tout bons dans le cadre du travail.
Pour le chauffeur Bakary Doumbia, les apprentis bien éduqués sont rares maintenant. Mais, dit-il, certains passagers dépassent la limite. « Ils sortent de la maison avec la bagarre. Même si l’apprenti leur parle bien, ils lui répondent mal. L’écart de langage est leur naturel. Nos noms sont gâtés. Un jour, quelqu’un m’a demandé si le conducteur de sotrama a une femme et des enfants. Ils nous considèrent comme des salauds. Certains entrent dans l’engin avec 2000 FCFA, d’autres avec 5000 FCFA pour payer le transport qui coûte 150 FCFA. Tout le monde sait que c’est difficile », déplore-t-il.
S’exprimant sur le sujet des injures, il a affirmé que tous les apprentis ne les font pas. Il fera la différence entre les apprentis qui sont au niveau d’un seul chauffeur, c’est-à-dire, celui qui est embauché et ceux qui évoluent avec plusieurs chauffeurs. En caressant les cheveux de ces genres d’apprentis, il affirme qu’ils ne sont pas faciles à contrôler.
Somme toute, c’est ce qu’il faut comprendre de la relation entre ces acteurs incontournables du transport en commun. Etant donné qu’il n’y a pas de passagers sans chauffeurs, encore moins de chauffeurs sans apprentis, ces acteurs sont inséparables comme le recto et le verso d’une feuille de papier.