Les relations entre les deux pays ne cessent de se détériorer depuis un an. La dénonciation par les autorités maliennes des accords de défense est un épisode décisif d’un processus de divorce émaillé de rebondissements
Ce n’est peut-être qu’un épisode de la crise diplomatique entretenue par l’Hexagone pour affaiblir les autorités de la Transition, mais la décision de celles-ci de dénoncer les accords de défense avec la France et ses partenaires européens constitue une étape inédite. Elle consacre une rupture quasi-totale, l’apogée d’une situation conflictuelle qui dure depuis mai 2021.
Il faut encore attendre six mois pour constater l’effectivité de la fin du traité de coopération en matière de défense du 16 juillet 2014. Par contre, c’est avec effet immédiat qu’ont été dénoncés le Sofa (accord de statut des forces) de mars 2013, encadrant l’engagement de Barkhane et le protocole additionnel de mars 2020 qui s’applique à Takuba.
Bamako avait-elle d’autre choix que d’agir ainsi ? Il reste constant que Paris n’a jamais daigné accorder la moindre considération aux récriminations des dirigeants actuels du Mali. Nul besoin de revenir sur les plaintes du gouvernement concernant l’annonce unilatérale de la suspension des opérations conjointes en juin, puis de celle du retrait de Barkhane et de Takuba en février.
Se croyant en zone conquise, les troupes françaises ne se sont jamais encombrées de règles édictées par les autorités maliennes. Leurs aéronefs ont plusieurs fois été repérés dans la zone aérienne faisant objet d’interdiction temporaire. Ils atterrissaient sans autorisation préalable dans des localités hors aérodromes. Au total, près de 50 violations de notre espace aérien ont été identifiées.
« Les derniers évènements étaient pratiquement de l’espionnage de l’armée régulière du Mali sur son propre territoire», s’indigne le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale dans une interview accordée mardi soir à la télévision nationale. Et signe patent du mépris à l’égard des autorités maliennes : l’absence de réponse aux demandes de révision du traité de coopération de défense. Au lieu d’envoyer ses amendements, comme le Mali l’a fait en décembre 2021, la France a opté pour le dilatoire en demandant une réunion d’experts pour la relecture dudit traité.
FRANCHIR LE RUBICON- Tous les ingrédients donc étaient réunis pour ce clash final, dont les conséquences opérationnelles ne sont pas négligeables. D’abord, sur les forces Barkhane et Takuba qui perdent ainsi la liberté de circulation sur le territoire malien, de même que l’exonération douanière accordée dans le cadre desdits accords. Il n’y aurait également plus d’immunité militaire sur les possibles bavures qu’occasionnerait la suite du retrait des hommes et du matériel de ces forces.
Pour avoir osé «franchir le Rubicon », nos autorités s’exposent à la fureur vengeresse de l’Hexagone. Sans doute, elle va tenter d’isoler notre pays sur la scène internationale. «Cela pourrait se concrétiser dans la mise à l’écart du Mali lors les exercices militaires sous régionaux, le refus d’accorder le visa aux officiels militaires maliens quel que soit le motif du séjour évoqué par ces derniers », commente Dr Aly Tounkara, expert au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S).
En outre, cette dénonciation des accords pourrait aboutir à l’arrêt définitif d’une coopération militaire effective et réelle entre le Mali et ses voisins, en occurrence le Burkina Faso et le Niger où la France est très engagée et sert d’interface entre les armées de ces deux pays et les FAMa. «En conséquence, la coopération transfrontalière, dans le cadre de la lutte contre les groupes radicaux violents avec le référentiel musulman, reste très hypothéquée», analyse l’expert qui ajoute que la dynamique du retrait des forces européennes pourrait se poursuivre avec plus de « tensions, de suspicions et de menaces de part et d’autre ».
Mais la récente visite d’une délégation militaire burkinabé à Bamako est un signe que la coopération entre nos deux armées a de beaux jours devant elle. Les militaires des deux pays ont sans doute compris qu’il leur faudra désormais voler de leurs propres ailes pour faire face à la menace terroriste.
ÉCHANGES VIFS- D’ores et déjà, la France semble ne pas être dans la posture d’obtempérer aux injonctions du Mali. Mardi, elle a protesté contre cette dénonciation qu’elle qualifiée d’«injustifiée» et a écarté toute répercussion sur le calendrier du retrait en cours de Barkhane, annoncé en février et censé s’échelonner sur six mois. Pour le ministre malien en charge des Affaires étrangères, le « gouvernement malien veillera à ce que les choses se fassent en bon ordre et dans le temps adéquat».
Une partie de l’affaire a été portée devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Mardi, elle a tenu, à la demande de la Russie, une réunion informelle à huis clos pour évoquer la plainte du Mali à l’égard des violations de son espace aérien par la France. Selon plusieurs sources, les échanges ont été plutôt vifs. Clairement, l’ambassadeur adjoint russe a pointé une « désinformation française», arguant de la nécessité de respecter la souveraineté du Mali.
De l’avis de plusieurs experts, cette rupture officielle des accords de défense avec Paris devrait davantage renforcer l’axe de coopération avec la Russie qui a déjà livré des armes et du matériel militaire à l’Armée malienne. Mais Dr Aly Tounkara met un bémol : «Le futur de la région de Liptako-Grouma serait émaillé par une compétition sans précédent entre les puissances militaires occidentales, en particulier française et russe, tout en instrumentalisant la menace terroriste et infantilisant ainsi les militaires sahéliens afin de légitimer leur prétendue présence en qualité des sauveurs et de s’adonner à une compétition sans précèdent au tour du sous-sol sahélien».