Le 1er mars 2020, le groupe tunisien Granada a pris la gestion de l’Hôtel de l’Amitié. À peine installée, la nouvelle direction du complexe hôtelier de a procédé au licenciement, le 1er avril 2020, de plusieurs employés : 102 personnes en congés techniques pour 3 mois sans assistance, presque 64 personnes en congés de 10 jours pour certains et 7 jours pour d’autres. Le 1er septembre 2020, 76 employés ont été définitivement licenciés pour motif économique. Depuis, la Direction et le syndicat de l’établissement hôtelier sont à couteaux tirés. Chacun de son côté se défend à travers des actions. Après 02 ans de tiraillements, il semble qu’aucune solution n’a été trouvée. Retour sur une affaire qui a mis des chefs de famille dans le désespoir et le dénuement total.
En 2020, le tourisme a fait partie des secteurs d’activités les plus touchés par la maladie à coronavirus (Covid-19), à cause notamment de la fermeture des frontières. Pour minimiser l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises et éviter les licenciements massifs de travailleurs dans les secteurs affectés par cette crise, le gouvernement d’alors avait pris des mesures fiscales comme l’exonération de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sur les consommations relatives aux factures d’eau et d’électricité effectuées au cours des mois d’avril et mai 2020. Il y a eu aussi des remises d’impôts, au cas par cas, et secteur par secteur, entre autres, la renonciation à la perception du produit de la Contribution forfaitaire à la charge des employeurs (CFE) et de la Taxe-logement (TL) auprès des entreprises du secteur privé pour les mois d’avril 2020 à décembre 2020 inclus. Malgré tout, la Direction générale de l’’Hôtel de l’Amitié a mis, au début du mois d’avril 2020, 102 de ses employés en chômage technique et licencié, définitivement, 76 employés pour motif économique, le 1er septembre 2020. Le hic qui titille est qu’ils sont restés sans salaires, ni indemnités pendant toute la période de crise sanitaire de Covid-19. Et les sanctions inhumaines et injustes de la Cedeao et de l’Uemoa ont enfoncé le clou.
En son temps, la Direction régionale de l’Inspection du travail avait attiré l’attention de l’Hôtel sur le fait que la procédure de licenciement, telle qu’édictée à l’article I.48 nouveau du Code du travail, n’avait pas été respectée en son alinéa 3. Ce qui la rend «irrégulière». Elle avait aussi adressé une lettre au Directeur général de l’Hôtel de l’Amitié, en date du 30 mars 2020. La lettre précisait que cette décision de mise en chômage technique intervient en raison de l’annulation de l’ensemble de la réservation et de l’arrêt partiel du travail de l’hôtel de l’Amitié suite à la pandémie de Covid-19
Les travailleurs ont manifesté leur mécontentement et prouvé l’illégalité des licenciements
Dans les locaux de la Bourse du Travail, le 15 avril 2020, une vingtaine d’employés licenciés avaient animé une conférence de presse pour dénoncer leur licenciement qu’ils jugent abusif. «Nous avons été expulsés de force et mis à la porte par les forces de l’ordre sur instructions de l’administration sans préavis », a indiqué Mohamed Lamine Sissoko, avant de déplorer qu’ils ne percevront pas de salaire pendant cette période. «Nous sommes des pères et mères de famille. Nous leur avons proposé une manière d’alterner, autrement dit, de permettre à tous les employés de faire la rotation. Chose que l’actuelle direction de l’hôtel a refusée », a-t-il souligné.
Ils sont nombreux à juger d’anormale la décision du groupe tunisien Granada et qui qualifient sa démarche de licenciement définitif qui ne dit pas son nom. Ainsi, pour Mariam Dembélé, la démarche de la direction de l’hôtel viole manifestement les lois de la République. « Cela fait sept ans que les catégories de nombreux employés ont changé et les salaires n’ont jamais évolué», a-t-elle relevé en mentionnant que le problème n’a pas commencé pendant la période de la pandémie de Covid-19. En effet, selon elle, dès son installation, la nouvelle direction du groupe Granada leur a fait savoir qu’elle va mettre plusieurs personnes au chômage technique non payé. Et d’indiquer que les employés licenciés ne demandent à la direction de l’hôtel qu’un document qui prouve qu’ils pourront reprendre le travail après trois mois. Quant à Bakary Coulibaly, il dit avoir contacté le secrétaire général de l’Untm, Yacouba Katilé sur le sujet, et que ce dernier se serait même engagé à résoudre le problème par les voies syndicales. En plus de cette conférence de presse, les travailleurs avaient organisé un sit-in devant l’établissement hôtelier, en début septembre 2020, pour protester contre le licenciement de 76 employés pour motif économique. Les employés avaient, à cet effet, bloqué les différentes entrées et sorties de l’hôtel à l’aide de barricades et de leurs motos. Ils estimaient n’avoir pas été avisés, et espéraient reprendre le service après des mois de chômage technique dus à la Covid-19. Contre toute attente, ils ont été invités à signer un acte de résiliation de contrat. À l’entrée, deux listes étaient soumises aux employés qui devraient signer. La première liste concernait les employés autorisés à reprendre le travail et l’autre était destinée à ceux qui doivent être remerciés. «Au début, 76 employés de l’hôtel étaient sur la liste de licenciement. Nous constatons autre chose ce matin. Ils nous ont présenté deux listes : celle de ceux qui peuvent entrer pour travailler et la liste de licenciement que les intéressés doivent signer. Les agents n’ont pas été avisés», avait déploré le secrétaire général adjoint du Comité syndical de l’hôtel de l’Amitié, Dr Aboubacar Diarra.
Pour celui qui se présente comme membre du Bureau exécutif de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), certains travailleurs qui étaient sur l’ancienne fiche de congédiement ont été autorisés à reprendre le travail. D’autres n’y figuraient pas mais ont été surpris de constater qu’ils doivent être licenciés. «Ces licenciements ne sont pas du tout fondés, parce que nous constatons que l’hôtel marche », avait expliqué le syndicaliste.
Par ailleurs, il faut noter que la Direction générale de Laïco Hôtel de l’Amitié avait boudé les «négociations tripartites» qui avaient été prévues le 8 septembre 2020 par la Direction régionale de l’Inspection du travail pour trouver un consensus entre elle et les employés (entre 71 et 76 agents) qu’elle avait décidé de licencier de leurs postes. Sans compter qu’elle n’avait pas respecté la législation en vigueur entraînant du coup la «nullité» de sa décision aux yeux de la loi. Ainsi, dans une lettre adressée à la Direction générale de Laïco Hôtel de l’Amitié de Bamako (le 09 septembre 2020), la Direction régionale de l’Inspection du travail avait déploré avoir constaté qu’elle avait décidé de se mettre «en marge de la légalité» par son refus de participer «aux négociations tripartites». Cette procédure avait pour but de «trouver des solutions au différend» qui l’oppose à ses employés dans le cadre d’un «licenciement à motif économique». L’absence de la direction aux négociations tripartites n’avait pas surpris les employés. «Son motif ne tient pas la route. Elle sait pertinemment que sa motivation n’est pas économique, mais raciale et raciste», commente certains d’entre eux.
En plus d’avoir attiré l’attention de la direction de l’hôtel sur le fait que la procédure de licenciement, telle qu’édictée à l’article I.48 nouveau du Code du travail, n’avait pas été respecté en son alinéa 3, ce qui la rend «irrégulière», la direction régionale du travail du district de Bamako avait aussi rappelé que «le contrat de travail des salariés bénéficiaires d’une protection sociale spéciale ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur sans l’autorisation préalable de l’Inspecteur du travail en vertu de l’article I.277 du Code du travail, quand bien même vous avez entrepris des démarches dans ce sens tout en vous dérobant au débat contradictoire ». Ce qui revient à dire que la décision de la Direction générale du Laïco Hôtel de l’Amitié est «frappée de nullité». Elle doit donc se conformer à la législation du travail en procédant à la «réintégration des travailleurs ou, à défaut, à respecter les prescriptions des articles sus indiquées».
Selon des sources proches du dossier, la Direction avait deux options : revenir sur sa décision ou déposer le bilan puisqu’elle avait évoqué des raisons économiques pour justifier le licenciement envisagé. «Ils n’ont plus le choix. Ils vont renoncer au licenciement ou ils déposeront le bilan».
Face à ces actions des travailleurs, la direction de l’hôtel avait réagi
Les responsables de l’hôtel étaient face à la presse le 16 Septembre 2020, dans les locaux dudit hôtel pour informer l’opinion nationale sur les circonstances du licenciement d’une partie de leurs employés. Ladite conférence de presse était co-animée par le directeur général du groupe Granada, Karim Debbeche, Me Aliou Abdoulaye Touré, conseiller juridique, et Imhamed Mansour ALDBEA, PDG de du groupe hôtel Laïco Mali. Ils s’étaient prononcés tour à tour sur le cas des 66 personnes licenciées sur les 157 agents liés à l’hôtel par un contrat à durée indéterminée.
Selon le PDG du Groupe Granada, Karim Debbèche, quelques semaines après leur arrivée en mars 2020 à la tête de l’hôtel de l’Amitié, le Mali avait enregistré ses premiers cas de Covid-19. Conséquence : les pertes s’étaient accumulées et «sur la centaine de chambres, 25 seulement marchaient», a-t-il expliqué. Dans un premier temps, l’hôtel s’est limité à mettre au chômage technique une partie du personnel avant que les conséquences de la crise sociopolitique ne viennent se greffer à celles des crises sécuritaires et sanitaires. «Face aux pertes qui s’accumulaient, nous avons décidé de licencier une partie du personnel. C’était une décision difficile, mais nous étions obligés de la rendre pour sauver l’entreprise et le reste des emplois », a déclaré le PDG, estimant que leur licenciement est de ‘’motif économique’’.
De son côté, Imhamed Mansour ALDBEA, directeur de l’établissement, a indiqué que Laico a longtemps préféré les pertes au licenciement depuis 1999. Et de rappeler qu’en 1999 les employés ont été laissés à la maison pendant deux ans et payés pour raison de rénovation et pendant trois ans avec l’arrivée de la MINUSMA en 2013. Parlant du salaire de son personnel, il a soutenu que le groupe Laico paye le mieux dans le secteur hôtelier du Mali.
Sur l’aspect juridique, il est revenu à l’avocat Me Aliou Abdoulaye Touré du Cabinet Zahara Anour, de défendre la cause de son client en mentionnant la bonne foi de l’hôtel pour avoir opté d’abord pour le chômage technique avant de procéder au licenciement définitif. Et de rappeler que l’article 35 du code de travail donne la possibilité à l’entreprise, lorsque la situation économique lui est défavorable, de procéder par mise en chômage temporaire. «Aucune entreprise responsable ne peut faire prévaloir le licenciement à l’emploi, c’est ce que nous avons observé», a-t-il relevé par ailleurs. Malheureusement, dit-il, cette décision a été très mal accueillie par les victimes qui ont refusé de venir récupérer leur lettre de licenciement, de se présenter à l’inspection du travail avant d’opter pour des manifestations ayant consisté à bloquer tous les accès de l’hôtel. Quoi qu’il en soit, les licenciements, selon Me Touré, sont conformes à la loi malienne. «Aucune règle de droit n’a été violée», a-t-il soutenu en mentionnant que l’hôtel Laico Hôtel de l’Amitié reste ouvert au dialogue, mais sans «un couteau à la gorge». En dépit de la violence de certains employés licenciés, qui réclament le départ du groupe Ganada faute de reprendre leur travail, Me Touré prône la retenue.
Des dernières évolutions, il nous revient de constater auprès de certains travailleurs que la direction régionale du travail du district aurait préféré prendre langue uniquement avec la direction de l’hôtel qu’avec les travailleurs. Le Directeur régional du travail ferait des entrées furtives au niveau de la direction de l’hôtel.
Face à une nouvelle vague de licenciement des agents à l’Hôtel de l’Amitié, les travailleurs ont tenu une Assemblée Générale d’information, hier mardi 3 avril 2022, dans l’après-midi, à la Bourse du travail.