Dans les lignes qui suivent, le premier responsable de la Mission d’appui à la refondation de l’état (Mare) fait une analyse de la situation sociopolitique de notre pays depuis la chute de l’ancien régime. Aussi, Oumar MC Koné se prononce-t-il sur le concours de la structure qu’il dirige dans la refondation du Mali Kura
L’Essor : Quelle lecture faites-vous de la Transition au Mali qui a débuté depuis un peu plus de 18 mois ?
Oumar MC Koné : La lecture qu’on peut faire, c’est d’abord de dire que cette Transition a été mise en place à la suite d’un mouvement de contestation populaire, porté par le Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5RFP) et qui voulait un certain nombre de changements dans la gouvernance. Cette contestation a été parachevée par la venue des jeunes militaires pour qu’il n’y ait pas d’effusion de sang. On n’est rentré dans une Transition à deux têtes, une partie menée par l’armée et l’autre par un pouvoir civil.
Par rapport aux 18 mois de la Transition, les neuf premiers mois ont été, à notre avis qui peut être partial, une perte de temps parce qu’on n’a pas enclenché l’idée même de la refondation que nous souhaitons. Et c’est dans la deuxième partie qu’on appelle la Transition de la rectification ou la rectification de la Transition que nous avons pu entamer la vision du « Mali Kura » et de la refondation de l’état. Nous sommes dans ce processus qui a amené beaucoup de choses.
L’Essor : Quels sont les objectifs assignés à la Mare qui relève du ministère de la Refondation de l’État ?
Oumar MC Koné : La Mare, comme son nom l’indique, est une Mission d’appui à la refondation de l’état, créée par un décret du 19 avril 2021 et modifié le 3 novembre de la même année. Elle est composée d’un chef de mission et de 20 experts qui couvrent tous les champs des 13 thématiques des Assises nationales de la refondation (ANR) et même au-delà. Il y a aussi un personnel d’appui comprenant des juristes, des gestionnaires de logistiques et d’autres personnels. C’est une structure qui fait un peu plus de 30 personnes.
La mission de la Mare est d’épauler le ministre de la Refondation de l’État dans tout ce qui est travail institutionnel, administratif et même constitutionnel. Il y aura l’élaboration d’une nouvelle Constitution, bien entendu que ce projet est porté par le ministère délégué auprès du Premier ministre, chargé des Reformes politiques et institutionnelles. La Mare aussi doit réfléchir sur ce sujet et appuyer ce département pour mener à bon port ce dossier.
La Mission est chargée d’appuyer le ministre dans les réformes politiques, institutionnelles et administratives mais elle peut aussi entreprendre toute étude qui va dans le sens de la refondation puisque nous venons de sortir des ANR qui ont donné 516 recommandations. La Mare peut aller piocher à l’intérieur de ces recommandations, essayer d’étudier et donner une étude au ministre. Et si cette étude est pertinente, le ministre la portera au Conseil des ministres pour consolider toujours la refondation.
L’Essor : Quels sont les défis et contraintes auxquels la Mare a été confrontée depuis sa création ?
Oumar MC Koné : Les défis d’abord, c’est d’essayer de partager l’idée du « Mali Kura », de la refondation même. Qu’est ce que c’est que la refondation ? Parce que beaucoup de personnes en parlent mais ont du mal à toucher concrètement. Donc, l’idée était de véhiculer ce message par différents types de supports. Mais surtout, c’était aussi d’aller vers les Maliens, avant les Assises, le ministre a consulté les partis politiques, la société civile, les associations religieuses pour fédérer l’ensemble des Maliens pour un seul objectif : construire le « Mali Kura ».
Donc, c’était un défi qui n’était pas gagné du tout parce qu’on venait d’un régime qui est tombé, les blessures n’étaient pas fermées encore, il y a du clivage… C’est d’être modeste et aller vers les autres pour discuter que du Mali et pendant un bout de temps de la Transition. Le gros défi majeur pour nous a été la réussite des ANR. On n’est allé dans le Mali profond, partout à l’intérieur du pays pour parler de la refondation de l’État.
Il s’agissait de dire aux Maliens, vous avez la parole, vous parlez, nous, on écrit et le gouvernement se met en retrait. Et ça été très bien perçu, parce que les gens sont venus avec leurs tripes et se sont accaparés de leurs problèmes. Maintenant, on est à 516 recommandations, toutes applicables. Il y aura ce que la Transition pourra faire, puisque d’après le Premier ministre qui est passé le 21 avril dernier devant le Conseil national de Transition (CNT), finalement on va aller vers 24 mois de Transition. Tout ce qu’on peut faire, on va piocher dans les 516 et ceux qui viendront après nous vont continuer. La refondation, c’est un long processus qui s’étend au moins sur une génération.
Étant une jeune structure, la Mission a des contraintes budgétaires et dépend directement du ministère de la Refondation. Et aussi, avec 20 experts, on réfléchit sur comment étendre cette structuration à l’intérieur du pays un peu à l’image de l’Autorité indépendante de la gestion des élections (Aige). C’est-à-dire, c’est de trouver un représentant de la Mare dans les autres villes pour qu’on puisse connaître la réalité du terrain.
L’Essor : Parlez-nous des perceptives de la structure que vous dirigez ?
Oumar MC Koné : Pour les perceptives, déjà c’est cette décentralisation à l’intérieur du Mali et que les Maliens eux-mêmes localement fassent de la refondation. Cette refondation de l’État, ce n’est rien d’autre que la rupture par rapport aux anciens systèmes qui sont basés sur la corruption maintenant pour aller vers une gouvernance vertueuse. Donc, c’est un défi de consolider nos institutions pour qu’il n’y ait plus de suspicion. Pour cela, il faut une réelle justice qui s’amène aussi et soit égale pour tout le monde, transparente, proche du Malien, que cela ne soit plus du creux.
Les perceptives pour la Mare, c’est de s’implanter aussi à l’intérieur du pays, même si c’est une petite représentation (deux ou trois personnes) mais qui puisse remonter l’information au niveau national, qu’on la traite et l’amener au ministère et que celui-ci la traite à son tour. Je pense que si on fait ça, on gagnera beaucoup dans la démocratie au lieu de penser toujours en haut pour descendre, cette fois ci on va passer du bas vers le haut.
Et aussi, c’est de consolider l’État, qu’on tourne le dos à la mal gouvernance, que le Malien soit fier de son pays. Et d’ailleurs, qu’on retrouve un petit peu avec la montée de notre armée. L’armée monte en puissance et c’est indéniable. Voilà, c’est cette armée rebâtie dans la refondation pour être celle républicaine qui défend le territoire national. C’est dans les perceptives de la Mare aussi d’appuyer, de consolider cette armée à tout moment.
L’Essor : Consécutivement aux événements du 18 août 2020, la quête fondamentale du peuple malien a été la refondation. Quelle sera la contribution de la Mare en vue de satisfaire cette aspiration ?
Oumar MC Koné : En vue de satisfaire l’aspiration du peuple malien pour la refondation, la Mare avec ses experts, écrit et fait des conceptions d’activités. Par exemple, la Mission a initié un mouvement des ambassadrices de la refondation du Mali (Marem), l’idée c’est de donner tout le pouvoir à un mouvement de femmes pour porter les recommandations des ANR au cœur de la nation. C’est une structure formelle initiée par la Mare et qui va bientôt être opérationnalisée.
Depuis le 18 aout 2020, c’est vrai on peut dire que beaucoup d’encre a coulé sur le pont, on peut dire sans triomphalisme que beaucoup de choses ont bougé depuis le 7 juin 2021, c’est indéniable. Par exemple, l’armée a fait une telle prouesse qu’on ne peut pas imaginer. C’est la seule armée au monde quand on le dit, ça parait un peu prétentieux, mais qui se restructure, fait la guerre en même temps et dans un pays en crise depuis 10 ans, il n’y a pas d’autre. Et quand on dit ça, on va dire que les Maliens maintenant, ils se flattent aussi. Ce n’est pas une flatterie, mais la réalité c’est que l’armée a fait de gros progrès même s’il reste encore beaucoup à faire. Je pense qu’on peut être fier d’être Malien et surtout maintenant.
Il faut toujours chercher l’union sachant qu’on ne peut pas avoir tout le monde avec soi, mais il faut avoir le maximum de monde pour soutenir la Transition. Après la Transition, on va aux élections et celui qui gagne va gouverner. Je pense que c’est cet appel que j’aimerais lancer à tous les Maliens, de laisser les querelles intestines, ce n’est pas le moment des élections. Il faut laisser passer le temps de la Transition et ensuite aller aux élections. Au demeurant, il y a l’Aige qui va permettre d’organiser des élections crédibles, apaisées et transparentes puisque l’organe est indépendant.