Le Mali compte plus de 230 partis politiques, qui ont vocation à concourir à l’expression du suffrage pour les élections présidentielle, législatives et communales. Cette compétition qui se veut saine s’est malheureusement transformée en course effrénée aux voix à n’importe quel prix. La formation et l’éducation citoyenne, devant servir de rempart de protection de la volonté populaire est vouée aux gémonies par la majorité des partis politiques, qui reçoivent le financement public (dizaines, centaines de millions de FCFA) accordé par l’Etat sans jouer leur rôle. Place à l’achat des consciences, la corruption et la fraude électorale. Des irrégularités pullulent les scrutins, avec comme finalité la fraude à la pelle. Dans une interview accordée à laviesahel.com, Me Mountaga Tall, le président du Congrès national d’Initiative démocratique – Faso Yiriwa Ton (CNID-FYT), ancien ministre et ancien député, reste sûr d’une chose : le multipartisme et la démocratie ne sont pas en cause, mais les hommes politiques.
« Je me demande si un observateur, un journaliste a été plus sévère avec les hommes politiques que moi. J’ai dénoncé toutes ces tares, la corruption, le népotisme, les trahisons, les retournements de veste, les ambitions personnelles, l’absence de souci du pays, l’accaparement, ce ne sont pas des inventions, mais la réalité », déclare Me Mountaga Tall, dans une interview accordée à laviesahel.com, site de l’actualité sur le Sahel. L’homme politique invite cependant à faire attention, car dans la classe politique, comme chez les avocats, les enseignants, les journalistes, les médecins, partout, il y a du bon et du mauvais. « Ce avec quoi je ne suis pas d’accord, c’est de généraliser, dire que « politiki moko chi magni » (tous les hommes politiques sont mauvais), cela n’est pas vrai. C’est pourquoi je dis qu’il faut examiner chaque cas, prendre chacun, et pour ceux qui ont assumé des responsabilités, les faire passer par le « scanner politique », que l’on sache ce que chacun a fait, ou ce que l’on n’a pas fait que l’on devait faire », précise Me Mountaga Tall. C’est à partir de ce moment qu’on va faire le bon tri. Mais il ne faut pas accuser tout le monde, ce n’est pas juste, poursuit-il. « An bè non do, (nous sommes tous coupable) ce n’est pas vrai. On ne peut pas s’être opposé à quelque chose, avoir payé le prix fort, et accepter que ce soit sa responsabilité », explique-t-il. Il faut comprendre ceux qui refusent d’endosser cette responsabilité, « surtout quand ils disent comme c’est mon cas, j’ai 31 ans de vie politique, dites-moi une faute grave que j’ai pu commettre, en termes de corruption, d’atteintes aux biens publics, de mauvais comportement, et j’arrête ma vie politique. J’arrête ! », défie Me Mountaga Tall. N’est-il pas comptable de la responsabilité collective de la classe politique, qui s’est installée à demeure dans la fraude ? A cette question, Me Mountaga Tall s’insurge et s’inscrit en faux, « Non ! La responsabilité collective n’existe pas. Dans la responsabilité collective, il y a la part de responsabilité individuelle de chacun qu’il faut chercher », indique le président du CNID-FYT, qui invite à un discernement. Une généralisation est toujours abusive.
Me Tall plaide non comptable…
Quand on a fini de poser ses principes, on creuse. « Ce que je reproche, c’est qu’on ne creuse pas après, on se complait dans la paresse intellectuelle de dire qu’ils sont tous comme ça… tous les partis politiques ne sont pas pourris, la quasi-totalité est pourrie, des partis politiques ne font pas de la formation au Mali, certains partis en font, mais pourquoi dites-vous toujours qu’aucun parti ne le fait, sans avoir procédé à des investigations pour savoir si au moins, des partis le font… Quand on dit la classe politique, ce n’est pas vrai… les généralisations sont excessives, il ne faut jamais dire qu’il n’y a rien de bon dans une catégorie socio-politique, fut-elle politique, journalistique, de santé. Car cela s’appelle le populisme. C’est mon seul problème. On généralise abusivement. On jette le bébé avec l’eau du bain. On frappe tout le monde avec le même bâton, on ne fait pas de tri… On confond tout, on ne trie pas, on ne sélectionne pas, et in fine c’est quoi ?
Et contre-attaque…
On veut vaille que vaille discréditer toute la classe politique. Et ceux qui le font, vous savez ce qu’ils font juste après ? Ils courent pour prendre la place de la classe politique. On a des noms. Ils courent pour être ministres, ils courent pour être au CNT, c’est-à-dire députés, peut-être parce qu’ils pensent qu’ils ont fini de discréditer la classe politique, ils courent pour être maires ».
De la foire de brigandage financier via aide publique aux partis politiques, Me Mountaga Tall disculpe le CNID-FYT, « chaque année, avant de déposer nos comptes à la cour des comptes, nous listons les séances de formations que nous avons faites. On invite la presse pour couvrir ces séances de formations. Ça ne se passe pas à huis clos ». Le CNID-FYT s’est également mis en marge de la fraude au prix de ne pas avoir de député en 2020, quand le chef du parti a dit qu’il préfère avoir zéro député plutôt que d’aller se mêler à la fraude, rappelle notre interlocuteur, qui reconnait qu’il n’est pas le seul, et qu’il y en a beaucoup d’autres dans la classe politique. « C’est vrai que la majorité s’est installée à demeure dans la fraude. Je ne le contesterai jamais », reconnait-il, tout en rappelant avoir été victime en 2020, quand dans les bureaux de vote de son épouse et de ses enfants, il a eu zéro voix ; idem dans son bureau de vote et aussi dans celui de son grand frère qui a une Zawia (quand il donne des consignes, les gens le suivent), il a eu zéro voix. « Moi je suis bien payé pour savoir ce que c’est que la fraude. J’ai fait une motion de censure en 1997 à l’Assemblée nationale pour dénoncer la fraude. Je sais qu’il y a la fraude. Mais, arrêter de dire que politique égale fraude, c’est ce qui n’est pas vrai », poursuit-il son plaidoyer.
« Il ne faut pas exonérer les fraudeurs »
Pour Me Tall, si c’est important de dénoncer la fraude, il y a aussi plus important, « c’est qu’il ne faut pas installer un système électoral permissif pour la fraude, il ne faut pas fermer les yeux sur les cas de fraude, il ne faut pas exonérer les fraudeurs et les installer dans les plus hautes fonctions de l’Etat », avise le président du CNID-FYT.
Il rappelle à qui veut l’entendre le long combat qu’il a mené contre la fraude, pour avoir été un des premiers à dénoncer ce fléau malien. Ce qui lui a valu la réputation d’être un mauvais perdant. « Aujourd’hui, quand on se bat au niveau du M5-RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques) pour dire qu’il faut mettre à plat le système électoral, le changer radicalement, c’est par rapport à la fraude essentiellement », a dit Me Mountaga Tall à ses interlocuteurs. On y travaille dur, très dur, persuade-t-il. « Notre pays est frappé de sanctions parce qu’on a dit qu’on veut des élections propres. On nous dit, faites des élections quand même ! Nous disons, nous on veut des élections propres. Donc, il ne s’agit pas seulement de le dire, mais de travailler à cela », déclare le président du CNID-FYT, un membre bien écouté du M5-RFP.